الشاعر عبداللطيف بحيري في حوار مع موقع مشارف

Entretiens de « Culminances »
Avec le poète marocain Abdellatif Bhiri

04- 11 - 2018

Qui est Abdellatif Bhiri ?

Abdellatif Bhiri est né à Safi ( Maroc) en 1962. Professeur de langue et littérature françaises au secondaire. Poète lyrique, d’une sensibilité à fleur de peau et possédant une grande maîtrise de la langue. Sa poésie a toutes les caractéristiques de la vie. A la lecture de ses poèmes vous accompagne une voix authentique et limpide, se mouvant tantôt doucement, tantôt énergiquement : chantant ici la splendeur de la vie et berçant les âmes rêvasseuses, éveillant là les esprits endormis et secouant les êtres de leur apathie… une voix coulant parfois comme une musique douce et s’élevant parfois en un cri dénonciateur protestant contre le mal et toutes les déviations qui entravent l’accession de l’homme à la plénitude de son être.

Recueils de poésie :

Bribes et étincelles ,Edilivre, France 2013
Souvenirs vivaces ,Editions Slaiki Frères ,Tanger 2013 Aigre-doux, Maroc 2017
Florilège des roses en folie,Maroc 2016
Même vieux vivons mieux, recueil collectif ,Maroc 2018



Question 1 : Dans un bon nombre de vos poèmes vous vous montrez profondément préoccupé par la situation difficile des personnes frappées par le destin (pauvres, orphelins, femmes, vieillards, enfants meurtris… etc.). Est-ce par pitié romantique ou pour sensibiliser les gestionnaires du social afin qu’ils s’en occupent ?

Abdellatif Bhiri : Avant de prendre conscience de « ma pitié romantique », il me fallait remonter à ma petite enfance qui n’était pas des plus faciles. J’étais pauvre, orphelin et survivant grâce aux maints sacrifice d’une mère qui trimait pour élever cinq enfants ! Mon engagement envers tous les déshérités de la Terre n’est donc pas une fantaisie d’un écrivaillon oisif.

S’il est vrai que ma poésie est imbue de lyrisme originel, cela n’empêche qu’elle recèle un message sociétal destiné non seulement aux dirigeants (qui avouent leur échec) mais aussi à la société civile plus entreprenante.


Question 2 : Plusieurs critiques pensent que les problèmes sociaux tels que le chômage, la misère, l’exclusion, les inégalités sont du ressort des politiciens qui ont les moyens de les résoudre. Quant aux poètes, on ne leur demande que de plonger dans leur égo à la recherche de réponses aux questions existentielles qui tracassent l’humanité ? Qu’en pensez-vous ?

Abdellatif Bhiri : A mon humble avis, les critiques peuvent penser ce qu’ils veulent. En tant que poète, je ne me fie qu’à mon inspiration, mes humeurs et mes états-d’âme. Je pense qu’un poète ne vit pas tel un anachorète, à l’écart de la société. S’engager pour dénoncer les disparités sociales, le népotisme, le clientélisme est du ressort de tout poète qui se respecte. Lorsque les décideurs tiennent le peuple en laisse, il faut les dénoncer.


Question 3 : Dans votre recueil collectif intitulé Même vieux vivons mieux vous avez fait appel à des poètes pour écrire sur un sujet que vous leur avez choisi. N’avez-vous pas dit ailleurs « L’acte d’écriture /Est un cri de torture/Il émerge de je ne sais où !? C’est-à-dire que la vraie création littéraire est une sorte de révélation qui assaillit l’esprit du poète et non une versification consciente, motivée et artificielle ?

Abdellatif Bhiri : Merci de me donner l’occasion de parler de ce projet ambitieux que j’ai réussi à concrétiser grâce à la collaboration massive, volontaire et inconditionnelle d’une pléthore de poètes de huit pays (Dont deux poétesses tunisiennes). L’idée est née d’un fait divers (d’hiver !) relatant la situation désastreuse et miséreuse dans laquelle subsistent les personnes âgées dans nos pays. Je me réjouis de la spontanéité et de la célérité avec lesquelles le projet a été accueilli.

C’est un cri de torture qui émerge de notre vécu quotidien, ne pas en tenir compte c’est se cacher la face. D’ailleurs plusieurs anthologies pullulent partout dans le monde avec des auteurs de renommée internationale.


Question 4 : Vous vivez dans un pays où tout est prospère y compris la culture, votre répertoire est riche de quatre recueils, vous participez aux rencontres poétiques. Mais malgré cela, on vous voit souvent mécontentant. Chercherez-vous, si je comprends bien, une reconnaissance au niveau nationale ? Et ne pensez-vous pas que le vrai écrivain est celui qui écrit uniquement pour la plaisir ?

Abdellatif Bhiri : Je suis très fier de vivre dans un beau pays comme le Maroc. Cependant le constat du dedans diffère de celui du dehors. Comme dans tous les pays, le nôtre repose aussi sur la propagande. Puisque le crible ne peut cacher les rayons du soleil, mon pays vit des contradictions et disparités sociales flagrantes et ce malgré quelques avancées notoires …

C’est ce qui fait de moi un éternel déçu ! Ceci me ramène au second volet de la question.

Mon répertoire est riche de cinq recueils individuels et d’une douzaine de recueils collectifs dont « Analectes de la poésie mondiale » qui est une grande fierté pour moi.

La scène culturelle marocaine, que je fustige assez souvent, n’est prospère que certains privilégiés : les béni oui-oui, les adeptes des courbettes et des baisemains.

Je n’ai aucune prétention à une reconnaissance nationale lorsque les responsables de la « chose » culturelle n’ont en aucune ! L’affaire est biaisée…Je n’ai plus rien à prouver et je tiens à mon indépendance intellectuelle, j’abhorre la médiocrité et je le dis carrément. C’est pourquoi j’ai déserté les rencontres culturelles depuis presque deux ans car on y trouve un peu de tout et beaucoup de rien !


Question 5 : La nature occupe aussi une grande place dans votre poésie et constitue clairement pour vous un moyen d’évasion de la vie quotidienne .Ne trouvez-vous pas cette tendance très individuelle contradictoire avec votre intérêt pour les situations sociales et humanitaires difficiles ?

Abdellatif Bhiri : Tout est prétexte à l’écriture, la nature est un exutoire sans pareil. J’y trouve du répit et de la sérénité. Au lieu de contradiction, j’opterai pour la complémentarité. Je citerai l’exemple de Victor Hugo qui est considéré comme le père du Romantisme au XIX siècle et comme un homme politique hors norme.


Question 6 : Le Maroc se présente aujourd’hui comme le seul pays arabe prospère, avancé et sécurisé. Et cela a été expliqué par la perspicacité du roi qui a réussi à gagner la confiance de l’Occident et aussi par le rationalisme de l’élite marocaine qui lui a permis de concilier l’identité arabo-musulmane avec l’universalisme. Cette prospérité a-t-elle profité aux écrivains et poètes ou seulement aux hommes et femmes d’affaires ?

Abdellatif Bhiri : Le Maroc roule à deux vitesses. L’une à pas de géant et concerne les affaires. L’autre à pas de tortue, réservée au bas-peuple ! Malheureusement, cet abîme sociétal se répercute négativement sur le champ culturel. Les vrais écrivains, poètes et peintres sont relégués aux oubliettes. Les bras sont grands ouverts aux arrivistes de tous bords qui sont montés au diapason par l’entremise de l’argent ou par une connivence douteuse…


Question 7 : Quand le poète est enseignant, comme vous par exemple, son esprit didactique qui est méthodique et discipliné n’entre-til pas en conflit avec son âme créatrice qui est par définition rebelle et désobéissante ? Comment arrivez-vous à concilier ces deux tendances opposées ?

Abdellatif Bhiri : La conciliation entre le métier d’enseignant et la vocation d’être poète s’est opérée en douce. C’est grâce à un glissement entre le caractère du jeune poète de 22 ans vers l’enseignant que je suis devenu vers l’âge de 30 ans. J’ajouterai que le métier m’a permis de me perfectionner dans la langue sans pour autant faillir à ma verve rebelle et désobéissante d’antan.


Question 8 : Comment trouvez-vous la réunion de ce groupe de cent-vingt poètes arabophones et francophones provenant des cinq continents au sein d’une sélection poétique ?

Abdellatif Bhiri : Je vous remercie d’abord de m’y avoir invité. La dimension universelle de ce projet ne peut être que bienfaitrice car elle émane d’un esprit fédérateur dont je salue la persévérance et surtout l’efficacité


Question 9 : Le facebook vous a-t-il apporté quelque chose en tant que poète ?

Abdellatif Bhiri: Déjà en 2013, j’avais déclaré dans un quotidien national que Facebook est une jauge quand les instances culturelles se cabrent dans des lois rigides et souvent creuses. Ce réseau social est mon vrai tremplin pour faire connaître ma poésie dans les cinq continents. Sans lui je n’aurais jamais pu publier un recueil. Je n’aurais pas pu tisser une multitude de rapports d’amitié de par le monde. Des personnes imbues de civisme, de culture et d’esprit de partage.


Question 10 : Quels sont vos projets proches et lointains ?

Abdellatif Bhiri : Après la parution de l’anthologie « Même vieux, vivons mieux » dont j’ai assuré la conception, je prépare un nouveau projet collectif sans thème préétabli regroupant des artistes peintres et des poètes. Un recueil de nouvelles est en gestation. Mais mon grand projet est celui de donner naissance à mon premier roman qui sommeille depuis longtemps à cause des tracasseries existentielles.



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Abdellatif Bhiri, Auteur à Plume de Poète


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