Lettre inédite de Marcel Proust à Céleste Albaret

- Lettre inédite de Marcel Proust à Céleste Albaret*

J’apprends, ma chère Céleste, que vous avez accepté, la chose est des plus inattendues, de garder la maison de feu Maurice Ravel à Montfort l’Amaury. Quel dommage que vous ne l’eussiez entendu composer son Quatuor, vous auriez pu, avec talent j’en suis sûr, rassembler ses petites notes si délicates et les ranger avec goût. Du moins vous avez la chance de pouvoir vivre avec un mort tandis qu’avec moi c’était le mourant que vous deviez supporter ; ce que vous avez fait jusqu’au bout avec courage. Il faudrait insister auprès des éditeurs pour qu’ils donnent, si cela est possible, à votre nom plus d’éclat.

Vous avez aussi la chance d’entendre parler d’un grand compositeur et ses visiteurs, des musiciens surtout, jouent sans doute sur son piano des œuvres qu’ils aiment à l’endroit même de leur naissance, lui rendant ainsi un perpétuel hommage. Je vous envie, chère Céleste d'habiter ce lieu voué à la musique et plein encore, j’en suis sûr, de notes en suspension dans l’air. Vous ne devriez pas ouvrir les fenêtres trop souvent de peur qu’elles ne s’envolent au dehors. Si quelqu’un vous demande ce que vous aimeriez entendre jouer ou chanter dans ce lieu merveilleux, dites à ces personnes : « Trois beaux oiseaux du Paradis » ; faites cela pour moi.

Maintenant débarrassé d’une vanité devenue inutile je puis avouer sans fausse modestie que mes lecteurs sont nombreux et m’aiment comme je les ai aimés. Aussi je trouve que votre vie, et je vous souhaite de vivre longtemps pour le dire, est singulière au point que vous n’aurez pas servi deux artistes mais la littérature et la musique comme peu d’êtres, aussi dévoués soient-ils, savent le faire et moi qui vous parle de si loin et dont vous entendez la voix dans votre cœur, je vous appelle, si vous me le permettez, ma divine Céleste et vous embrasse infiniment.

Votre ami Marcel Proust.

.

تعليقات

لا توجد تعليقات.
أعلى