Tahar Ben Jelloun - Quand la femme est l’obsession de l’homme

Avant, les femmes ne se voilaient pas à la campagne. Elles travaillaient plus que les hommes et personne ne le leur reprochait d’exhiber leur visage sous le soleil assommant. C’est en descendant en ville que ces femmes ont dû porter un "litam" sur le visage pour être comme la citadine.

Avant l’arrivée de l’islam, les tribus d’Arabie avaient en horreur les naissances féminines au point où on les enterrait vivantes. Cette pratique barbare, c’est l’islam qui va y mettre fin. C’est en ce sens que les islamistes d’aujourd’hui renouent davantage avec la jahylya qu’avec l’islam.


Dans l'une des mes récentes chroniques j’ai osé dire que certains islamistes ont des problèmes avec le corps de la femme, avec la sexualité en général. Sinon pourquoi cette obsession autour de la femme, du corps de la femme, du visage de la femme, de la voix de la femme, bref de sa liberté en tant qu’individu, être unique et singulier ?


Les religions monothéistes ont traité ce problème en long et en large. Une prière juive ne consiste-t-elle pas à remercier Dieu de ne pas être né femme ? Et dans le Coran, dans la Sourate «Youssef» n’est-il pas écrit dans le verset 28 parlant de la capacité des femmes à recourir à la ruse «C’est un fait de votre artifice de femmes. Votre artifice est immense» ?


Mais indépendamment des textes et de leurs interprétations, déjà la grande sociologue et ethnologue Germaine Tillion, a écrit un livre fondamental sur les relations parentales dans la Méditerranée et, en particulier, dans le Maghreb où elle avait séjourné plusieurs fois et où elle avait observé les structures de parenté de la société rurale puis citadine.


Le livre s’appelle «Le Harem et les Cousins», publié aux Editions du Seuil en 1966. A l’époque, personne ne mélangeait les lois de la tradition avec les indications d’inspiration religieuse. Germaine Tillion mit le doigt sur la relation étroite entre la mère et le fils aîné puis le fait que le mariage ne pouvait être qu’endogamique, c’est-à-dire à l’intérieur de la tribu, en particulier entre cousins et cousines. Ainsi, les risques de déshonneur seraient moindres.


Avant, les femmes ne se voilaient pas à la campagne. Elles travaillaient plus que les hommes et personne ne le leur reprochait d’exhiber leur visage sous le soleil assommant. C’est en descendant en ville - exode rural dû à la sécheresse- que ces femmes ont dû porter un "litam" sur le visage pour être comme la citadine à laquelle elles voulaient tant ressembler. Elles aspiraient à se fondre dans la foule car tant de préjugés circulaient autour de la paysannerie.


Germaine Tillion écrit en conclusion de son livre : «A notre époque de décolonisation généralisée, l’immense monde féminin reste en effet, à bien des égards, une colonie. Très généralement spoliée malgré les lois, vendue quelquefois, battue souvent, astreinte au travail forcé, assassinée presque impunément, la femme méditerranéenne est l'un des serfs du temps actuel.»


Bien avant l’arrivée de l’islam, les tribus bédouines d’Arabie avaient en horreur les naissances féminines au point où dans certains cas on les enterrait vivantes. Cette pratique barbare, c’est l’islam qui va y mettre fin et l’interdire, la considérant comme un crime contre l’humanité. C’est en ce sens que les islamistes d’aujourd’hui, ceux qui prennent les armes et font le «jihad», renouent davantage avec la jJahylya qu’avec l’islam. Ce salafisme n’est pas musulman mais bédouin d’avant le septième siècle au moment de l’arrivée du Messager de Dieu, envoyé justement pour instaurer paix et justice au sein de tribus ignorantes et adoratrices d’idoles en pierre.


La relation au corps de la femme a de tout temps eu ses origines dans la mémoire lointaine bédouine. Quant à l’islam, il a au contraire encouragé l’éducation sexuelle («La haya’a fi ddine») même si la femme ne jouit pas des mêmes droits que l’homme, notamment en ce qui concerne l’héritage.


Les crimes d’honneur n’appartiennent pas à la culture et aux traditions musulmanes. Ils font partie des coutumes ancestrales de certaines régions du Proche-Orient et même du bassin méditerranéen. Germaine Tillion le rappelle : «Lorsqu’une femme est soupçonnée d’adultère, le mari, le père ou le frère meurtrier sont acquittés à coup sûr par l’opinion publique dans les pays méditerranéens ou influencés par la Méditerranée…»


Heureusement que le Maroc n’a pas cette tradition qui nie l’Etat de droit! Ce qui n’empêche pas des crimes d’honneur mais qui sont traités par le législateur comme n’importe quel crime. Il en est de même de l’excision, pratique répandue en Afrique et dans certaines régions d’Egypte et du Soudan. Elle est malheureusement souvent attribuée à l’islam. Or, nulle part dans les textes islamiques, cette agression sur le corps intime de la femme n’est citée. Mais quand l’ignorance se met à faire de la sociologie de bazar, tout est possible.


Pour revenir au statut de la femme dans les pays musulmans, il reste beaucoup à faire. Il y a ce qui relève des mentalité -souvent en retard et complexées- et ce qui relève du droit et du progrès. C’est l’affaire de l’Etat et de ses institutions. Ils doivent, non seulement y mettre de l’ordre, mais défendre en premier la femme qu’on voile entièrement, qu’on cache, qu’on séquestre et dont on a une peur bleue. Comme dirait un dicton du vieux français «une peur de voleur».


Il faut aussi assurer la sécurité des femmes qui sont harcelées dans la rue et dans le travail. Nous savons tous qu’une jeune femme qui marche toute seule dans la rue est très souvent agressée verbalement et parfois physiquement. Tant que les mères n’ont pas éduqué leurs garçons dans le sens du respect de la femme, (c’est ce que remarquait il y a cinquante ans Germaine Tillion), un respect naturel qui reconnaît en même temps les mêmes droits à la femme et à l’homme, nous resterons empêtrés dans des complexes de virilité mal assumée où la religion n’a rien à faire et que certains invoquent pour justifier des comportements inadmissibles.


Oui, la libération de la femme est aussi, et surtout, celle de l’homme.


P.S: les attaques ignobles de Hamad Kabbadj à l’encontre de Aicha Ech-Chenna illustrent une fois encore la bêtise et la stupidité de certains hommes qui utilisent l’islam pour cracher sur les femmes. Dans ce cas, cet individu, devrait être poursuivi pour diffamation. Il faut que l’Etat de droit fasse son travail. Pas de place pour la haine et l’intolérance. Son discours antisémite où il appelle à «tuer tous les juifs» est plus que scandaleux. Cet appel est grave, car en fanatisant ses auditeurs, il se pourrait qu’un jour l’un d’eux décide de passer à l’action et de tuer un juif marocain ou touriste dans notre pays. On attend que son parti le dénonce et que la police le mette hors d’état de nuire. Déjà sa candidature aux législatives au nom du PJD à Marrakech a été invalidée par le wali de cette ville. Mais on espère que le parti de Benkirane fera le ménage dans ses rangs et rééduque ses adeptes égarés.



Par Tahar Ben Jelloun
 
ملفات تعريف الارتباط (الكوكيز) مطلوبة لاستخدام هذا الموقع. يجب عليك قبولها للاستمرار في استخدام الموقع. معرفة المزيد...