Hawa Djabali - De la poesie arabe à l'amour de l'an 2000


"Qui ne se souvient de ces femmes inaccessibles, Abla, Leïla, Hyzia, et tant d'autres, pour qui cédèrent à la folie héros, chevaliers intrépides tous se désespérèrent les poètes jusqu'à la fin du XXe siècle ? Même la poésie féminine est empreinte du désespoir de l'être absent ou inabordable…
Serait-ce que l'amour, comme la liberté, apparaîtrait plus confortable à évoquer qu'à vivre ?
Serait-ce que le désespoir vous exonérerait de la responsabilité de se construire une vie ?
Serait-ce que l'amour, défi à l'ordre établi, resterait la seule façon d'ébranler un dogme ou un patriarcat, au prix de sa condamnation ?
Quoi qu'il en soit, dans la littérature arabe, il serait intéressant de repérer " L'amour heureux "…
Parallèlement à ces flambées mystiques d'amour inassouvi où manquent cruellement le corps et la présence, il y a la littérature de la jouissance où le, ou les partenaires sexuels sont chosifiés, niés dans leur sensibilité, dans leurs désirs propres. A commencer par les contes des Mille et une nuits, où l'on possède des femmes endormies, où le beau héros est séquestré et doit contenter, tous les jours, " en largeur et en profondeur ", un grand nombre de femmes, jusqu'à la littérature à boire où l'éphèbe, la femme jeune, sont des proies de choix et, somme toute, l'affirmation du fonctionnement de l'ordre établi, du pouvoir, de par leur obligation d'accepter.
Quel choix étrange ! Ou l'acte d'aimer se réduit à satisfaire la loi de l'espèce, à se conjoindre suivant l'ordre des trois religions monothéistes qui exècrent l'amour, s'efforcent qu'il soit absent du mariage pour assurer la stabilité sociale et permettre l'exercice du pouvoir, ou il s'agit de consommer son prochain au même titre qu'un met délicieux et alors c'est le mangeur qui se réjouit, même si pour se consoler, il imagine que le mangé en est heureux, certains les en persuadent ! Ou bien il s'agit d'une attirance contrariée et interdite… parfois mortelle.
Et maintenant ? Dans ce merveilleux siècle d'une civilisation qui dépasse techniquement tout ce qu'on avait pu imaginer, qui parle d'amour ? Beaucoup de sensibilités sont cassées (Histoire oblige). Beaucoup de gens ignorent en quelle saison pousse tel ou tel fruit, ils n'ont plus beaucoup d'appétit, le " fast food " du sexe est bien suffisant pour survivre (camaraderie sportive, un peu de guerre des sexes) car ils n'ont plus la prétention de vivre… Mentir à un partenaire plus amoureux leur semble " moderne " et " libéré " (ô ignorants ! Mais que faisaient donc nos ancêtres ?), et pour celui qui a le malheur d'être encore vivant, l'amour devient une souffrance mortelle et l'amoureux se trouve traité comme un imbécile et même comme un criminel. Sa passion représente une forme de problème psychologique, la menotte et la contrainte.
La vie en couple paralyse leur liberté, étouffe leur désir ; le compagnon est un décor et non pas un être humain, un partenaire avec lequel on crée et partage le bonheur.
Au fond, rien n'a vraiment changé : nous sommes encore très vieux dans nos cœurs.
La société moderne, à force de dérision, d'exposition, de télévision, de mauvaise santé, parvient à mettre ensemble des gens " qui s'aiment bien " ou encore des gens " raisonnables " pour le meilleur fonctionnement des pouvoirs. Cinéma et théâtre en témoignent. Les gens sans appétit continuent de chosifier autrui, avec l'aide du monde publicitaire et marchand, et les grands amoureux, que rien ne vient plus séparer, crèvent tellement de la peur d'aimer, redoutent tellement la souffrance de la fin de l'amour, qu'ils se trouvent une bonne raison de fuir…
Mais, mais… De façon inconcevable, inouïe, il y a toujours de grandes amours, silencieuses, inavouées, cachées comme en inquisition profonde, amour d'écoute et de désir, où pour celui qui aime, l'aimé devient la clé du cœur des autres. Si Qaïs avait pu rejoindre Leïla, l'aurait-il tendrement chérie jusque dans la vieillesse ? L'interdit s'effrite : aussi concentré, aussi libre qu'au moment de composer, d'écrire, de sculpter, oui, libre dans une création aux horizons immenses, concevoir enfin l'inconcevable, aimer plus loin que la raison. " Et je te veux libre, et libre de partir, et libre de revenir " (Jacques Prévert), aimer à en changer la couleur du ciel, aimer plus loin que l'égoïsme, plus haut que l'amour-propre, être fou au point d'être fidèle, fidèle sans morale, sans demande, sans plus aucune obligation, par désir, par accomplissement, par amour… Ici naît le germe de la rébellion suprême, la vraie désobéissance au fatum et aux pouvoirs. Ceci pourrait bien être nouveau et changer la face de l'art."
 
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