منقول - ! Bousbir : Colonie des prostituées d’antan


« Radi l’bousbir ? », « Tu vas à Bousbir ? ». Cette phrase, ma grand-mère la répétait pour plaisanter avec mon grand-père quand elle le voyait sortir chic et bien habillé. C’était il y a 13 ans, j’étais encore enfant, Bousbir avait déjà disparu depuis 1955, mais la phrase est restée. Bousbir a marqué la mémoire casablancaise qu’on le veuille ou non.

Bousbir est la prononciation marocaine du prénom de Prosper FERRIEU. Chargé depuis 1865 de l’agence consulaire française de Casablanca, il était propriétaire du terrain qui deviendrait le quartier réservé. Le premier Bousbir fut bâti dans l’ancienne médina, mais très tôt il se déplaça vers la nouvelle ville sur la colline de Derb Sultan en 1922. Entouré par la Régie des Tabacs et le quartier des Habous, avec une superficie d’environ 24.000 m2. Un quartier complet, clos de murs, composé de ruelles labyrinthiques. Il possédait le grand cinéma du quartier appelé « Cinéma Mauritania », le Café de la Porte, le Café du Cinéma, le Café du Hammam, le Café des Chômeurs, le Café des Roseaux, le Café de l’Amina des Cheikhat, le Café du Raïs, Le Café Edmond. Bousbir comportait également des Hammams, des marchands de charbon et de fruits, des coiffeurs pour dames et hommes, six restaurants, des boutiques de vêtements ainsi qu’un bureau de tabac. Chacune des ruelles portait un nom indiquant les origines des prostituées : rue Elfassiya, rue Doukkaliya, rue Lahriziya, etc.

Les prostituées étaient originaires de plusieurs régions du Maroc principalement, ainsi que d’Algérie et du Maroc espagnol, selon l’enquête ethnographique réalisée par Jean Mathieu et P. – H. Maury, présentée dans le Livre intitulé Bousbir, la prostitution dans le Maroc colonial , livre édité et présenté par M. Abdelmajid Arrif :
Régions Nombre de prostituées
Région de Casablanca 375
Région de Marrakech 312
Région de Rabat 84
Région de Fès 47
Région d’Agadir 37
Région de Meknes 36
Région d’Oujda 15
Algérie 9
Maroc espagnol (Melilla) 1

Ces prostituées venaient travailler à Bousbir pour des raisons qui différaient d’une prostituée à l’autre : fuite d’une maison close, arrestation pour cause de prostitution clandestine, misère, fuite d’un mariage forcé et précoce. Le quartier de Bousbir, vivait une vie normale, celle d’un quartier en mouvement. Mais l’administration coloniale avait voulu l’« orientalisme» à tout prix. Les prostituées traditionnelles étaient habillées en caftans de trois pièces au moins, brodés, elles portaient des bijoux, des coiffures et des foulards à l’ancienne, leurs yeux étaient maquillés de khôl, leurs mains décorées de henné.

Il y avait aussi les modernes, celles qui portaient les vêtements tendance de l’époque : chemise, jupe, robe.

Les prostituées se pointaient chaque matin après leurs cafés et leurs premières cigarettes devant les portes des chambres closes, dans l’attente de passagers ou de touristes cherchant du plaisir. Il y en a qui dansaient, chantaient, ou même qui hélaient les passants avec des expressions érotiques et sexuelles : « Aji Tchrub Atay », « T’ala t’alleq m’aya ? » 1 . Ou bien elles faisaient appel à des jeux et des plaisanteries grossières avec les clients.

Les clients de Bousbir étaient hétérogènes : les clients européens étaient en général des marins de passage, des touristes venus découvrir le quartier. Français, Marocains juifs ou musulmans, légionnaires et soldats français, chacun de ces clients s’offrait une des prostituées qu’il souhaitait ou que la patronne avait choisi pour lui. Les pratiques sexuelles variaient d’une prostituée à l’autre, selon le désir du client ainsi que la somme qu’il donnait.

La direction de la Sécurité Publique surveillait régulièrement la santé des prostituées avec des fiches sanitaires dans le dispensaire municipal de surveillance sanitaire et de prophylaxie anti- vénérienne, pour contrôler la santé des prostituées, afin d’éviter la transmission des infections vénériennes. Selon le témoignage de ma grand-mère, qui a vécu dans le quartier de Derb Sultan, non loin du quartier réservé, et qui entendait ces échos, « la patronne des filles (moqaddama) lavait le vagin des prostituées avec de l’eau chaude du sel et de la pierre d’alun (chebba) pour éviter les chancres ». Selon le même témoignage, les grandes familles de Derb Sultan, issues généralement de la région de la Chaouïa, Settat, Fès et Marrakech apostrophaient les prostituées avec des expressions méprisantes telles que : al-bâghiya, al-qahba. Mais d’autres les appelaient plus joliment bnât l-hwa.

Tatouages (l-wcham)

Les prostituées se tatouaient entre elles à l’aide d’une aiguille et d’indigo (nila). Le tatouage représentait alors, dans la culture marocaine, une véritable arme contre le mauvais œil. Les prostituées traditionnelles portaient des tatouages à l’ancienne : as-siyala (tatouage sur le menton), l-hmimiqa (motif sur le talon d’Achille ) 2 , l-buja entre les yeux, l-khatem sur les doigts. Les modernes tatouaient des motifs plus contemporains et plus « jeunes », parfois du texte en caractères latins ou des dessins. Par exemple : « Pas de Confiance Pour les Hommes de Tlemcen », « Vive l’amour », « Patchance au Maroc » (sic), « Viv abbes » (sic), des prénoms masculins : Mustapha, Ahmed. Ou encore des dessins et des motifs quelconques. Ou bien encore des dessins obscènes tels que des dessins de pénis.


«Ti regardes ……..mais ti touche pas ! »

Marcelin Flandrin, photographe militaire français, est né à Annaba en 1889, et s’installa à Casablanca, où il finit sa vie. Ce photographe de l’époque coloniale prenait le quartier réservé de Casablanca en photos orientalisées. Il contribua fortement à créer les stéréotypes de la prostituée dite « Arabo-africaine » : brune, seins nus, robustesse et finesse. En majorité, les photos des filles de Bousbir sont mises en scène, sans spontanéité ni instantanéité,. Le message voulu par le photographe était bien travaillé, car la plupart de ces photos étaient destinées à la création de cartes postales coloniales, en vue de la promotion du Maroc à l’international. D’autres figuraient dans sa collection personnelle. Les filles choisies pour les photos sont généralement jeunes, belles, exotiques pour aux yeux des étrangers, semi nues, vêtues de robes ou de caftans, avec des allures et des décors orientalisés. Les photos sont commentées par des légendes, des commentaires en forme de slogans tels que : « Casablanca – Aimée de Bousbir », « Le quartier réservé à Casablanca : Jeune israélite s’étirant au soleil », « Le Quartier réservé de Casablanca – De bons camarades ! », « En attendant les clients », « Le thé chez les prostituées arabes », « Au quartier réservé, une hétaïre de Luxe », « Souvenir d’orient DANSE ORIENTALE », «​

Bousbir actuellement !

L’équipe de TLBB s’est déplacée à l’ancien quartier de Bousbir, pour voir de prés ce qu’il est devenu. Il est entouré actuellement de derb jmiâa, qui est le quartier des épices et de la sorcellerie populaire, et du quartier al-lbaladiya, connu par ses fumées de grillades de mouton et de boeuf. La grande porte de Bousbir est restée la même : juste à côté on y trouve des marchands qui vendent à même le sol, et qui, ce jour-là, étaient chassés par les autorités.

Le quartier est maintenant divisé en deux parties : l’une est dédiée à la mouqataâ de Derb Sultan, et l’autre aux logements des fonctionnaires. Peu de choses ont changé, la nuit le quartier diffuse une lumière spéciale, qui rappelle les nuits de Bousbir. Les autorités sur place ont été très aimables et fort sympathiques : on nous a laissé photographier sans surveillance. Au moment de notre visite, nous avons rencontré un des anciens moqaddams du quartier appelé Hamid, qui nous a guidés pour découvrir les lieux. Un monsieur dans la soixantaine, souriant, vêtu d’une djellaba : « Ma famille est venue d’Oujda à Casablanca pendant les années 60, quand le quartier est devenu mouqataaa, et je suis devenu moqaddam ». M. Hamid n’a pas parlé de l’histoire ancienne du quartier, il a évité toute discussion sur le Bousbir « rouge », mais il a surtout abordé les souvenirs d’après l’Indépendance : « Tout était bien alors, les gens étaient bien éduqués à cette époque. Les gens étaient collaboratifs et solidaires, soudés pour le bien et pour le mal », nous confie-t- il.

Nous avons continué notre circuit, avec une des rues emblématiques, qui a marqué les photographes de l’époque qui venaient à Bousbir : une montée avec des escaliers, et une vue sur l’ancien grand cinéma du quartier. Nous y avons rencontré des adolescents du quartier, une dizaine de jeunes gens, discutant de foot, surpris de notre venue. Ces jeunes sont des enfants du quartier, nous leur avons montré quelques photos anciennes de l’endroit même où ils se trouvaient. L’un de ces jeunes sort son téléphone, et nous montre des photos de Flandrin qu’il a retrouvées sur internet. Tout le monde chuchote. Mais ils évitent soigneusement, par timidité, d’aborder le sujet des prostituées.

Bousbir était une solution à double tranchant : d’un coté il protégeait les filles des agressions ou des viols qui peuvent être causées par la prostitution clandestine, mais l’administration coloniale profitait de la faiblesse de ces prostituées, de leur misère et de leurs problèmes familiaux, pour les mettre au service du plaisir sexuel des clients. En tant que journaliste, j’éprouve une frustration depuis que j’ai découvert le sujet, et je me pose cette question : après la fermeture de Bousbir en 1955, où sont passées ces prostituées ? Certaines sont-elles toujours vivantes ? Ont-elles bien fini leurs vies ?

ARCHITECTURE DE BOUSBIR, PAR EMMANUEL NEIGER

L’urbaniste Henri Prost, qui dessine les plans d’extension de la ville de Casablanca, prévoit de créer un quartier réservé à la prostitution et décide de l’implanter au cœur des lotissements de ce qui constitue à l’époque la « nouvelle médina » afin d’éloigner du centre de la ville nouvelle européenne les nuisances d’un lieu de plaisirs. Réalisé entre 1922 et 1939 par les architectes Edmond Brion et Auguste Cadet – la même équipe qui a œuvré à la construction du quartier des Habous, Bousbir constitue un quartier clos sur lui-même, petite médina ceinte d’un rempart qui ne s’ouvre que par une porte bien surveillée. Bousbir s’inspire des codes de la médina traditionnelle, avec sa porte monumentale – arc outrepassé encadré de feuilles et de volutes sculptées, ses ruelles agrémentées de fontaines de zelliges, ses encadrements de fenêtres dessinés, ses arcades entre les maisons, son marché à portique, son hammam, son café maure, son cinéma… Il s’agit donc de proposer un cadre exotique –aux yeux des Européens – qui puisse susciter le désir, dans la veine ancienne de l’orientalisme qui mêle dépaysement architectural, aventure dans les ambiances interlopes et exploitation de la misère humaine.





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