خطب جائزة نوبل

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من تقاليد الاكاديمية السويدية انها تمنح فرصة للفائزين في شتى التخصصات المعرفية الاداب - السلام - الاقتصاد - الطب - الفيزياء - الكيمياء لتقديم رؤاهم حول تسلم جائزة نوبل ، في هذه الخطب خلاصة لتجارب هؤلاء المبدعين والعلماء والمخترعين والنطاسيين والادباء والفنانين وملامستهم لجياتهم الحفوفة بالمخاطر والمجازفات منذ ان وضعوا ارجلهم في تلك مدارات تلك الافلاك العجيبة التي تغري باكتشافها والتي واختصرت على البشرية اطنان الالام والمكابدات والمعاناة وجنبتها ملايين المشاكل، واكسبت متسلميها شهرة طبقت الآفاق واضفت عليهم هالة من التقدير في بلدانهم ، واضحت وثيقة تاريخية لا يمكن الاستغناء عنها باية حال من الاحوال

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ن.م
 

M. Sully Prudhomme, ayant été élu par l’Académie française à la place vacante par la mort de M. Duvergier de Hauranne, y est venu prendre séance le jeudi 23 mars 1882, et a prononcé le discours qui suit :



Messieurs,

Le sentiment qui domine aujourd’hui dans mon cœur est un orgueil que j’aurais mauvaise grâce à dissimuler. L’humilité n’est pas toujours de mise ; elle ne saurait être chez votre élu ni bien sincère, car il a dû lui-même se désigner à votre choix, ni bien décente, car il ne lui siérait pas de déprécier en sa personne ce que vous avez jugé digne de votre plus haute récompense.

En briguant vos suffrages, les uns vous demandent la suprême consécration de leur renommée déjà faite ; d’autres, et je suis de ceux-là, vous sollicitent de leur prêter la vôtre, et de communiquer d’emblée un lustre subit à leurs travaux. Le plus généreux bienfait de votre institution est de rassurer l’écrivain qui ne s’adresse pas à la foule et de l’encourager dans la poursuite de son idéal austère ou discret. Il sait que, s’il n’a reconnu et souhaité pour juge que l’élite, ce juge ne lui manquera pas, car vous siégez assez haut pour embrasser du regard toutes les productions de l’esprit et n’en laisser aucune échapper à votre protection. Vos arrêts imposent à tous l’estime des formes littéraires qui ne sont goûtées que d’un petit nombre. Tel est le service éminent que vous rendez au genre de poésie dans lequel je me suis exercé.

Si j’avais seulement à vous remercier, ma tâche serait aisée ; en accomplissant ce devoir j’en accepte un autre, non moins cher, mais beaucoup plus difficile à remplir. Vous confiez à votre nouveau confrère l’éloge de celui que vous perdez, et le hasard d’une succession toujours imprévue rend votre confiance parfois bien téméraire.

Ne faut-il pas en effet qu’aujourd’hui un poète (car vous m’enhardissez à m’attribuer ce beau nom) apprécie devant vous la vie et l’œuvre d’un écrivain politique ? Ne faut-il pas qu’il oublie ce qu’il connaît le mieux pour vous entretenir de ce qu’il a le moins approfondi ? La politique, il est vrai, émeut au fond de nos cœurs la fibre la plus humaine, car elle se propose de concilier les deux caractères les plus essentiels de notre espèce, qui sont d’être à la fois sociable et libre, problème aussi impossible à éluder que malaisé à résoudre. Mais, bien qu’à ce titre elle ait inspiré à nos plus grands poètes l’enthousiasme et l’indignation qui font les vers, et que plusieurs d’entre eux aient mis leur génie à son service, vous souririez sans doute si je saluais en elle une dixième Muse.

Ce n’est pas elle, heureusement, que vous chercherez dans mon discours. Non que votre compagnie soit indifférente à la politique ; s’en désintéresser, ne serait-ce pas se désintéresser du sort de la patrie ? Mais vous exigez toujours que, pour se faire agréer de vous, le publiciste ou l’homme d’État ait su revêtir ses opinions, quelles qu’elles soient, d’une forme oratoire ou littéraire qui fasse honneur à la langue française. Et, s’il a mis à profit sa connaissance des ressorts de la vie sociale et sa longue expérience des intérêts qui rapprochent et divisent les hommes pour se faire historien, vous aimez à couronner dans ses ouvrages l’étude la plus noble et la plus difficile par son objet qui est l’humanité. Ce sont de pareils titres, Messieurs, qui recommandaient M. Duvergier de Hauranne à vos suffrages.

Vous ne sauriez espérer que j’épuise en une heure l’histoire d’une carrière d’un demi-siècle remplie par les travaux d’un esprit éminemment actif. Votre attente ne sera donc point déçue si je me borne à vous rappeler les parties de son œuvre les plus intéressantes pour les lettres qui sont votre premier souci. Votre curiosité ne sera pas non plus frustrée si j’essaie de montrer l’homme dans l’écrivain et d’honorer en lui les qualités plus intimes, chères à ses proches et à ses amis, car votre compagnie est, je le sens déjà, comme une sorte de haute famille à qui rien du cœur des siens n’est indifférent.

S’il m’a fallu limiter l’étude d’une vie aussi pleine, ce n’est pas d’ailleurs que les documents m’aient fait défaut. Ancien condisciple du fils aîné de M. Duvergier de Hauranne, j’ai eu la précieuse fortune d’être amicalement introduit dans le sanctuaire, aujourd’hui désert, de ses méditations. J’ai vu là ses livres, ses manuscrit, ses notes innombrables, le pupitre élevé où il écrivit jusqu’à ses derniers jours, debout comme un lutteur. Il m’a semblé sentir autour de moi toutes ses pensées lui survivre et veiller encore, peuple invisible et muet, dans le lieu même où elles sont nées.

La retraite où un esprit laborieux, un cœur droit ont sans défaillance concouru à. la recherche de la vérité, au culte du bien, inspire à l’âme un pieux recueillement ; elle en sort meilleure et plus fidèle à sa propre tâche. Telle est l’impression que j’ai rapportée de cette visite et sous laquelle je demeure en venant esquisser devant vous à grands traits le passé de M. Duvergier de Hauranne.

Il naquit en 1798. Sa famille, originaire de Bayonne, avait fourni à cette ville, depuis le seizième siècle, des maires, des échevins, des syndics, et s’était plus tard établie à Rouen ; c’est là qu’il fut élevé. Sa volonté fut de bonne heure exercée, car il ne dut guère compter que sur lui-même pour parfaire son éducation. Son père, député sous la Restauration, tout entier aux affaires, ne le dirigeait qu’à peine, et sa mère mourut trop tôt pour son enfance souffreteuse. Elle fut toutefois suppléée dans ses soins, autant qu’une mère peut l’être, par une tante, Mme Quesnel, femme très distinguée.

De précieuses lettres de M. Duvergier de Hauranne à cette tante m’ont été communiquées, et j’y ai puisé des renseignements pleins de saveur sur ses premiers voyages et le premier éveil de ses idées littéraires et politiques. Nous le trouvons à Paris de 1818 à 1820, élève de l’École de droit. Une recommandation bien inattendue l’y avait précédé.

Il était petit-neveu du fameux abbé de Saint-Cyran, directeur de Port-Royal. Paris, au commencement de ce siècle, comptait encore un grand nombre de Jansénistes, surtout dans le quartier des écoles parmi les savants, les hommes de loi. Ils ont presque tous disparu aujourd’hui ; on m’a dit qu’un vieux chiffonnier dépositaire, malheureusement ignoré, des reliques de la communauté, est mort il y a sept ou huit ans. On sait combien l’étudiant, récemment affranchi de la discipline étroite des collèges, goûte avec passion les prémices de sa liberté. M. Duvergier de Hauranne ne se piquait point d’une rigoureuse exactitude aux leçons. Un jour l’un de ses professeurs lui fit demander de venir le voir. L’élève qui s’attendait à quelque semonce ne répondit pas sans appréhension à cet appel. Mais, à sa grande surprise, le maître l’accueillit avec une politesse voisine de la déférence, et, loin de le réprimander, lui exprima le désir qu’il avait eu de voir le petit-neveu de l’illustre abbé de Saint-Cyran. Bien plus, jaloux de son impartialité, il crut que sa conscience l’obligeait à se récuser quand le jeune Duvergier de Hauranne se présentait aux examens, tant sa vénération pour ce nom était profonde ! Tous les examinateurs heureusement ne partageaient pas ce scrupule, et notre étudiant put obtenir ses diplômes.

Si j’ai rappelé la parenté de M. Duvergier de Hauranne avec l’abbé de Saint-Cyran, c’est qu’il n’est pas sans intérêt de comparer entre eux deux hommes d’une même famille à plusieurs siècles de distance. On éprouve combien les mœurs et les lumières de deux époques différentes ont pu chez eux diversement influer sur le même sang, et cette double épreuve nous les fait mieux connaître l’un et l’autre.

Supposons donc un instant que l’abbé de Saint-Cyran soit né à la fin du siècle ; qu’au lieu de s’être préparé par un commentaire opiniâtre de saint Augustin à la direction des consciences, qui est une sorte de gouvernement, il ait, comme son petit-neveu, fait son apprentissage politique en étudiant l’histoire d’Angleterre et trente ans seulement après la révolution française.

Figurons-nous qu’au lieu de recevoir sans discussion la croyance établie, il ait assisté avec indépendance aux leçons de Jouffroy, de Cousin, et pénétré, avec ces guides sagaces, la philosophie de Kant et de Reid.

Imaginons qu’au seuil de sa carrière il ait, au lieu de Jansénius, rencontré, comme petit-neveu, Stendhal et son petit Désaugiers, et qu’enfin, au lieu de n’avoir quitté Bayonne que pour Louvain, il ait pu comme lui courir le monde, visiter Londres, Rome, Athènes.

Nous aurons, n’en doutons pas, ressuscité un Duvergier de Hauranne très peu différent du nôtre. L’abbé de Saint-Cyran nous apparaîtra, comme un ardent et pur parlementaire, peut-être même, comme un austère républicain. Ne dit-il pas en effet quelque part : « Les grands sont si peu capables de m’éblouir que, si j’avais trois royaumes, je les leur donnerais, à condition qu’ils s’obligeraient à en recevoir de moi un quatrième dans lequel je voudrais régner avec eux ; car je n’ai pas moins un esprit de principauté que les plus grands potentats du monde. » N’est-ce pas là revendiquer avec hauteur sa part de souveraineté, et en réclamer l’exercice au nom d’une égalité qui, pour être chrétienne, n’en est pas moins impérieuse ? « Si nos naissances sont différentes, dit-il ensuite, nos courages peuvent être égaux. » Mais ne vous alarmez, Messieurs, ni ne vous réjouissez de cette fierté démocratique ; il ne rêve l’égalité des droits que pour les élus dans le ciel. Ce n’était pas au ciel, mais bien ici-bas, que son petit-neveu aspirait à voir triompher ses doctrines libérales ; et cette différence des ambitions marque bien la différence ales temps :

Nous venons de voir, par un jeu de l’imagination, l’âme de Saint-Cyran émigrer à travers deux siècles pour se survivre en quelque sorte dans notre contemporain. Si par une fiction inverse nous transportons celui-ci au dix-septième siècle, nous reconnaîtrons qu’il n’aurait guère qu’à changer de visage et d’habit pour y jouer le personnage du célèbre abbé. Sainte-Beuve nous dit en effet que : « Tout en s’inquiétant fort de la vérité théologique, M. de Saint-Cyran voyait les choses du salut plus en dehors des livres et de la science que ne les voyait Jansénius. » C’est-à-dire que chez lui, comme chez son neveu, l’action primait la spéculation. Il appréciait comme lui les idées surtout par leur rapport à la pratique.

En un mot ils n’étaient ni l’un ni l’autre des rêveurs ; à défaut de leurs doctrines, leur extraordinaire puissance de travail en ferait foi. Notre Duvergier de Hauranne, à Port-Royal, eût donc pu fort bien suppléer l’autre. Sa droiture qui fût aisément devenue rigide, son intégrité scrupuleuse, son penchant à réformer plutôt qu’à subir, tout en lui l’eût naturellement prédisposé à la direction des consciences. Dans cette fonction délicate il ne lui en eût pas plus coûté qu’à M. de Saint-Cyran, d’appliquer la règle aux grands et de maintenir sa fierté devant leurs menaces. Il eût trouvé, comme lui, dans son tempérament des ressources contre la complaisance, car il ressemblait à son grand-oncle par son caractère comme par sa constitution physique même. « Il n’y avait, dit Sainte-Beuve, en M. de Saint-Cyran rien de moelleux, mais les nerfs mêmes en ce qu’ils ont souvent de plus mêlé et d’inextricable. » Ajoutez à ce trait que l’esprit de principauté, que s’attribuait le Janséniste et qui n’était pas étranger à son petit-neveu, ne va pas sans quelque âpreté d’humeur.

Il est probable qu’au dix-septième siècle la foi eût assez facilement conquis M. Duvergier de Hauranne à la vie religieuse.

Comme tous les hommes d’action il ne pouvait supporter le doute, car le doute c’est l’indécision. Il lui fallait une solution immédiate au problème de la destinée humaine ; la plus noble le satisfit bientôt. Sur les bancs de la Sorbonne où régnait alors la philosophie des maîtres fameux que j’ai nommés, il épousa sans retour le spiritualisme servi par l’éclectisme et il y trouva le repos de la conscience. Il était de ces intelligences avides de voir clair qui renoncent à la profondeur en haine de l’obscurité. C’est que l’évidence, hélas ! pareille à la lumière, ne s’attache qu’à la surface des choses et en laisse le fond dans la nuit.

Ce parallèle a mis en relief les dons naturels de M. Duvergier de Hauranne ; je voudrais vous rappeler l’usage qu’il en fit pendant sa longue carrière.

Nous l’avons laissé passant ses examens de droit. La jurisprudence, à vrai dire, ne le prenait pas tout entier. Cédant aux séductions d’une société de jeunes gens fort dissipés, il paya son tribut à la littérature légère. On chantait beaucoup alors. En dépit de récents désastres, le génie gaulois n’était pas encore attristé chez les Français. On avait une immense réserve de gloire à épuiser, et malgré leur deuil les vaincus se laissaient un peu consoler de leur dernière défaite par leur affranchissement.

Il se fit admettre à la réunion du Caveau ; cette académie de la gaieté française était alors fort prospère. Il y rencontra Désaugiers, les deux spirituels auteurs des Soirées de Neuilly, Dittmer et Cavé, et quelques auteurs dramatiques dont les noms ne sont pas oubliés, tels que Ramond de la Croisette et Mazères. Mérimée fut de ses amis. La passion du théâtre s’empara de lui : il faisait queue, tous les jours, pendant des heures entières, pour entrer au parterre de la Comédie-Française, où l’on se tenait debout. Ce n’est pas là toutefois qu’il prit ses inspirations pour composer les deux ou trois vaudevilles dont il est l’auteur, mais dont la valeur était bien rassurante pour son avenir d’homme d’État. Le théâtre, c’est l’action, et plus d’un homme d’action s’y est d’abord essayé par instinct.

Il était temps que M. Duvergier de Hauranne s’arrachât à cette vie peu faite pour le préparer à sa véritable destinée. Il se mit à voyager. De 1820 à 1826, il fit deux séjours prolongés en Angleterre, visita le midi de la France, la Belgique, la Hollande, la Suisse à pied avec M. Beugnot, l’Italie, en compagnie de Stendhal, de Delécluze et du guide le plus précieux, Ampère. Partout il apportait à l’examen des monuments, des lois et des mœurs, une curiosité très sincère, parfois même singulièrement passionnée, car je lis, dans le journal manuscrit de son premier voyage à Rome, cette phrase qui sied à un historien et que nul artiste, non plus, ne désavouerait : « Je n’ai point encore osé visiter ces lieux (le forum et le Colisée) consacrés par de si grands souvenirs ; ils m’inspirent un respect, je dirais presque une frayeur dont je ne puis me rendre compte. » Mais l’Angleterre devait surtout, par le puissant intérêt qui s’attache à ses institutions, captiver et instruire cet esprit essentiellement politique. L’influence des impressions qu’il y reçut fut décisive sur son avenir.

« Mes opinions, écrivait-il à sa tante, se sont étrangement modifiées depuis que je suis en Angleterre..., il me prend des moments de désespoir où je désirerais, pour les Bourbons comme pour nous, qu’ils fussent restés en Angleterre, puisque malgré leurs bonnes intentions ils ne peuvent nous assurer cette tranquillité dont nous avons tant besoin. »

Son second voyage d’outre-Manche, où, de Londres, il alla explorer l’Irlande et l’Écosse avec MM. de Montalivet et de Montebello, devait achever de renouveler toutes ses vues. On peut dire que chez M. Duvergier de Hauranne le parlementaire a pris naissance sur le sol anglais. Sa collaboration au Globe date de cette époque ; elle est trop importante pour que je ne m’y arrête pas. Il fut l’un des premiers rédacteurs de cette feuille généreuse où, sous l’inspiration modératrice de MM. Guizot, Cousin, Villemain, de Barante et de Broglie, une élite à la fois ardente et sensée, enthousiaste et sérieuse, de jeunes écrivains qui sont tous devenus célèbres, fit ses premières armes. J’aime à vous rappeler cette milice qui a fourni à votre compagnie plusieurs de ses membres. Bien que le Globe, à son origine, ne fût pas un journal politique, il servait le libéralisme en opposant à la littérature impériale encore souveraine, un esprit d’émancipation qui devait bientôt prévaloir dans toutes les expressions de la pensée. La poésie surtout secoua de ses ailes toute entrave et reprit librement son vol. M. Duvergier de Hauranne s’associa si vaillamment à cette révolution littéraire, que vous me permettrez d’essayer d’en bien comprendre toute la portée pour ne pas amoindrir la part d’honneur qui lui en revient. « Le goût, en France, attend son 14 Juillet », écrivait M. Vitet dans un remarquable article sur le romantisme. L’affranchissement du goût, Messieurs, est en réalité contemporain de la Révolution française. C’est André Chénier qui, par le seul battement de son cœur, par la seule respiration de son génie, rompit le premier les lisières de l’imitation classique.

Oui, la sincérité littéraire, qui est la naturelle conformité de l’accent à l’émotion, se retrouve enfin, pour la première fois, dans ses vers, après un siècle de fausse imitation. Sa mort devait, pour la poésie, reculer la délivrance du langage jusqu’à l’avènement de Lamartine, d’Alfred de Vigny, d’Alfred de Musset, de Théophile Gautier, d’autres encore, mais surtout d’un poète d’une trempe sans égale dont le nom vénéré est sur vos lèvres.

Jusque-là une solennité fastidieuse alanguissait le style sous prétexte de l’élever. On ne peut, en effet, s’élever sans perdre pied, et, si l’on ne consent pas à redescendre, on oublie bientôt le sol résistant où s’appuie le monde solide et coloré pour ne se complaire que dans les régions où la vie manque de l’air respirable. Là les sens s’émoussent et deviennent moins exigeants, mais la passion, séparée du sang qui la fait palpiter, déclame au lieu de crier ; le sentiment se subtilise et, en planant, se refroidit. En un mot l’abstraction supplante la vie, la convention supplante la nature. L’erreur des poètes du commencement de ce siècle était d’imposer au style une noblesse constante qui prétendait au sublime, et en était la négation même. Le sublime, en effet, ne peut être soutenu ; il est par essence intermittent, car il implique un soudain changement de niveau qui nous fasse sentir la profondeur ou l’élévation. Dès qu’il dure, il décourage l’attention surmenée ; et il ennuie. Le romantisme est, au fond, une insurrection contre le genre ennuyeux, le seul mauvais, selon Voltaire. M. Duvergier de Hauranne devait être, plus que personne, ennemi de ce genre-là. Il fut, dans la critique, un des plus résolus champions de la nouvelle école ; il la soutenait avec moins de réserve que la plupart de ses collaborateurs qui, à vrai dire, la protégeaient contre les excès de ses plus fougueux partisans. J’éprouve une surprise attendrie à voir tous ces écrivains que leurs aptitudes vouaient à la politique et à l’histoire, prendre en main les intérêts des lettres pures, de la poésie ; nous sommes aujourd’hui peu habitués à recruter des alliés de cette sorte. Nous n’en trouvons plus guère ; peu s’en faut que la poésie lyrique n’intéresse plus que ses adeptes. À l’époque où paraissait le Globe, il y avait, au contraire, correspondance et sympathie entre la nation et ses poètes. Les mêmes sentiments inspiraient la Muse et lui assuraient des échos. D’une part l’Empire, à la fois oppressif et glorieux, avait, après sa chute, laissé dans les esprits une exaltation générale et, en quelque sorte, habituelle ; un souffle d’épopée, où se mêlait un soupir de délivrance, soulevait encore toutes les poitrines. D’autre part les études historiques, en se transformant, renouvelaient la vision du passé ; le moyen âge surtout, récemment découvert, enrichissait l’imagination de vives couleurs et de figures saillantes. La poésie était alors passionnée, expansive, et partant populaire.

Une vingtaine d’années plus tard, le public commençait à s’en détacher, et pendant toute la durée du second Empire le divorce s’accomplit. Les poètes ne tentèrent même pas de reconquérir l’attention d’une foule qu’on ne savait que trop bien amuser, et, tandis que le plus grand d’entre eux gardait et nourrissait le feu sacré dans l’exil, chacun des autres en cachait avec jalousie une étincelle dans son âme. Les poètes se retirèrent sur le Parnasse. Cette retraite où ils se recueillirent, en les séparant du peuple, les rendit à la fois moins enthousiastes et plus raffinés. Ils concentrèrent tout leur amour exclusivement sur leur art pour en approfondir les secrets, et, par certaines recherches de formes très savantes dont les initiés seuls pouvaient jouir, ils se donnèrent le fier plaisir de rendre leurs œuvres inaccessibles aux profanes. Le culte de la versification ne pouvait que profiter à la poésie, car il n’y a pas d’exemple d’un vers mal fait qui soit poétique, ni d’un vers vraiment bon qui ne soit beau.

La lyre que nous reçûmes de ces artistes consommés sortit de leurs mains rigoureusement construite et bien accordée. Quel usage en feront ceux qui la tiennent ? Persisteront-ils à demeurer étrangers aux passions qui agitent le monde autour d’eux, ou se feront-ils, par une réconciliation désirable, les interprètes de la pensée moderne dans ses plus récentes conceptions de l’univers et de la destinée humaine ? Je souhaite ardemment cette réconciliation et je ne désespère pas de la voir un jour s’accomplir ; mais les poètes forment encore une famille isolée au milieu d’une société qui peut vivre sans eux et dont ils ne peuvent se passer. Leur condition n’y est pas devenue favorable. En échange du pain quotidien qu’ils sont inhabiles à pétrir, ils offrent une fleur de luxe dont le parfum n’est sensible qu’à l’âme. Toutefois, si cette fleur est dédaignée, parce qu’elle n’apaise pas la faim, elle n’est pas méprisée, car on sent par instinct qu’elle est le plus délicieux produit de la culture humaine, et que c’est la tyrannie seule des besoins inférieurs qui en rend l’utilité secondaire. Au fond toute l’industrie, avec ses machines les plus puissantes et les plus ingénieuses, ne vise qu’à l’entière libération de l’esprit par l’asservissement des forces physiques ; on ne fait des machines qu’afin de pouvoir faire autre chose. C’est grâce à ces dociles esclaves que l’humanité pourra s’adonner à la recherche du vrai pour lui-même et à la création du beau, à la science et à la poésie dans sa plus large acception. Vu de haut et dans son plus distinctif caractère, l’homme n’est-il pas un poète qui travaille à s’affranchir de la brute ? La dignité de la poésie ne fut jamais mieux comprise qu’en 1830.

M. Duvergier de Hauranne définit à merveille le romantisme : « C’est la liberté, c’est l’imitation directe de la nature, c’est l’originalité... Il convient toujours mieux de copier la nature que des copies de la nature, de recevoir l’impulsion de son temps que celle d’un autre, de créer que de reproduire... La vérité, tel est le but vers lequel nous marchons à grands pas, et, après avoir éclairé la politique et la religion, elle ne restera pas exclue de la seule littérature... L’ennemi, c’est la routine. Ici, comme partout ailleurs, l’ancien régime lutte contre le nouveau, la foi contre l’examen. » J’extrais ces passages de ses articles du Globe, tout pleins d’une verve caustique dont le bon sens fait la puissance. La devise des romantiques, la formule qui résume leur programme est, selon lui, la suivante : « Asservissement aux règles de la langue, indépendance pour tout le reste. »

Ai-je besoin de rappeler, Messieurs, que, dans ces professions de foi romantiques, votre compagnie, gardienne prudente des traditions dont elle a le dépôt, est traitée avec un de ces dédains juvéniles dont le caractère est de ne pas durer plus longtemps que votre rancune ?

La plupart des articles où j’ai puisé les citations précédentes sont consacrés au théâtre, qui avait encore toute sa prédilection. Admirateur et ami de Victor Hugo, il ne ménageait guère les adversaires du grand initiateur qui débutait alors. On devine avec quels transports il applaudit Hernani, où les principes du romantisme devaient bientôt trouver l’application la plus hardie. Cinquante ans après, ses mains affaiblies pouvaient, mêlées aux nôtres, applaudir encore le triomphe, définitif cette fois, de la cause qu’il avait si impétueusement défendue. Mais nous, les derniers venus, qui jouissons paisiblement du bénéfice des luttes passées, nous n’en ressentons plus les âpres émotions. Il n’en est resté pour nous que les avantages, et dans nos cœurs une infinie gratitude envers le héros de la bataille. Je ne puis me refuser la joie et l’honneur de remercier ici, au nom de tous les poètes de ma génération, le maître de qui nous relevons tous. Il a étalé au grand jour, sur la place publique, avec une témérité magnanime, le vocabulaire entier du peuple français, et il a dit aux poètes : Choisissez maintenant. C’est à nous d’y choisir, mais du moins notre choix ne connaît plus de prohibitions arbitraires. Désormais l’inspiration peut nous manquer, non les ressources pour la traduire.

Après avoir combattu, au Globe, en critique plein de sens, de courage et de verve, pour la cause de la liberté dans les lettres, M. Duvergier de Hauranne y donna, jusqu’en 1830, beaucoup d’études politiques de la plus sérieuse valeur. Il convient de signaler, au premier rang, ses lettres sur les élections anglaises qui firent pendant plusieurs semaines le succès du journal. Toutes ses qualités s’y rencontrent ensemble à un haut degré ; l’observateur s’y montre aussi sagace que l’écrivain y est vif et spirituel. Ses lettres sur la situation de l’Irlande, que la crise actuelle rend particulièrement intéressantes à relire, ne furent pas moins remarquées. C’est dans le Globe qu’il commença la publication des nombreux écrits par lesquels il initia la plupart de nos hommes d’État d’alors au jeu des institutions anglaises.

La vie politique de M. Duvergier de Hauranne ne devait commencer qu’en 1831, lors de sa première élection de député à Sancerre, mais ses relations l’y préparèrent de très bonne heure. Dès 1822 il fréquentait les salons de Paris les plus recherchés, celui de Mme la duchesse de Broglie, fille de Mme de Staël, et celui de Mme de Serre. Bien qu’il eût alors vingt-cinq ans à peine, ce qui l’attirait dans les réunions du monde, c’était beaucoup moins les fêtes que le commerce des hommes distingués.

Il déclare dans une lettre à sa tante qu’il se rend au bal comme au ministère, par devoir et non par plaisir. « C’est, dit-il, un temps de liberté pour les filles, un temps d’esclavage pour les jeunes gens. » Parole d’un jeune homme assurément sérieux. Et il ajoute ce trait caractéristique de l’époque : « J’ai vu, de mes propres yeux, l’ultra-marquise du faubourg Saint-Germain balancer avec le plébéien libéral de la Chaussée d’Antin, et le fils d’un membre de l’extrême gauche chasser croiser avec la femme d’une ganache de l’extrême droite. »

Son entrée dans la haute société d’alors lui profita. La raison si ferme et si droite du duc de Broglie, qui devint un de ses plus chers amis, les belles et saisissantes formules politiques de Royer-Collard, l’eurent bientôt séduit ; il devint le disciple zélé de ces hommes éminents. Par son goût pour les études historiques et par le fond grave de sa pensée toujours préoccupée des principes, il était acquis d’avance au groupe des doctrinaires. L’enseignement de MM. Guizot et Villemain, ses amis, le passionna.

En relatant les influences qui décidèrent de son avenir politique, je n’ai garde d’oublier son mariage qui détermina son établissement dans le Cher où il fut élu huit fois député. Certes, M. Duvergier de Hauranne, s’il m’entendait, serait moins sensible à l’éloge que je lui consacre qu’à l’hommage rendu au mérite de la compagne admirable dont la sollicitude dévouée, assumant tous les soins domestiques, affranchissait sa pensée.

Nous touchons, Messieurs, à la période exclusivement politique de la vie de M. Duvergier de Hauranne ; période qui embrasse vingt années de 1831 à 1852. Au moment où elle s’achevait, j’étais au lycée. Pour moi elle appartient donc entièrement à un passé dont je n’ai pas été spectateur, et dont aucune histoire définitive, c’est-à-dire désintéressée, n’a pu encore être faite. Dans ces conditions il serait plus sûr pour moi d’avoir à parler devant vous du règne de Clovis ou de Charlemagne que de celui de notre dernier roi, car vous n’auriez sur moi que l’avantage d’une érudition dont tous les matériaux pourraient être mis à ma portée. Mais, si je me hasardais témérairement à déserter le domaine littéraire et moral pour entrer dans l’appréciation des faits, j’en crois apercevoir plus d’un parmi vous qui opposeraient à mes allégations leurs souvenirs personnels, à mes jugements leurs impressions encore vives. Aussi bien votre compagnie n’est pas un corps politique, et, comme elle ne considère dans ses élus que leurs titres les moins discutables, devant lesquels toutes les divisions s’effacent dans un commun amour du beau, elle ne veut écouter non plus que des éloges où la postérité n’ait rien à réviser. Or, quel que doive être son suprême arrêt, nous pouvons affirmer dès aujourd’hui qu’elle reconnaîtra, parmi les qualités maîtresses de M. Duvergier de Hauranne, la véracité absolue et la recherche la plus loyale du bien public.

Elle ne peut manquer de louer, dans l’homme d’État, le mépris constant des distinctions extérieures et de la popularité, dans l’historien la précision, l’exactitude la plus religieuse, et dans l’écrivain le talent le mieux approprié aux matières qu’il traite, la clarté, la rapidité, l’aisance, l’élégance naturelle, qui constituent le génie même de notre langue. Je ne voudrais pas, Messieurs, qu’aucune exagération discréditât mes louanges à vos yeux ; mais, si, dans l’œuvre que j’étudie, les qualités n’atteignent pas à ce degré magistral qui confère aux écrits la gloire, on ne contestera pas les mérites tout français que vous y avez vous-mêmes reconnus.

Les travaux de M. Duvergier de Hauranne, à la Chambre des députés, se composent d’une dizaine de rapports et d’une quarantaine de discours, dont la moitié environ traite de questions financières et économiques. Il y fait preuve d’une intégrité jalouse et d’une compétence dont je ne saurais me faire juge, mais que M. Thiers estimait fort et caractérisait d’un mot bien expressif, quoique peu gracieux, en appelant M. Duvergier de Hauranne le dogue du budget parce qu’il le défendait à belles dents. J’ai cherché l’orateur en lui dans ses discours moins spéciaux, dans ceux, par exemple, qu’il prononçait devant ses électeurs, ou sur les projets d’adresse en réponse aux discours du Trône. J’y ai trouvé plus de netteté que d’ampleur ; or l’éloquence est moins faite de justesse et d’esprit, que de passion entraînante.

Sa prédilection pour les institutions anglaises, qu’annonçaient déjà ses lettres au Globe et qui influa tant sur sa conduite politique, s’accuse de plus en plus dans les nombreux articles qu’il donna en 1827, puis dix ans plus tard, à la Revue française, et surtout à la Revue des Deux Mondes de 1837 à 1845. La plume alerte du publiciste y sert une intime connaissance des partis et de leurs chefs en Angleterre. C’est aussi dans la Revue des Deux Mondes qu’il publia ses deux savants articles sur la situation et l’avenir de la Grèce, où l’on sent toute la sûreté de coup d’œil qu’il devait à la vue directe des choses, car il écrivit ces pages à son retour d’un voyage qu’il fit en Orient au printemps de l’année 1844.

Je n’ai pas rencontré dans son œuvre un exposé complet et systématique de toutes ses idées fondamentales, de celles qui ont régi ses jugements particuliers dans le grand nombre d’écrits dont je viens de faire à peine le dénombrement. On en connaît toutefois les principales quand on a lu ses trois ouvrages intitulés : Des principes du gouvernement représentatif et de leur application. — Politique extérieure et intérieure de la France. — De la réforme parlementaire et de la réforme électorale, publiés successivement en 1838, 1841 et 1847.

Le dernier a été le plus remarqué. On peut le lire encore avec beaucoup de fruit. Au chapitre V, par exemple, ses considérations profondes sur le vote électoral sont très dignes d’être méditées. Je relève dans la préface de la troisième édition cette profession de foi :
« Le gouvernement représentatif vrai, voilà l’étude sur laquelle j’ai toujours eu les yeux fixés, voilà le but vers lequel, par des moyens variables, j’ai tendu invariablement. »

Cette étude, il la poursuivait dans de patientes recherches historiques. En 1846 il préparait une histoire parlementaire d’Angleterre dont les nombreux documents ont été trouvés réunis dans ses papiers. Mais ce projet fut interrompu par les plus graves préoccupations.

On connaît l’importance que prit soudain le rôle de M. Duvergier de Hauranne en 1848, à la suite d’une agitation détournée de son but par le tour imprévu des évènements. Il avait cru que les meetings anglais pourraient être impunément importés en France, et la réforme électorale, dont il s’était fait le promoteur, devait, dans sa pensée, conjurer la révolution. Sa méprise le mit le premier à l’épreuve, car, au lendemain du 24 février, à la fois modérateur impuissant d’un mouvement démocratique dont il redoutait les aveugles écarts, et défenseur respectueux d’une constitution qu’il avait acceptée, il ne pouvait pas plus être républicain sans réserves que partisan d’un coup d’État. Deux discours très sages et admirablement composés, l’un sur la division du pouvoir législatif où il proposait l’institution des deux Chambres, l’autre sur le droit au travail, et la collection des articles pleins de clairvoyance qu’il publia dans le journal l’Ordre jusqu’à la veille du deux décembre, attestent sa fermeté contre tous les entraînements.

Membre de l’Assemblée législative, fidèle à son mandat, il fut arrêté à la mairie du Xe arrondissement et enfermé successivement à Mazas, à Vincennes et à Sainte-Pélagie. Son arrestation prête à un rapprochement curieux. Il fut conduit, avec un grand nombre de ses collègues, de la mairie à la caserne du quai d’Orsay par le général Forey qui les précédait à cheval. Il a raconté que, parmi ceux qui les voyaient passer, plusieurs admiraient cette garde d’honneur qui accompagnait jusqu’au lieu de leur séance ces membres de l’Assemblée souveraine.

Quand son grand-oncle Saint-Cyran, environné de vingt-deux archers du guet fut mené au donjon de Vincennes par les ordres de Richelieu, d’Andilly, son ami, qui traversait le bois, le rencontra dans cet équipage, et grand fut son étonnement de le voir en si nombreuse compagnie. « Où donc allez-vous mener tous ces gens-ci ? » lui dit-il. — « Eh ! ce sont eux qui me mènent, » répondit M. de Saint-Cyran.

La similitude des deux aventures n’est cependant pas entière, car M. de Saint-Cyran disait aux archers : « Allons où le roi me commande d’aller. Je n’ai pas de plus grande joie que lorsqu’il se présente des occasions d’obéir. »

Éloigné temporairement de France par décret, M. Duvergier de Hauranne y rentra en 1853 après avoir séjourné en Belgique, en Suisse et en Italie. Il se livra dès lors tout entier à la composition de son ouvrage le plus considérable, l’Histoire du gouvernement parlementaire. Il avait vu naître et périr en France ce gouvernement ; il apportait à étudier les causes de sa chute toute la curiosité d’un médecin malheureux qui fait une autopsie. L’avouerai-je, Messieurs ? le premier regard que je portai sur ces dix volumes d’environ six cents pages chacun ne fut pas encourageant pour le poète. J’entrepris cette lecture comme on accepte un devoir, même avec une secrète prédisposition à feuilleter plutôt qu’à lire. Mais l’introduction, qui est fort belle, me captiva tout d’abord. J’en admirai la lucidité, le style ferme et simple, et de volume en volume jusqu’au dernier je m’attachai toujours davantage à cette œuvre. J’y avais presque tout à apprendre ; c’est assez dire que je me reconnais incapable de rendre devant vous entière justice à l’auteur. Lui-même d’ailleurs, dans un de ses derniers articles du Globe sur un livre de M. de Salvandy, il semble m’avoir d’avance averti des difficultés de ma tâche et excusé de ne pas l’accepter toute : « Il y a plusieurs hommes, dit-il, dans l’historien : le savant qui recueille les faits et les compare, l’artiste qui les combine et les colore, le philosophe qui les interroge et les juge. » Et il ajoute que pour critiquer le savant il faudrait presque avoir fait les mêmes recherches que lui, et qu’on est ainsi le plus souvent obligé de ne s’en prendre qu’à ses deux collaborateurs, le philosophe et l’artiste. C’est aussi d’eux seuls que je m’occuperai.

La philosophie de notre historien n’est pas explicite, il faut la chercher au fond de sa politique. Je croirais trahir sa mémoire si, malgré mon incompétence, je n’appliquais toute mon attention à comprendre la noblesse de sa pensée. Entre l’entière licence qui crée le pur état de guerre, et la servitude qui est une mort, l’histoire nous montre les sociétés subissant beaucoup de régimes intermédiaires. N’en peut-on pas concevoir un qui se tienne aussi éloigné de l’anarchie que du despotisme, un régime où l’individu ne sacrifie à la société que le moins possible de son indépendance, c’est-à-dire exactement ce qu’il est tenu de lui en abandonner pour qu’elle soit tenue à son tour de respecter et de garantir ce qu’il en conserve ? Et ce qu’on appelle la liberté en politique, n’est-ce pas précisément cette part d’indépendance que la société est tenue de garantir dans chacun de ses membres ? Ce régime moyen qui est, par définition même, l’idéal politique, où la liberté s’identifie à la justice, quel gouvernement peut le procurer à un peuple ?

C’est le gouvernement parlementaire que M. Duvergier de Hauranne avait jugé le plus propre à réaliser la plus grande liberté politique possible, et il voulut étudier ce régime dans les essais qui en ont été faits sous la royauté depuis la Restauration. Il ne lui venait pas à la pensée qu’il pût y avoir incompatibilité entre la royauté et le gouvernement représentatif ; loin de là, l’une lui paraissait être un organe essentiel de l’autre. C’est dans cet esprit que toute son Histoire du gouvernement parlementaire a été écrite. Quant à l’artiste, dans la composition de cet ouvrage, il s’est montré fort habile. La masse des matériaux qu’il lui a fallu remuer, ordonner et mettre en œuvre, était énorme, car cette histoire en implique trois, celle des évènements intérieurs et extérieurs qui, à quelque titre, pouvaient intéresser le gouvernement, celle des débats dans les Chambres, et celle de l’opinion publique sur ces évènements et sur ces débats. Il ne suffisait pas à l’historien d’être bon narrateur ; il devait, dans l’analyse et le résumé des principaux discours prononcés dans les assemblées, faire preuve de l’intelligence la plus intime de toutes les questions et d’un véritable talent de rédaction.

J’ai entendu exprimer le regret que dans cet ouvrage il se soit montré si sobre de portraits. Il eût excellé, j’en conviens, à dégager et à faire saillir le signe expressif d’un caractère. Il n’aurait eu pour y réussir qu’à s’abandonner à sa verve satirique ; mais n’a-t-il pas mieux fait de s’en défier ? Du reste la peinture des personnages n’entrait ni dans le plan ni dans l’esprit du livre. Les évènements mêmes y sont seulement rappelés ; l’auteur en fait plutôt la constatation que le récit, car il ne les raconte pas pour eux-mêmes, mais pour leur influence sur le régime politique du pays, et pour l’intelligence des discussions qu’ils soulèvent dans les Chambres. La formation des partis, leurs alliances, leurs divisions, leurs combats d’éloquence, les luttes du scrutin avec les surprises et les triomphes qui les suivent, en un mot toute la vie parlementaire faite de vicissitudes imprévues, voilà ce qu’il a voulu nous représenter. Pour moi, je l’avoue, ce drame tout intellectuel et moral, qui naît dans les consciences et se déroule dans les Assemblées, m’émeut d’une autre façon mais non moins profondément que les faits qui le traduisent au dehors. Les plus grandes transformations sociales sont en germe dans ces débats où la seule arme est la parole. Les batailles de la plume m’inspirent un intérêt de même nature. Rien ne m’a donc paru mieux justifié que la part considérable faite dans cet ouvrage à l’histoire de la presse, et rien ne m’a paru plus attachant. On y voit naître, lutter avec une législation variable, puis mourir ou se transformer, toutes ces feuilles dont l’action obstinée fut si puissante et dont pourtant les noms seuls sont restés dans notre mémoire. Cette histoire est certainement une des parties les plus neuves de l’ouvrage. J’ai dit un mot des principes et de l’art de l’historien, je voudrais faire apprécier également sa conscience.

La condition de l’historien contemporain des faits dont il nous parle est singulièrement difficile. Nous exigeons de lui deux qualités qui semblent incompatibles. Il faut qu’il soit tout à la fois impartial et bien informé. Or il n’est jamais mieux informé que s’il a été mêlé aux évènements qu’il raconte, s’il a vécu dans les entrailles mêmes de la société qu’il décrit ; mais alors il lui devient presque impossible d’en dépouiller les préjugés et les passions pour se rendre capable de prononcer des jugements tout à fait libres. M. Duvergier de Hauranne avait profondément senti ces difficultés. Pour demeurer juste, il s’est mis en garde contre lui-même avec une force qui étonne et une délicatesse qui touche. Il a surveillé sévèrement sa vivacité naturelle, et si parfois il rencontre une de ces figures devant lesquelles l’histoire envie à la comédie son rire, il sait retenir la saillie près de lui échapper, il a le courage héroïque de sacrifier à la dignité de l’historien le trait d’esprit qu’on sentait déjà poindre au bout de sa plume. Pour mesurer en lui tout le mérite de cette possession de soi, il suffit de rapprocher de son Histoire du gouvernement parlementaire ses articles du Globe. Quelle différence de ton ! Certes, les années avaient dû modérer l’entrain du style, en apaiser l’allure ; mais, quand il composait ce livre, il n’avait pas encore atteint l’âge de la suprême clémence. On pouvait craindre qu’il ne jugeât les hommes de la Restauration, dont il n’avait vu que le déclin, avec les sentiments qui l’animaient à l’égard des héritiers de leurs principes.

On est surpris, au contraire, de la prudence de sa critique où le blâme et l’éloge sont également tempérés, et, se souvenant de sa polémique incisive, on lui sait gré de sa modération comme d’une générosité. Il n’est guère qu’un défaut auquel sa férule ne se résigne pas à faire grâce, c’est le manque de simplicité ; aucun, à vrai dire, n’est plus contraire à sa nature. Aussi l’attitude politique de Chateaubriand, par exemple, qu’il juge vaine et peu sincère, réveille-t-elle l’ironie au coin de ses lèvres.

Ce serait mon devoir encore de louer dans l’auteur la bonne foi et la sûreté de ses informations. Permettez-moi d’en prendre pour garant un des hommes qui l’ont le mieux connu. M. Odilon Barrot, dans son testament où il recommande la publication de ses Mémoires, lui rend ce témoignage : « Je compte beaucoup sur Duvergier, qui est « l’exactitude personnifiée, pour les lire. »

M. Duvergier de Hauranne terminait son Histoire du Gouvernement parlementaire, et il venait de recevoir dans votre accueil le prix de ce long et important labeur, quand éclata la guerre de 1870, qu’il n’avait que trop exactement prévue, mais dont nul cœur français n’eût osé imaginer l’issue. Il revint aussitôt dans le Berry pour mettre à la disposition de ses concitoyens son expérience politique et le reste de ses forces, tandis que ses deux fils payaient leur dette à leur pays ; le cadet fut blessé au combat de Beaune-la-Rolande.

Accablé du malheur national, M. Duvergier de Hauranne s’ensevelit dans sa retraite studieuse sans pouvoir s’y soustraire à l’amère tristesse de voir ses amis divisés sur les moyens d’assurer l’avenir de la France. Il prit la politique en dégoût, plutôt par lassitude que par désespoir. C’est à l’amitié qu’il consacra le dernier effort de sa plume : il ne publia plus rien après son article touchant de la Revue des Deux Mondes sur M. de Rémusat dont l’affection l’avait fidèlement accompagné pendant cinquante ans.

Un vif éclair de joie avait traversé son mélancolique recueillement : la libération du territoire français fit tressaillir toutes ensemble dans son âme les nombreuses et profondes racines de son patriotisme. Une communauté de vues presque constante l’avait, dès sa jeunesse, attaché à M. Thiers, et, depuis 1840, était devenue une étroite association de sentiments ; le grand bienfait national qui commençait le relèvement de la France lia davantage encore sa politique à celle de son ami.

Vivre longtemps est une faveur redoutable ; des pertes cruelles et rapprochées assombrirent ses derniers jours. Il dut survivre à son fils Ernest, qu’il avait vu non sans orgueil hériter de son talent d’écrivain et lui succéder dans la carrière parlementaire avec un éclat et une autorité précoces ; puis à Mme Duvergier de Hauranne, dont la mort fut en quelque sorte le commencement de la sienne. De si grands deuils parurent libérer son âme en la détachant de tous les intérêts inférieurs ; vaincue, elle s’était comme assouplie par une douce tolérance et une indulgence sereine. Il n’avait gardé des passions de ce monde que celle du vrai et celle de la liberté, pour l’avenir de laquelle il tremblait encore. Il s’éteignit à son tour, entouré de ses enfants et de ses petits-enfants qu’il aimait d’une tendresse profonde. Il leur laissait l’exemple d’une vie tout entière vouée au travail de la pensée et à l’idéal qu’il s’était fait du bien public. Il aurait pu, dès sa jeunesse, dans une facile oisiveté, jouir d’un patrimoine qu’il n’avait ni le besoin ni le désir d’accroître ; mais les facultés vives et généreuses dont il était doué n’accordent aucun répit à ceux qui les possèdent. Il faut qu’ils les exercent sans relâche jusqu’à leur dernier jour. J’admire l’indomptable activité des hommes de cette forte génération. Chaque fois que l’un d’eux disparaît, mon regard cherche avec inquiétude combien parmi nous seraient capables des œuvres qu’il a laissées. C’est une inquiétude salutaire qui nous stimule à nous rendre dignes de nos aînés.

Pour moi, je leur envie leur persévérant labeur ; mais il est une autre vertu en eux que je m’efforcerais en vain d’égaler. Quand je songe à l’attrait impérieux, irrésistible, des sciences et des lettres, et que je rencontre un écrivain, un philosophe, un historien ou un savant, en un mot un penseur qui se fait homme politique, j’admire son abnégation. Sacrifier la paix auguste du laboratoire, la féconde solitude du cabinet, au devoir de l’homme d’État dans le tumulte et le bruit de la vie publique, est un héroïsme devant lequel je m’incline. Il faut certes aimer son prochain plus que soi-même pour s’imposer la tâche ingrate de lui faire observer la justice et de le gouverner au prix des jouissances de la science et de l’art. Je bénis et je plains ces citoyens dévoués qui, pour nous assurer, par la recherche des meilleures institutions, le loisir nécessaire à nos travaux, renoncent pour eux-mêmes à ce loisir et au culte exclusif des belles études qu’il permet. Le mérite et l’importance des ouvrages de M. Duvergier de Hauranne me font malgré moi penser avec mélancolie à tout ce qu’il n’a pas trouvé le temps d’achever ou d’entreprendre. Je ne puis me défendre de regretter que ses grands soucis politiques nous aient dérobé les productions purement littéraires qui devaient solliciter sa plume excellente. Ce regret que j’exprime est tout égoïste ; il me le pardonnerait sans doute, mais il ne voudrait pas s’y associer, car il n’eût pu accorder davantage à son goût pour les lettres que par un moindre zèle pour la chose publique.

L’abbé de Saint-Cyran avait coutume de dire dans son langage mystique : « Lorsqu’une chose est faite, il faut la perdre en Dieu, » entendant par là qu’il en faut abandonner résolument les suites à Dieu qui nous demandera compte de l’intention seule. Cette belle maxime aurait pu être la devise de M. Duvergier de Hauranne. Il n’a jamais consulté que sa conscience, et le jugement de sa conscience est le seul qu’il ait jamais redouté



صورة مفقودة
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نص خطاب ماريو بارغاس يوسا في ستوكهولم
ترجمة اسكندر حبش

يشكل النص التالي الذي نترجمه هنا، الخطاب الكامل الذي ألقاه الكاتب البيروفي ماريو بارغاس يوسا يوم السابع من كانون الأول، في ستوكهولم، بمناسبة استلامه جائزة نوبل للآداب التي حازها عن العام 2010. كلمة تشكل «جردة» –إذا جاز القول– لمسيرة أدبية طويلة، حيث يعرج فيها على الكثير من الأمور التي شكلت مساراته المتعددة، والتي جعلته في النهاية يتبوأ منصة نوبل اعترافاً بعمله.
كلمة وثيقة لواحد من أشهر أدباء أميركا اللاتينية، يعرض فيها للعديد من الأفكار التي تستحق أن تقرأ، لعلنا تدخلنا أكثر إلى قلب أدب هذا الكاتب. كلمة أخيرة، هي أن العناوين الفرعية في هذا النص هي من وضع المترجم.

تعلمت القراءة وأنا في عمر الخامسة، في صف الأخ جوستينيانو، في مدرسة «دو لا سال» في كوشامبمبا (بوليفيا). شكل ذلك أهمّ حدث في حياتي. بعد سبعين سنة من حصوله، ما زلت أذكر بوضوح هذا السحر، سحر ترجمة كلمات الكتب إلى صور، ما أغنى وجودي، محطماً حواجز الفضاء والزمن، متيحاً لي أن أجتاز مع القبطان نيمو في غواصته عشرين ألف فرسخ تحت أعماق البحار، أن أناضل إلى جانب دانتانيان وأتوس وبورتوس وأراميس ضد المؤمرات التي كانت تحاك ضد الملكة زمن الداهية ريشوليو، أو أن أتنزه في أحشاء باريس، لأصبح جان فالجان، حاملاً على ظهره جسد ماريوس الهامد.
كانت القراءة تحول الحلم إلى حياة والحياة إلى حلم، واضعة بين يدي الصبي الصغير الذي كنت عليه فضاء الأدب. روت لي أمي أن أولى الأشياء التي كتبتها كانت متواليات للقصص التي قرأتها، لأنني كنت أشعر بالحزن على نهاياتها أو لأنني رغبت، يومها، في تصحيح الخواتيم. ربما كان ذلك ما قمت به طيلة عمري من دون أن أدري: أن أطيل في الزمن –بينما كنت أكبر وأنضج وأشيخ– القصص التي ملأت طفولتي بالحماسة والمغامرات.
تمنيت لو أنّ أمي حاضرة هنا الآن، أمي التي شعرت دائماً بالعاطفة الجياشة والتي كانت تبكي حين تقرأ قصائد أمادو نيرفو وبابلو نيرودا؛ كما جدي بيدرو، صاحب الأنف الطويل والصلعة اللامعة، الذي كان يحتفي بأشعاري، والخال لوتشو الذي شجعني كثيراً على استثمار الجسد والروح في الكتابة، على الرغم من أن الأدب، في تلك الحقبة وفي تلك المنطقة، لم يثر الكثير من عشاقه. طيلة حياتي وجدت إلى جانبي أناساً يحبونني ويشجعونني وينقلون لي إيمانهم حين ينتابني الشك. بفضلهم، وبدون شك، بفضل عنادي أيضاً والقليل من الحظ، استطعت أن أخص جزءاً كبيراً من وقتي لهذا الشغف، لهذه الآفة ولهذا السحر: أن أكتب، أن أخلق حياة موازية استطعت اللجوء إليها ضد الضراء، والتي أحالت المدهش إلى طبيعي والطبيعي إلى مدهش، التي بدت الطاووس، التي جملت القبح، التي خلدت اللحظة وجعلت من الموت عرضاً عابراً.
لا شيء كان أسهل من كتابة القصص. حين تصبح كلمات، كانت المشاريع تذوي على الورقة، بينما تتمدد الأفكار والصور. كيف السبيل إلى إحيائها؟ لسعادتي، كان أساتذتي موجودين هنا كي أتعلم منهم وكي أحتذي مثالهم. علمني فلوبير أن الموهبة نظام لازب وصبر طويل. علمني فوكنر بأن الشكل –الكتابة والبنية– هو الذي يحيل الموضوع كبيراً أو فقيراً. بينما مارتوريل وثربانتس وديكنز وبلزاك وتولستوي وكونراد وتوماس مان علموني بأن العدد والطموح هما أيضاً مهمان في رواية بقدر المهارة الأسلوبية والإستراتيجية الحكائية. علمني سارتر بأن الكلمات هي أفعال وبأن على الرواية أو المسرحية أو البحث أن تلتزم بالراهن وبالخيار الحسن، إذ يمكن لها أن تغير مجرى التاريخ. علمني كامو وأورويل، بأن أدباً عديم الأخلاق هو أدب غير إنساني، بينما وجدت عند مالرو، بأن ثمة مكاناً للبطولة والشعر الملحمي في اللحظة الراهنة كما كان عليه الأمر في عصر «الأرغونوت» والالياذة والأوديسيه.
في استدعائي، في خطابي هذا، كلّ الكتاب الذين أدين لهم، قليلاً أو كثيراً، فلأن ظلالهم تقودنا إلى العتمة. إنهم عديدون. لم يفشوا لي فقط أسرار مهنة الكتابة، بل جعلوني أيضاً أسبر أغوار الإنساني، أن أعجب بمآثرهم وأن أرتعب أمام ضياعهم. كانوا أكثر الأصدقاء خدمة، محركي قدري وقد اكتشفت في كتبهم أنه، حتى في أتعس الظروف، ثمة أمل يستحق أن نعيش من أجله، أمل بأنه من دون الحياة لن يمكننا أن نقرأ أو أن نتخيل القصص.
أحياناً سألت نفسي عما إن لم تكن الكتابة –في بلد مثل بلدي حيث هناك القليل من القراء والكثير من الفقراء والأميين واللاعدالة وحيث تبقى الثقافة حكراً على عدد قليل من الناس– تساءلت إن لم تكن امتيازاً أحادياً. بيد أن هذه الشكوك لم تخنق قريحتي، إذ استمررت في الكتابة دائماً، حتى في الأوقات التي كانت فيها الأعمال الغذائية تمتص وقتي بأسره. أعتقد أني تصرفت بتعقل إذ، لكي يزدهر الأدب في مجتمع، علينا بداية أن نصل إلى الثقافة العالية، إلى الحرية، إلى الرخاء إلى العدالة، وإلا لما انوجدت أبداً. على العكس من ذلك، بفضل الأدب، بفضل الوعي الذي شكله وبفضل الرغبات والانطلاقات التي شكلها وبفضل انسحار الواقع بعودة قصة جميلة، نجد أن حضارتنا اليوم أصبحت أقل قسوة مما كانت عليه زمن الحكواتيين الذين أخذوا على عاتقهم أنسنة الحياة عبر أقاصيصهم. لكنا بقينا أتعس بدون الكتب الجيدة التي قرأناها؛ لكنا أكثر امتثالية، أقل قلقاً، أقل خضوعاً ولما انوجدت الروح النقدية التي تشكل محرك التقدم. كل شيء يشبه الكتابة، أن نقرأ يعني أن نحتج ضد عدم كفاية الحياة. نبحث في المتخيل (الرواية) عن الذي لم نعبر عنه، بدون الحاجة عن قول ذلك حتى من دون أن نعرفه، نبحث فيها عن أن الحياة مثلما هي عليه لا تكفي لكي تردم عطشنا المطلق الذي يشكل أساس شرطنا الإنساني وبأن عليها أن تكون أفضل. نبدع الروايات كي نستطيع التعايش، بطريقة ما، الحيوات المتعددة التي نرغب في الحصول عليها حين لا نملك بالكاد سوى حياة واحدة.
بدون الروايات نصبح أقل وعياً لأهمية الحرية التي تحيل الحياة معاشة، وحين يصبح الجحيم –الذي يتكون حين تداس هذه الحرية بأقدام الطغاة– فكرة إيديولوجية أو ديناً. ليتساءل أولئك الذين يشكون بالأدب، الذي يغرقنا بحلم الجمال والسعادة، الذي ينذرنا باضطراد تجاه جميع أشكال الهيمنة، ليتساءلوا لِمَ تخشاه كل الأنظمة المنهمكة بمراقبة سلوك مواطنيها من المهد إلى اللحد، لدرجة أنها على أهبة تشييد أنظمة رقابة كي تقصيه كما رقابتها بكثير من الارتياب للكتّاب المستقلين. في الواقع، تعرف هذه الأنظمة جيداً، أن المجازفة بترك المخيلة طليقة في الكتب يحيل الروايات أداة تحريض كبيرة، حين يقارن القارئ بين الحرية –التي أتاحتها له القراءة بانتشارها– وبين الظلامية والخوف اللذين يؤرقانه في العالم الواقعي. أرغبوا في ذلك أم لم يرغبوا، أعرفوا ذلك أم لم يعرفوا، يعبر القصاصون، حين يبدعون القصص، عن عدم رضاهم بإظهارهم أن العالم صُنع بطريقة سيئة، وأن حياة المتخيل أغنى من الرتابة اليومية. إن تجذرت هذه البديهية داخل الحساسية والوعي، ستحيل المواطنين أكثر قدرة على المجابهة، على عدم قبول أكاذيب أولئك الذين يرغبون في إقناعنا بأنهم يعيشون بشكل أفضل وبطمأنينة أكبر، بين القضبان، ووسط محاكم التفتيش والسجانين.

الجسور
يمدّ الأدب الجيد الجسور بين البشر المختلفين، وحين يتركنا نشعر بالمتعة أو بالعذاب أو حين يفاجئونا، نجده يجمعنا بعيداً عن لغاتنا ومعتقداتنا وعاداتنا وأحكامنا المسبقة التي تفرقنا. حين ابتلع الحوت الأبيض الكبير، «آشاب» في البحر، خفقت قلوب القراء، بالطريقة عينها في طوكيو وليما وتومبكتو. وحين ابتلعت مدام بوفاري الأرسنيك، أو حين رمت آنا كارينينا نفسها تحت عجلات القطار وحين صعد جوليان سوريل إلى المقصلة، وحين في قصة «الجنوب» لـ بورخيس، خرج الطبيب اللطيف خوان دالمان من المقهى كي يواجه قاتلاً بالسكين، او حين تيقنا بأن سكان كومولا، هذه القرية الواقعة في بيدرو بارامو، قد ماتوا، فإن ثمة رعشة مماثلة تنتاب القارئ أكان يعبد بوذا أو كونفوشيوس أو المسيح أو الله أو حتى لو كان غنوصياً. أكان يرتدي سترة وربطة عنق أم كان يضع جلابية أو كيمونو أو بومباشاس. يخلق الأدب أخوة في قلب التنوع الإنساني ويزيل الحدود التي يصطنعها بين الرجال والنساء الجهل والايديولوجيات والأديان واللغات والحمق.
كما عرفت العصور الماضية الرعب، يعرف عصرنا هذا رعب المتعصبين والإرهابيين الانتحاريين، إذ ثمة عينة قديمة مقتنعة بأنها حين تقتل تكسب الجنّة، بأن دماء الأبرياء تغسل العار الجماعي وتصحح الظلم وتفرض الحقيقة على المعتقدات الخاطئة. هناك العديد من الضحايا التي تقدم كل يوم في مختلف أنحاء العالم من قبل الذين يعتبرون أنفسهم مالكي الحقيقة المطلقة. كنا نعتقد أنه مع انهيار الإمبراطوريات التوتاليتارية سيفرض كل من التعايش والسلام والتعددية وحقوق الإنسان نفسه وبأن العالم سيترك خلفه الهولوكست والمذابح والغزوات وحروب الإبادة. بيد أن لا شيء من ذلك حدث. إننا نرى أمامنا مرور أشكال جديدة من البربرية، التي ينسجها التعصب، ومع تضاعف أسلحة الدمار الشامل، لا نستطيع أن نستبعد فرضية أن أي مجموعة من المنقذين المجانين يمكن لها أن تحدث يوماً كارثة نووية. علينا أن نقطع الطريق عليهم، أن نواجههم وأن نشل حركتهم. ليسوا كثيري العدد على الرغم من أن ضوضاء جرائمهم ترن في كل أرجاء هذا الكوكب كما أن نقف مذهولين من الرعب من جراء هذا الكابوس. علينا أن لا نقف مكتوفي الحراك من قبل أولئك الذين يرغبون فيسلبنا حريتنا التي تحصلنا عليها طيلة هذه السيرورة الطويلة من الحضارة. يجب أن ندافع عن الديموقراطية الليبيرالية التي، وعلى الرغم من جميع «مساوئها»، لا زالت تعني التعددية السياسية والتعايش والتسامح وحقوق الإنسان واحترام النقد والانتخابات الحرة، وتناوب السلطة، أي تعني كل الذي أخرجنا من الحياة المتوحشة وقرّبنا –على الرغم من أننا لم نصل إليها في الواقع– من الحياة الحلوة والمتكاملة التي صنعها الأدب، أي تلك الحياة التي لا يمكن أن نستحقها إلا باختراعها، إلا بكتابتها وبقراءتها. حين نواجه التعصب القاتل فإننا بذلك ندافع عن حقنا في الحلم كما في تحويل أحلامنا إلى واقع.
مثلي مثل العديد من كتّاب جيلي، انتسبت في شبابي إلى الماركسية واعتقدت بأن الاشتراكية ستصبح العلاج الذي ينبغي استغلاله تجاه الظلم الاجتماعي الذي كان يكبل بلادي وأميركا اللاتينية وباقي دول العالم الثالث. بعد مغادرتي اشتراكية الدولة والجماعية، كان انتقالي، لأكون الديموقراطي والليبرالي الذي أنا عليها –الذي أحاول أن أكونه- طويلاً وصعباً. تحقق ذلك ببطء بعد أن تيقنت من متوازيات أحداث الثورة الكوبية، المثيرة جداً للحماسة في بداياتها، والمثال السلطوي والعمودي للاتحاد السوفياتي، وشهادات المنشقين التي كانت تُهرّب من خلف أسلاك الغولاغ الشائكة، واجتياح تشيكوسلوفاكيا من قبل حلف وارسو، كما بفضل مفكرين مثل ريمون آرون وجان فرانسوا روفيل وإيزيا برلين وكارل بوبر إذ أني مدين إليهم بإعادة تثميني للثقافة الديموقراطية ولمجتمعاتها المفتوحة. شكل هؤلاء المعلمون مثالاً للوضوح والجرأة، حين تراءى وكأن الانتلجنسيا الغربية قد سقطت –برعونة أو انتهازية– تحت تأثير سحر الاشتراكية السوفياتية، أو تحت –وهنا الأسوأ– الضوضاء الدموية للثورة الثقافية الصينية.

مدن
حلمت منذ طفولتي في أن أذهب إلى باريس، إذ بعد أن سحرني الأدب الفرنسي، اعتقدت بأن العيش هناك وتنشق الهواء الذي تنشقه بلزاك وستاندال وبودلير وبروست، سيساعدني لأن أصبح كاتباً حقيقياً، وبأن عدم خروجي من البيرو سيجعلني شبه كاتب في أيام الآحاد والأعياد. صحيح جداً أني مدين لفرنسا وللثقافة الفرنسية بتعاليم لا تنسى، كأن أقول إن الأدب هو وحي بقدر ما هو نظام، إنه عمل وعناد. عشت هناك حين كان سارتر وكامو لا يزالان على قيد الحياة ويكتبان، عشت سنوات بيكيت وباتاي ويونسكو وسيوران، زمن اكتشاف مسرح بريشت وسينما إنغمار برغمان، زمن المسرح الوطني الفرنسي أيام جان فيلار وأوديون جان لوي بارو، زمن الموجة الجديدة والرواية الجديدة، زمن تلك خطابات أندريه مالرو وشجاعاته الأدبية. ربما عشت أيضاً أكثر العروض الأوروبية مسرحة ألا وهي عواصف الجنرال ديغول أولمبية. بيد أن أكثر ما أعترف به لفرنسا هو جعلها لي أن أكتشف أميركا اللاتينية. هناك عرفت أن البيرو تشكل جزءاً من «طائفة» كبيرة واحدة متحدة بالتاريخ والجغرافيا وبالإشكاليات الاجتماعية والسياسية، متحدة بنوع من كينونة واحدة وبهذه اللغة اللذيذة التي تتكلمها وتكتب بها. جعلتني أكتشف أن أميركا اللاتينية تنتج، في تلك السنوات، أدباً جديداً ومثيراً. في فرنسا قرأت بورخيس وأوكتافيو باث وكورتاثار وغارسيا ماركيز وفوينتس وكابريرا إنفانتي ورولفو وأونيتي وكاربانتييه وإدواردس ودونوسو والكثير غيرهم ممن ثورت نصوصهم حينذاك الكتابة السردية باللغة الإسبانية وبفضلهم اكتشفت أوروبا وجزءاً كبيراً من العالم بأن أميركا اللاتينية ليست فقط قارة الانقلابات العسكرية والزعماء السياسيين الهزليين والثوار الملتحين ومراقص المامبو والتشا تشا تشا، بل هي أيضا قارة الأفكار والأشكال الفنية والفانتازيات الأدبية التي تتخطى الطرافة لكي تتحدث لغة كونية.
منذ تلك الفترة وإلى أيامنا، تطورت أميركا اللاتينية، وإن عرفت في ذلك الزلات والعثرات، لكن وكما قال سيزار باييخو في هذا البيت: «هناك، يا اخوتي، الكثير للقيام به». نعاني اليوم بنسبة أقل من الدكتاتورية، ما عدا في كوبا وفنزويلا، وثمة استعداد لمساعدتهما، كذلك من بعض الديموقراطيات الموهومة الشعبوية والمثيرة للضحك كما في بوليفيا ونيكاراغوا. لكن في باقي القارة، وبطريقة ما، نجد ديموقراطية تعتمد على توافق شعبي كبير، وللمرة الأولى في تاريخنا، لدينا يمين ويسار يحترمان –كما في البرازيل وتشيلي والأوروغواي والبيرو وكولومبيا وجمهورية الدومينيكان والمكسيك وفي كل أميركا الوسطى تقريبا– الشرعية وحرية الانتقاد والانتخابات وتعاقب السلطات. في هذا يكمن الطريق الصواب، وإن استمر الأمر على ما هو عليه، إن حاربت الفساد الماكر وتابعت عملية اندماجها في العالم، فإن أميركا اللاتينية لن تبقى قارة المستقبل بل ستصبح قارة اليوم.
لم أشعر أبداً بأني غريب في أوروبا وللحق أقول ولا في أي مكان في العالم. في الأماكن التي عشت فيها، في باريس ولندن وبرشلونة ومدريد وبرلين وواشنطن ونيويورك، في البرازيل أو في جمهورية الدومينيكان، شعرت دائماً أني في وطني. وجدت دائماً مأوى استطعت فيه أن أعيش بسلام، أن أعمل، أن أتعلم أشياء، أن أغذي أوهامي وألتقي بأصدقاء، أن أقوم بقراءات جيدة وأجد مواضيع للكتابة. من دون أن يقترحوا عليّ ذلك، لم يتراء لي أنني أصبحت مواطناً من العالم، حتى إن ذلك لم يضعف ما نسميه «الجذور»، علاقتي مع موطني –وهذا ما ليس له أي أهمية كبرى– إذ حدث الأمر على هذه الطريقة. فالتجارب البيروفية لم تعد تغذي كتابتي ولم تعد تظهر دائماً في قصصي، لدرجة أنها أصبحت تجري بعيداً جداً عن البيرو. أعتقد أن العيش لفترة طويلة بعيداً عن البلد الذي ولدت فيه –أو بالأحرى الذي نسجت فيه علاقات قوية مضيفاً إليها منظوراً صافياً، بالإضافة إلى الحنين الذي يجيد التمييز بين الطارئ والجوهر– يبقي في التماعه كل الذكريات. حب مسقط الرأس ليس واجباً، بيد أنه، وكما كل حب آخر، حركة قلبية طارئة، كتلك التي تجمع بين حبيبين، بين الأهل والأطفال، بين الأصدقاء في ما بينهم.
أحمل البيرو في أحشائي لأني ولدت فيها، كبرت فيها وتشكلت فيها، كما أني عشت هناك تجارب الطفولة والشباب التي كونت شخصيتي، وسنّت موهبتي، ولأني أيضاً أحببت هناك وبغضت وتمتعت وتألمت وحلمت. ما يجري فيها يصيبني باضطراد، يلامسني، يغيظني أكثر مما يجري في أي مكان في العالم. لم أبحث عن ذلك ولم أفرضه على نفسي، لقد حدث بهذه البساطة. بعض مواطنيّ اتهموني بالخيانة وبأني على أهبّة الاستعداد لأن أفقد مواطنيتي حين طلبت –في فترة الدكتاتورية الأخيرة– من حكومات العالم الديموقراطية بمعاقبة النظام بفرض عقوبات دبلوماسية واقتصادية عليه، وهذا ما فعلته دائما مع كل الدكتاتوريات مهما كانت طبيعتها، أكانت دكتاتورية بينوشيه أم دكتاتورية فيديل كاسترو، دكتاتورية طالبان في أفغانستان أم دكتاتورية الملالي في إيران، دكتاتورية النظام العنصري في جنوب إفريقيا أم دكتاتورية المستبدين العسكريين في برمانيا (تسمى ميانمار حالياً). وسأقوم بالأمر عينه غداً –لا شاء القدر ولا سمح بذلك البيروفيون– إذا وقعت البيرو مرة أخرى ضحية انقلاب أحال إلى عدم ديموقراطيتنا الهشّة. بالتأكيد، لم أفعل ذلك تحت تأثير إحساس متسرع وعاطفي كما لاحظ بعض الكتبة المعتادين على الحكم على الآخرين انطلاقاً من «صغرهم». ما قمت به كان عملاً مطابقاً لقناعاتي بأن الدكتاتورية تمثل الشر المطلق لأي بلد، إنها مصدر الفجاجة والفساد، إنها مصدر الجراح العميقة التي تحتاج وقتاً طويلاً لتندمل، تسمم مستقبل البلد وتموضع عادات وممارسات سيئة تستمر طيلة أجيال لتمنع بذلك بناء الديموقراطية. لذلك يجب محاربة الدكتاتوريين بدون رحمة، وبشتى الوسائل الممكنة، بما فيها العقوبات الاقتصادية. من المعيب أن لا نجد الحكومات الديموقراطية تتضامن مع أولئك الذين يواجهون الدكتاتوريات بشجاعة، من أمثال «النساء البيضاوات» في كوبا، والمقاومين في فنزويلا، أو أونغ سان سو كيي وليو كزاوباو، إذ أنها تبدو عطوفة لا تجاه هؤلاء الأشخاص بل تجاه جلاديهم. هؤلاء الشجعان، في محاربتهم من أجل حريتهم يناضلون من أجل حريتنا أيضاً.
أحد مواطنيّ، جوسيه ماريا أرغويداس، وصف البيرو بأنها بلد «الدماء كلها». لا أعتقد أن ثمة صيغة أفضل لوصف بلدي. هذا ما نحن عليه، وهذا ما نجده في شراييننا، في شرايين كل البيروفيين. أأردنا ذلك أم لم نرد نحن مجموعة تقاليد وأعراق ومعتقدات وثقافات أتت من أربع أرجاء الأرض. أفتخر بشعوري بأني سليل الثقافات الما قبل كولومبية التي كانت تصنع النسيج ومعاطف الريش في ناكزا وباراكاس، وسيراميك الموشيكاس أو الإنكا التي تعرض في أفضل متاحف العالم. أنا سليل بنائي ماتشو بيتشو وشيمو الكبير وشان شان وكويلاب وسيبان ووهواكاس والشمس والقمر. أفتخر أيضاً بالأسبان الذين حملوا في حقائبهم إلى البيرو –مع السيوف والخيول– بلاد الإغريق وروما، التراث اليهودي – المسيحي، النهضة، ثربانتس، كيفيدو، غونغورا، كما اللغة القشتالية القاسية التي خففها الآندييون. ومع اسبانيا جاءت أفريقيا بمتانتها وموسيقاها وخيالها الخصب لتغني التعددية البيروفية. لو نقبنا قليلاً لاكتشفنا أن البيرو –تماماً مثل «ألف» بورخيس– هي عيّنة صغيرة عن العالم بأسره. أي امتياز مدهش في أن لا تكون هناك هوية لبلد ما لأنه يحمل الهويات كلها!
بالتأكيد كان فتح أميركا قاسياً وعنيفاً، مثل كل الفتوحات، ويتوجب علينا نقد ذلك، لكن من دون أن ننسى في ذلك، أن الذين ارتكبوا هذا النهب وهذه الجرائم، كانوا في مجملهم أجداد أجداد أجدادنا وأجداد أجدادنا، أي الأسبان الذين ذهبوا إلى القارة الأميركية واختلطوا فيها لا الذين بقوا في أراضيهم. ليكون هذا النقد صائباً، عليه أن يكون أيضاً نقداً ذاتياً. لأننا حين استقللنا عن اسبانيا –منذ مئتي سنة– نجد أن أولئك الذين أداروا السلطة في المستعمرات القديمة، وبدلاً من أن يستردوا الهندي ويعيدوا الحق إليه بسبب الأضرار القديمة التي ارتكبوها بحقه، نجدهم وقد أكملوا استعباده بالطمع عينه والوحشية ذاتها مع العلم أن الفاتحين، في بعض البلدان، قد استأصلوه وأبادوه. لنقل صراحة: إن إعتاق السكان الأصليين، منذ قرنين، هي مسؤوليتنا الخاصة لكننا فوتنا الفرصة. لا تزال هذه القضية معلقة في أميركا اللاتينية بأسرها. ما من استثناء واحد بعد لهذا الخزي ولهذا العار.
أحب اسبانيا بقدر ما أحب البيرو وديني تجاهها كبير أيضاً بكبر اعترافي بجميلها. بدون اسبانيا لما وجدت نفسي الآن فوق هذه المنصة، لما كنت هذا الكاتب المعروف؛ من دونها، لكنت مثلي مثل غيري من الزملاء غير المحظوظين، لكنت بدون شك في حاشية المستكتبين السيئي الحظ وبدون ناشرين وبدون جوائز وبدون قراء ولتم اكتشاف هذه الموهبة –التي قد تشكل العزاء الوحيد– في الأجيال اللاحقة. في اسبانيا نُشرت كتبي كلها وحظيت هنا باعتراف كبير؛ كما أن أصدقاء مثل كارلوس بارال وكارمن بالسيلس، كما غيرهم، قد بذلوا قصارى جهدهم ليجدوا قراء لقصصي. منحتني اسبانيا جنسيتي الثانية حين كدت أفقد جنسيتي الأصلية. لم أشعر يوماً بأي تعارض بين كوني بيروفيا وبأن أحمل جواز سفر اسبانيا لأني اعتقدت دائماً بأن اسبانيا والبيرو هما قفا ووجه الشيء نفسه، وليس ذلك وقفاً على شخصيتي أنا، بل ينسحب ذلك على كل الحقائق السياسية مثل التاريخ واللغة والثقافة.
من كلّ السنوات التي عشتها فوق التراب الاسباني، أذكر لمعان السنوات الخمس التي قضيتها عند حبيبتي برشلونة في بداية السبعينيات. كانت دكتاتورية فرانكو لا تزال قائمة ولا تزال تقتل بعد، بيد أنها كانت يومها بمثابة حاشية ثوب منسولة وبخاصة في مجال الثقافة، إذ كانت الرقابة غير قادرة بالاحتفاظ بممارساتها القديمة. ثمة مسارب كانت تُفتح لم تعد معها الرقابة قادرة على سد هذه الثغرات التي امتص المجتمع الإسباني منها الأفكار الجديدة والكتب والتيارات الفكرية والقيم والأشكال الفنية التي كانت ممنوعة إلى تلك الفترة بسبب اعتبارها أعمالاً تخريبية. ما من مدينة أخرى أفضل من برشلونة مثلت بداية هذا الانفتاح أو عاشت مثل هذا الغليان المماثل في مجال الأفكار والإبداع. لقد أصبحت عاصمة اسبانيا الثقافية، المكان الذي يتوجب علينا أن نكون فيه كي نتنشق مقدمة الحرية التي حلّت لاحقاً. وبطريقة ما، أصبحت أيضاً عاصمة أميركا اللاتينية الثقافية عبر كمية الرسامين والكتاب والناشرين والفنانين الذين قدموا إليها من بلدان أميركا اللاتينية وسكنوا فيها أو عبر الذين كانوا يمرون في برشلونة، لأنه يجب عليهم أن يكونوا هنا إن أرادوا أن يصبحوا شعراء وروائيي ورسامي وموسيقيي زمننا. شكلّت تلك الفترة بالنسبة إليّ سنوات لا تنسى من الرفقة والصداقة والتشارك والعمل الثقافي الخصب. وكما كانت باريس من قبل تماماً، أصبحت برشلونة برج بابل، مدينة كوسموبوليتية وكونية، حيث من المثير أن تعيش فيها وتعمل، وحيث –وللمرة الأولى منذ الحرب الأهلية– اختلط فيها الكتّاب الأسبان بكتّاب أميركا اللاتينية وتآخوا واعترفوا بأنهم أسياد تقليد واحد وحلفاء في مشروع مشترك؛ وبأن ثمة يقيناً بحتمية نهاية الدكتاتورية وبأن الثقافة في اسبانيا الديموقراطية ستكون البطل الرئيسي.

القومية
على الرغم من أن الأمور لم تجر بهذا الشكل بالضبط، إلا أن الانتقال الاسباني من الدكتاتورية إلى الديموقراطية كانت واحدة من أجمل قصص أزمنتنا المعاصرة، إذ أظهرت –حين تهيمن الحكمة والعقل وحين يتخلى الخصوم السياسيون عن التعصب لصالح المصلحة المشتركة– كيف يمكن لأحداث مدهشة أن تحدث كتلك التي نراها في روايات الواقعية السحرية. أثار الانتقال الاسباني من الهيمنة إلى الحرية، من الركود إلى الازدهار، من مجتمع التناقضات الاقتصادية غير المتساوية كما في العالم الثالث إلى بلد من الطبقة الوسطى، اندماجه في أوروبا وتبنيه خلال سنوات قليلة لثقافة ديموقراطية، أثار إعجاب العالم بأسره وأتاح أيضا البدء بتحديث اسبانيا. شكل ذلك بالنسبة إليّ تجربة مؤثرة وغنية وبخاصة في عيشها عن قرب، كل لحظة، من الداخل. لدرجة أن القوميين –هذه الآفة التي لا شفاء منها في العالم المعاصر كما في اسبانيا– لم يتمكنوا من إفساد هذا الحدث السعيد.
أحتقر القوميات بكل أشكالها: الإيديولوجية –بالأحرى الدينية– القروية، ذات الأفكار القصيرة والخاصة، التي تلتهم الأفق الثقافي وتفشي داخله أحكاماً إثنية وعنصرية، لأنها تحول، إلى قيمة عليا، إلى خاصية أخلاقية وأونتولوجية، الظرف الطارئ لمكان الميلاد. كما الدين، كانت القومية في الوقت عينه السبب في أتعس المذابح في التاريخ، كمذابح الحربين العالميتين والنزيف الدامي، الراهن في الشرق الأوسط. ما من شيء آخر كالقومية، ساهم بشكل أكبر في بلقنة أميركا اللاتينية، المدماة بمعارك وخلافات عديمة المعنى، مبذرة بذلك مصادر خيالية بدلاً من بناء المدارس والمكتبات والمستشفيات.
علينا أن لا نخلط القومية وغمامتها ورفضها «للآخر»، التي تشكل دائماً مصدر عنف، مع الوطنية، هذا الشعور السليم والكريم، أي هذا الحب للأرض التي أبصرنا عليها النور والتي عاش فوقها أجدادنا حيث شكلوا فيها أحلامهم الأولى وحيث هي منظر مألوف من الجغرافيا والكائنات العزيزة على قلوبنا والأحداث التي تصبح لحظات – مفاتيح من الذاكرة ومن الدروع ضد الوحدة. ليس الوطن علماً أو نشيداً، ولا الخطابات القاطعة حول الأبطال الإشكاليين، بل هو حفنة من الأمكنة والأشخاص الذي يؤهلون ذاكرتنا ويخضبونها بالحزن والأحاسيس الحارة، أينما كنّا، إذ يشكل ملجأ نستطيع العودة إليه.
البيرو بالنسبة إليّ هي هذه «الأريكيبا» هذا المكان الذي ولدت فيه لكني لم أعشه. مدينة جعلتني أمي وجديّ وعماتي وأخوالي وعمومي وخالاتي أتعرف عليها عبر ذكرياتهم وندمهم، لأن كل قبيلتي العائلية –وكما عادة الأركيبيين عامة– حملت معها دوماً المدينة البيضاء خلال وجودها المترحل. البيرو هي هذه البيورا الصحراوية، هذه الخروبة والحمار الصغير الصبور، الذين كان يسميه البيورانيون في شبابي «قدم الآخر» –تسمية حزينة وجميلة– كان هذه المدينة التي اكتشفت فيها أن اللقلق ليست هي من تحمل الأطفال إلى العالم، بل الأزواج بارتكابهم الرعب الذي كان يعدّ خطيئة مميتة. البيرو هي مدرسة سان ميغيل ومسرح فاريداديس حيث شاهدت للمرة الأولى على خشبته أول مسرحية صغيرة كتبتها. إنها زاوية دييغو فيريه وكولون التي نسميها «الحي السعيد»، والتي بدلت فيها سراويلي القصيرة بالبنطال، وحيث دخنت سيجارتي الأولى وتعلمت الرقص ووقعت في الغرام وغازلت الفتيات. إنها هذه الصالة المغبرة والمتمايلة، صالة تحرير صحيفة «لا كرونيكا»، حيث وأنا في السادسة عشرة من عمري، خطوت أولى خطواتي في عالم الصحافة، وهي مهنة، إلى جانب الأدب، احتلت تقريباً حياتي بأسرها وأتاحت لي، مثل الكتب، أن أعيش أكثر، أن أعرف العالم بشكل أفضل وأن أعاشر أناساً من طبيعة مختلفة ومن آفاق متنوعة، أناساً ممتازين، طيبين، أرذالاً ومنفرين. البيرو هي مدرسة ليونسيو برادو العسكرية حيث تعلمت أنها لا تختزل بالطبقة الوسطى التي عشت ضمنها بل هي بلد كبير وقديم، عنيف وغير متساو، تهزه جميع أنواع العواصف الاجتماعية. البيرو هي هذه الخلايا السرية في كاويدي حيث كنت برفقة حفنة من زملائي في جامعة سان ماركوس، نحضر الثورة العالمية. البيرو، هي أخيراً، أصدقائي في حركة الحرية الذين أمضيت معهم ثلاث سنوات، وسط القنابل، وبدون كهرباء، ووسط التفجيرات الانتحارية، إذ نذرنا أنفسنا للدفاع عن الديموقراطية وعن ثقافة الحرية.
البيرو هي باتريسيا، نسيبتي، ذات الأنف الخانس والطباع الجامحة، التي حالفني الحظ بالزواج منها منذ خمس وأربعين سنة ولا زالت تتحمل إلى اليوم عاداتي وعصابي وثورات غضبي التي تساعدني على الكتابة. بدونها لحمل حياتي منذ زمن طويل إعصار سديمي ولما عرفت ولادة ألفارو وغونزالو ومورغانا، ولا أحفادي الستة الذين يطيلون في وجودنا ويضيفون إليه المتعة. إنها (باتريسيا) هي التي تحل المشكلات، وتدير المصاريف، وتحيل السديم إلى انتظام وتبقي الصحافيين بعيداً، وتدافع عن وقتي وتقرر المواعيد والتنقلات، وتوضب الحقائب وتفرغها، وهي على درجة من الكرم، حتى حين تظن نفسها بأنها توبخني، تكيل لي أجمل أنواع المديح: «ماريو، لا تصلح لأي شيء، سوى للكتابة«.

الكتابة
لنعد إلى الكتابة. لا تشكل جنة طفولتي بالنسبة إليّ أسطورة أدبية، بل هي واقع عشته وتمتعت به في منزل العائلة الكبير ذي الطوابق الثلاثة، في كوشابامبا، حيث مع أنسبائي ورفاق المدرسة، كان بإمكاننا أن نقلّد أقاصيص طرزان وسالغاري، كما في إدارة محافظة بيورا، تحت الروافد التي كانت تعشش فيها الخفافيش، التي تشكل ظلالاً صامتة تحيل سرّ ليالي هذه الأرض الحارة، المنجمة، إلى ليال مأهولة. في تلك السنوات، كانت الكتابة لعبة تصفق لها العائلة، كانت نعمة إذ يطلبون مني القيام بذلك، أنا الحفيد، ابن الأخ، الولد الذي يدون أب، لأن والدي كان توفي وصعد إلى السماء. كان سيداً طويل القامة، جميلاً، ببذلته البحرية، إذ كانت صورته تتصدر الطاولة قرب سريري وبعد أن أتلو صلواتي كنت أقبلها قبل أن آوي إلى الفراش. ذات صباح في بيورا، وأعتقد أنه يوم لم أشف منه مطلقاً، أسرت لي والدتي بأن هذا السيد، في الواقع، لا يزال حياً، وبأننا سنذهب، في ذاك اليوم بالذات، للعيش معه في ليما. كنت في الحادية عشرة من عمري، ومنذ ذاك الحين، تبدل كلّ شيء. فقدت براءتي واكتشفت الوحدة، السلطة، الحياة الراشدة، الخوف. تمثلت نجاتي بالقراءة، قراءة الكتب الجيدة، التجائي إلى هذه العوالم التي مثل العيش فيها أمراً مدهشاً، كثيفاً، مغامرة إثر أخرى، وحيث كنت أشعر معها بالحرية وبالسعادة من جديد. كانت الكتابة، بالخفاء، بمثابة خطيئة لا تُفشى، نذرت نفسي إليها، كانت شغفاً ممنوعاً. توقف الأدب عن أن يكون لعبة، ليصبح شكلاً من مقاومة المحنة، من الاحتجاج، من الثورة، من الهرب مما لا يطاق: سبب عيشي. منذ ذلك الحين وإلى اليوم، وفي جميع الظروف التي شعرت فيها بهزيمتي وبموتي وبأنني على حافة اليأس، كان انكبابي جسداً وروحاً على عملي كقاص بمثابة النور الذي يشير إلى خروجي من النفق، خشبة النجاة التي ستحمل الغريق إلى الشاطئ.
على الرغم من أن ذلك كله يمثل الكثير من الجهد ويجعلني أتعرق كثيراً، إلا أنه وكما كل الكتّاب كنت أشعر أحياناً بتهديد الشلل أو جفاف المخيلة، بيد أن ما من شيء جعلني أحس بالمتعة في الحياة سوى تمضية أشهر وسنوات وأنا أبني قصة، منذ ولادتها غير المتيقنة، أي منذ أن سجلت الذاكرة هذه الصورة بدءاً من تجربة معيوشة لتصبح قلقاً وحماسة وفانتازية ولغاية إنباتها في مشروع وفي قرار بمحاولة تحويل هذا الضباب المأهول بالأشباح إلى قصة. «الكتابة هي طريقة حياة»، قال فلوبير. نعم، بالطبع، هي طريقة في عيش الوهم والفرح، عبر نار تشتعل داخل الرأس، عبر النضال ضد الكلمات العصية لغاية ترويضها، عبر سبر أغوار هذا العالم الفسيح على طريقة صياد يركض خلف طرائده كي يغذي المتخيل النابت لتوه وليخفف هذه الشهية الشرهة والمتعاظمة للقصة التي تريد، باضطرادها، أن تلتهم باقي القصص كلها. في النهاية نصل إلى الإحساس بهذا الدوار التي تدفعنا إليه الرواية وهي في طور الاختمار، حين تأخذ شكلاً لتبدأ العيش على حسابها الخاص، عبر شخصياتها التي تتحرك وتتصرف وتفكر وتحسّ وتتطلب الاحترام والاعتبار، إذ لا يمكننا أن نفرض عليها سلوكاً ما بشكل اعتباطي، أو أن نحرمها من حرية قرارها من دون أن نقتلها، وإلا لفقدت القصة قدرتها على الإقناع. هذه هي التجربة التي تسحرني كما لو أني بعد في التجربة الأولى المليئة، المدوخة، تماماً كما لو أننا نمارس الحب مع المرأة التي نحبها من أيام، أسابيع، أشهر، بدون توقف.
حين حدثتكم عن المتخيّل، حدثتكم كثيراً عن الرواية وقليلاً عن المسرح أحد الأشكال الأخرى الحاضرة. بالتأكيد ثمة ظلم كبير في ذلك. كان المسرح حبي الأول منذ أن شاهدت للمرة الأولى في مراهقتي على مسرح سيغورا في ليما مسرحية «موت مسافر مؤتمن» لـ آرثر ميلر. كان عرضاً غمرني بالعاطفة ودفعني إلى كتابة مسرحية درامية حول الإنكا. لو عرفت مدينة ليما، في الخمسينيات حركة مسرحية لربما كنت الآن مسرحياً وليس روائياً. وبما أن ذلك لم يكن حاضراً، فقد توجهت إلى السرد أكثر فأكثر. بيد أن حبي للمسرح لم يتوقف، استدار على نفسه وغفا في ظل الروايات، كما لو أنه إغواء وحنين، بخاصة حين أشاهد بعض المسرحيات التي تستولي عليّ. في نهاية السبعينيات دفعتني ذكرى قاسية عن عمّة لي، بلغت المئة من عمرها، إلى كتابة قصة، إذ قطعت مع الواقع المحيط بها كي تلتجئ إلى الذكريات والمتخيل. شعرت، كشارة من القدر، بأنها كانت قصة للمسرح، وبأنها فوق الخشبة فقط ستعرف الحياة وبهاء المتخيل. كتبتها برجفة المبتدئين المُثارين وعرفت متعة حقيقية حين تمّ إخراجها على الخشبة حيث قامت ببطولتها نورما ألييندرو. ومذ ذاك، وبين روايتين وبين كتابي بحث، كتبت المسرح عدة مرات. لكن ما لم أتصوره أبداً، هو صعودي في السبعين من عمري لأمشي فوق الخشبة كي أمثل. هذه المغامرة المتهورة، جعلتني أعيش للمرة الأولى، لحماً ودماً، أعجوبة ما يمثله ذلك لشخص أمضى حياته يكتب الروايات، ليجسد خلال ساعات شخصية من بنات خياله، ليعيش المتخيل أمام الجمهور. لن أستطيع أبداً شكر صديقي العزيزين المخرج جوان أوليه والممثلة أيتانا سانشيز غيخون، لأنهما دفعاني إلى مشاركتهما هذه التجربة المدهشة.
الأدب هو تمثيل مخادع للحياة، ومع ذلك، يساعدنا بشكل أفضل على فهمها، على قيادتنا في المتاهة التي ولدنا فيها، التي نجتازها والتي نموت فيها. إنه يعوضنا عن الخيبات والكبت اللذين تصفعنا بهما الحياة الحقيقية إذ بفضله نستطيع أن نفك شيفرة –ولو جزئياً– هذه الهيروغليفية التي يشكلها الوجود بالنسبة إلى غالبية الكائنات البشرية، وبخاصة بالنسبة إلينا نحن المسكونين بالشك أكثر من اليقين. نحن الذين نعترف بترددنا أمام مسائل معقدة مثل السمو والمصير الفردي والجماعي والروح ومعنى التاريخ أو عدم معناه، وما وراء المعرفة العقلية..
شعرت دوماً بالدهشة وأنا أتخيل ظروف أجدادنا غير الأكيدة، إذ ما إن اختلفوا عن الحيوان، حتى ولدت اللغة التي سمحت لهم بالتخاطب في ما بينهم والذين بدأوا في الكهوف حول النار، في الليالي العامرة بالتهديدات –الصواعق والعواصف..– بدأوا باختراع القصص لروايتها على أنفسهم. إنها لحظة قدرنا المصيرية، إذ عبر هذه الدوائر البدائية للكائنات المعلّقة بصوت الحكواتي وخياله، بدأت الحضارة، بدأ الدرب الطويل الذي أنسننا، تدريجياً والذي سمح لنا بإبداع فكرة الكائن الأسمى حين نزعناه من القبيلة، ومعه أبدعنا فكرة العلم والفنون والحق والحرية وسمح لنا تقصي الأحشاء البشرية والجسد الإنساني والفضاء والسفر عبر النجوم. هذه الحكايات والأقاصيص والأساطير –التي رنت للمرة الأولى مثل موسيقى جديدة أمام المستمعين الذين شعروا بالخجل من أسرار وأخطار عالم كان لا يزال مجهولاً وخطراً– لا تزال تمثل حماماً منعشاً، مرفأ لهذه الأرواح المشردة التي تعتبر أن الوجود يعني الأكل وإيواء العناصر والقتل والزنى. ما إن يبدأوا بالحلم جماعياً، بتقاسم أوهامهم، التي يدفعهم الحكواتيون إليها، حتى يتوقفوا بالارتباط بمجرى الحياة، بهذا الإعصار من النشاطات المتوحشة، لتصبح حياتهم حلماً ومتعة وفانتازيا وتصميماً ثورياً ومعركة من أجل إخماد هذه التطلعات وهذا الطموح الذي يثيره عندهم أصحاب الوجوه المتخيلة، كما رغبة في سبر أغوار المجهول الذي يحيط بهم.
لاحقاً، اغتنت هذه السيرورة التي لم تتوقف أبداً بولادة الكتابة، وبأن القصص لا تُسمع فقط بل أصبح بالإمكان قراءتها ما أتاح لنا الوصول إلى استمرارية الأدب. من هنا علينا أن نردد دائماً، وبدون توقف، إلى أن نقنع الأجيال القادمة: الرواية هي أكثر من تسلية، أكثر من تمرين ثقافي يشحذ الحساسية ويوقظ الروح النقدية. إنه حاجة لا غنى عنها كي تستمر الحضارة في الوجود ولتتجدد محتفظين بأفضل الأمور الإنسانية داخلنا. لكي لا نعود إلى بربرية اللاتخاطب ولكي تبقى الحياة وتطول ولا تُختصر ببراغماتية الاختصاصيين الذين يرون أعماق الأشياء لكنهم لا يشاهدون ما يحيط بها. لكي لا نصبح عبيد وخدم الآلات التي تخدمنا بعد أن نخترعها. ولأن عالماً بدون أدب سيصبح عالماً بدون رغبات وبدون مُثُل وبدون نعمة، عالماً آلياً محروماً مما يجعل الكائن بشرياً حقاً: القدرة على الخروج من أنفسنا كي نصبح آخر وآخرين، معجونين بطين أحلامنا.

سؤال الأدب
من الكهف إلى ناطحات السحاب، من الهراوة إلى أسلحة التدمير الشامل، من حياة القبيلة إلى عصر العولمة، ضاعف متخيل الأدب التجارب الإنسانية مانعاً بذلك أن يسقط الرجال والنساء تحت وطأة الخمول والانكفاء على الذات والاستسلام. ما من شيء زرع القلق، هزّ الخيال بهذا القدر كما الرغبات مثل حياة الكذب هذه التي نضيفها إلى تلك الحياة التي نعرفها بفضل الأدب كي نتعرف في النهاية إلى هذه المغامرة الكبرى وإلى هذا الشغف الكبير الذي لن تقدمه إلينا هذه الحياة الحقيقية. إن الأكاذيب في الأدب تصبح حقائق من خلالنا، وقراءه –الذين يتحولون بعد قراءته– يصابون بعدوى التطلعات وذلك بخطأ المتخيل، ليعيدوا طرح الأسئلة دائماً على تفاهة الواقع. عبر هذا السحر الذي يهدهد خيالنا بوهم أننا نملك ما لسنا نملكه، وبأننا أصبحنا ما لسنا نحن عليه في الواقع وبأن ندخل إلى قلب هذا الوجود المستحيل حيث نشعر بأنفسنا –مثل آلهة الوثنيين– بأننا أرضيون وفانون، عبر ذلك كله، يُدخل الأدب في أرواحنا التمرد واللا امتثالية وهما الأمران اللذان يقفان خلف كل الجرأة التي ساهمت في تقليل العنف في العلاقات البشرية. قلت تقليل العنف لا إنهاؤه لأن عنفنا الخاص سيبقى دائماً قصة غير منتهية. لهذا علينا أن نستمر في الحلم، في القراءة والكتابة، وهذا ما يشكل الطريقة الأكثر فعالية التي وجدناها لكي نعزي من شرطنا الفاني، لننتصر على استهلاك الزمن ولنحيل المستحيل ممكنا .ً
 
خطاب قبول فوكنر لجائزة نوبل للآداب
ترجمة: أمير زكي

خطاب قبول الأمريكي ويليام فوكنر لجائزة نوبل للآداب عام 1949
الحفل الذي ألقيت فيه الكلمة أقيم في ستوكهولم يوم 10 ديسمبر 1950

سيداتي وسادتي،

ويليام فوكنر
أدرك أن هذه الجائزة لم تُمنح لي كشخص، ولكن لأعمالي –عمل عمر في معاناة وكفاح الروح الإنسانية، لا للمجد وبالطبع لا للربح، ولكن لخلق شيء من مواد الروح الإنسانية لم يوجد من قبل. بهذه الطريقة فالجائزة ملكي فقط كمسئولية. لن يكون من الصعب إيجاد تخصيص للجزء المالي فيها لمكافأة غرض ودلالة أصلها. ولكني أود أن أقوم بالشيء نفسه بالنسبة للتقدير أيضاً، عن طريق استخدام هذه اللحظة كذروة لما يمكن أن أكون قد سمعته عن طريق الشباب والشابات الذين وهبوا أنفسهم بالفعل لنفس الألم والمهنة، ومن ضمنهم هذا الشخص الذي سيقف يوماً ما هنا في المكان الذي أقف فيه.
مأساتنا اليوم هي خوف جسدي عام وعالمي طال تكبده إلى الآن وكذلك نستطيع تحمله. لم تعد هناك مشاكل للروح. هناك فقط السؤال: متى سيتم تفجيري بسبب هذا، الشاب -أو الشابة- الذي يكتب اليوم نسي مشاكل القلب الإنساني الذي في عراك مع نفسه، هذا الذي يصنع وحده الكتابة الجيدة، لأن هذا فقط ما يستحق الكتابة عنه، ويستحق الألم والكدح.

عليه أن يتعلم ذلك مرة أخرى. عليه أن يُعلّم نفسه أن أساس كل الأشياء هو أن يكون خائفاً؛ وأن يُعلَم نفسه ذلك معناه أن ينساه للأبد، لا يترك مساحة في عمله لأي شيء إلا لحقائق وتأكيدات قلبه القديمة، حقائق العالم القديمة: - أي قصة تفتقد هذا هي قصة عابرة وميتة لا محالة– الحب والشرف والشفقة والفخر والرحمة والتضحية. وحتى يفعل ذلك فهو يعمل تحت لعنة؛ هو لا يكتب عن الحب بل عن الشهوة، عن الهزائم التي لا يخسر فيها أي أحد أي شيء ذو قيمة، عن انتصارات بلا أمل، والأسوأ من الكل، بلا شفقة أو رحمة. أحزانه لا تؤثر في عظام العالم، لا تترك ندوباً. هو لا يكتب عن القلب ولكن عن الغُدد.
حتى يعيد تعلم هذه الأشياء، سيكتب وكأنه يقف وسط البشر ويشهد نهايتهم. أنا أرفض تقبل نهاية الإنسان. من السهل بما يكفي القول إن الإنسان خالد ببساطة لأنه سيتحمل: فحين تطرق الضربة الأخيرة للقدر وتخفت من على الصخرة الأخيرة التي لا قيمة لها المعلقة الساكنة في المساء الأحمر المحتضر الأخير، حتى في وقتها سيظل صوتاً واحداً باقياً: صوته الضعيف الذي لا يهدأ، لا يزال يتكلم.

أنا أرفض أن أقبل ذلك، أنا أؤمن أن الإنسان ليس فقط سيتحمل: ولكنه سينتصر. إنه خالد، ليس فقط لأنه الوحيد بين المخلوقات الذي لديه صوت لا يهدأ ولكن لأن لديه روحاً، نفساً قادرة على الرحمة والتضحية والتحمل. واجب الشاعر والكاتب هو أن يكتب عن هذه الأشياء. إنه امتيازه ليساعد الإنسان ليتحمل عن طريق تعلية قلبه، بتذكيره بالشجاعة والشرف والأمل والفخر والرحمة والشفقة والتضحية، تلك التي كانت مجد ماضيه. صوت الشاعر لا يحتاج فقط لأن يكون تسجيلاً للإنسان، إنه يمكن أن يكون واحداً من الدعائم، العواميد التي تساعده على أن يتحمل وينتصر.



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William Faulkner

Ladies and gentlemen,

I feel that this award was not made to me as a man, but to my work - a life's work in the agony and sweat of the human spirit, not for glory and least of all for profit, but to create out of the materials of the human spirit something which did not exist before. So this award is only mine in trust. It will not be difficult to find a dedication for the money part of it commensurate with the purpose and significance of its origin. But I would like to do the same with the acclaim too, by using this moment as a pinnacle from which I might be listened to by the young men and women already dedicated to the same anguish and travail, among whom is already that one who will some day stand here where I am standing.

Our tragedy today is a general and universal physical fear so long sustained by now that we can even bear it. There are no longer problems of the spirit. There is only the question: When will I be blown up? Because of this, the young man or woman writing today has forgotten the problems of the human heart in conflict with itself which alone can make good writing because only that is worth writing about, worth the agony and the sweat.

He must learn them again. He must teach himself that the basest of all things is to be afraid; and, teaching himself that, forget it forever, leaving no room in his workshop for anything but the old verities and truths of the heart, the old universal truths lacking which any story is ephemeral and doomed - love and honor and pity and pride and compassion and sacrifice. Until he does so, he labors under a curse. He writes not of love but of lust, of defeats in which nobody loses anything of value, of victories without hope and, worst of all, without pity or compassion. His griefs grieve on no universal bones, leaving no scars. He writes not of the heart but of the glands.

Until he relearns these things, he will write as though he stood among and watched the end of man. I decline to accept the end of man. It is easy enough to say that man is immortal simply because he will endure: that when the last dingdong of doom has clanged and faded from the last worthless rock hanging tideless in the last red and dying evening, that even then there will still be one more sound: that of his puny inexhaustible voice, still talking.

I refuse to accept this. I believe that man will not merely endure: he will prevail. He is immortal, not because he alone among creatures has an inexhaustible voice, but because he has a soul, a spirit capable of compassion and sacrifice and endurance. The poet's, the writer's, duty is to write about these things. It is his privilege to help man endure by lifting his heart, by reminding him of the courage and honor and hope and pride and compassion and pity and sacrifice which have been the glory of his past. The poet's voice need not merely be the record of man, it can be one of the props, the pillars to help him endure and prevail.

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طائر في يدي، حيّ هو أم ميت؟: توني موريسون
ترجمة: محمد عيد إبراهيم

نص المحاضرة التي ألقتها الروائية توني موريسون في ستوكهولم عام 1993، احتفالاً بتسلمها جائزة نوبل. أبرز ما في المحاضرة هو الحديث عن عشق اللغة، من خلال أمثولة شعبية زنجية، تنتهي معها إلى أن اللغة الحقيقية لا تخفي معها غنيمة عنصرية مهما كان مستعملوها يشيعون ذلك بين جنباتها.
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توني موريسون
«كان يا ما كان هناك امرأة عجوز. عمياء لكن حكيمة». أو كان رجلاً عجوزاً؟ هادياً، ربما. أو عصبة أطفال متململين بهدوء. سمعت هذه الحكاية، أو أخرى مثلها بالضبط، في سياق ثقافات عديدة.
«كان يا ما كان هناك امرأة عجوز. عمياء. حكيمة».
في الرواية عرفت امرأة كانت ابنة عبيد، سوداء أمريكية، تحيا بمفردها في منزل صغير خارج البلدة. مكانتها كحكيمة دون نظير لا خلاف عليها. بين ناسها هي القانون وانتهاكه معاً. كان التكريم الذي أولوها به والرعب الذي أقاموه من حولها يصل وراء الحي إلى أماكن جد بعيدة، إلى المدينة حيث تكون نباهة المتنبئين الريفيين مصدر تسلية كبيرة.
ذات يوم زار المرأةَ بعضُ شباب كانوا يميلون إلى دحض استبصارها وفضح دجلها الذي يعتقدونه فيها. خطتهم بسيطة: يدخلون منزلها يسألونها السؤال الوحيد الذي سيهدي بجوابه فحسب إلى اختلافها عنهم، الاختلاف الذي سيعتبرونه كعماها: انعدام أهلية تاماً. يقفون وراءها، ويقول أحدهم «أيتها العجوز، إني أمسك في يدي طائراً. فقولي لي حيّ هو أم ميت».
لم ترد، فكرر السؤال: «هل الطائر الذي أمسكه حيّ أم ميت؟»
لم ترد حتى الآن. فهي عمياء غير قادرة أن ترى زوارها، ناهيك عما في أيديهم. لا تعرف لهم لوناً أو جنساً أو موطناً. تعرف فقط حافزهم.
صمتُ المرأة العجوز يطول جداً، وقد تعب الشباب من حبسة الضحك.
تتحدث أخيراً بصوت رفيق لكنه صارم. تقول «لا أعرف، إن كان الطائر الذي تمسكونه حياً أو ميتاً، لكن ما أعرفه بالتأكيد أنه في أيديكم. هو في أيديكم».
يمكن لجوابها أن يؤخذ على محمل: إن كان ميتاً، فقد وجدتموه هكذا أو أنكم قتلتموه. وإن كان حياً فقتله سيحلّ من بعد. أن يكون على قيد الحياة، فهذا قراركم. ومهما تكن القضية فهي مسؤوليتكم.
ولاستعراض قوتهم أمام عجزها، أنّبت زوارها الشباب، أخبرتهم أنهم مسؤولون ليس عن فعلة الاستهزاء بل أيضاً عن حزمة الحياة القليلة التي ضحوا بها في سبيل إنجاز مقصدهم. فكان أن أبدلت العمياء اهتمامهم بعيداً عن ادعاءات القوة إلى الآلة التي تُمارَس القوة من خلالها.
إن تأمل ما يشير إليه الطائر باليد (فضلاً عن هيكله الهش) هو الجذاب عندي على الدوام، بل يستدعي خصوصاً الآن تفكيري عما أؤديه من عمل جلبني إلى هذه الصحبة. لذلك آثرت أن أدلّ على اللغة بهذا الطائر، وعلى الكاتبة المتمرسة بهذه المرأة. فهي قلقة على اللغة التي تحلم بها، الممنوحة لها عند الميلاد، الملموسة، المطروحة للخدمة، حتى التي تمسك عنها لأغراض محددة شائنة.
لأنها كاتبة تفكر في اللغة جزئياً كنظام، وجزئياً كشيء يسيطر عليه المرء، لكن في الأغلب كوسيط، فعلٍ بنتائجه. لذلك كان سؤال الأطفال للمرأة «هل هو حيّ أم ميت؟» غير مصطنع لأنها تفكر في اللغة كشيء قابل للموت، للانمحاء، منذر للخطر بالتأكيد ويمكن تعويضه بجهود الإرادة فقط.
تعتقد لو كان الطائر بأيدي زوارها ميتاً، فالقيّمون عليه مسؤولون عن الجثة. بالنسبة لها، ليست اللغة الميتة ما لم يعد يتحدث به المرء أو يكتبه، بل لأن محتواها صلد فيعجبها ركودها الخاص. مثل اللغة الرسمية، مراقِبة ومراقَبة. متحجرة في واجباتها الحاكمة، ليس بها رغبة أو غرض غير الحفاظ على المجال الحرّ لنرجسيتها المخدرة، لاحتكارها وهيمنتها.

عموماً، هي محتَضرة لا لانعدام تأثيرها بل لأنها تُحبط العقل بشكل فعال، تؤخر الوعي وتقمع الممكن البشري. لا تنفتح على الفضول، ليس لها أن تصوغ أو تُجيز أفكاراً جديدة، أو تشكّل مقاصد أخرى، أو تحكي حكاية أخرى، أو تملأ نسيانات مرتبكة.
تندكّ اللغة الرسمية بجهل مصدّق عليه بامتياز محفوظ، فهي نمط من درع لامع بزينة صادمة، كمحارة غادرها الفارس منذ زمان طويل. لا يزال الأمر هكذا: فهي بكماء ضارية ووجدانية. بمهابة مثيرة لدى أطفال المدارس، وتسبغ حمايتها على الطغاة، تستدعي الذكريات الزائفة للاستقرار والانسجام بين المجموع.
تقتنع أنه حين تموت اللغة، بدافع من الإهمال وسوء الاستعمال وغيبة المهابة واللامبالاة، أو تُقتل بكلمة «ليكن»، فليست هي فقط بل كل مستخدميها وصناعها مسؤولون عن زوالها. في بلادها، قد يعضّ الأطفال ألسنتهم وهم يضعون كرات صغيرة بدلاً من ترديد صوت لغة بكماء مضعِفة ومستضعَفة، لغة يهجرها البالغون كلياً كجهاز تبليغ لمعنى يمدهم باسترشاد أو يعبّرون به عن الحب.
لكنها تعرف أن «انتحار الكلام» لا يوجد في صوت الأطفال فقط، فهو شائع بين الأدمغة الصبيانية لتجار القوة والطبقة، حيث لا تدع لهم لغتهم المفرّغة مدخلاً لما يتبقى من مواهبهم البشرية، لأنهم يتحدثون بها إلى من يطيع أو ليفرضوا طاعة.
يمكن التعرف على النهب المنظم للغة من خلال ميل مستخدميها للامتناع عن استعمال خصائصها الدقيقة المعقدة والمولّدة، كأنها خطر واستعباد. إن اللغة المستبدة تفعل أكثر من تمثّل العنف فهي العنف ذاته، وتفعل أكثر من تمثّل حدود المعرفة فهي تحدد المعرفة.
مهما كانت اللغة رفيعة غامضة أو لغة مبتذلة لإعلام غبي، مهما كانت اللغة أكاديمية متكبرة بل متكلسة أو لغة علم تُساق سلعة، مهما كانت اللغة ضارية لقانون بلا أخلاق أو لغة مفصّلة لإقصاء الأقليات، لتُخفي غنيمتها العنصرية في جانب أدبي ـ فلابد أن تُنبذ وتُعدّل فتنكشف.
هي اللغة التي تشرب دماً، تنطوي في قابلية الانجراح، وتزمّ أحذيتها الفاشية تحت أردية الاحترام والوطنية بينما تسعى في غير شفقة نحو الحد الأدنى والمزاج عويص الفهم. لغة جنسية، لغة عنصرية، لغة قدسية: كلها نماذج للغات مسيطرة حاكمة، عاجزة لا تسمح بمعرفة جديدة أو تحثّ على تبادل مشترك لأفكار.
تعي العجوز بعنف أنه ما من مرتزقة فكري، مستبد نهم، سياسي أو ديماجوجي مدفوع الأجر أو صحفي زائف، يمكنه الاقتناع بأفكارها. هناك إذن وستكون، لغة محرضة لمواطنين مسلِّحين ومسلَّحين، مجزورين وجازرين في المتنزهات، ديار القضاء، مكاتب البريد، الملاعب، غرف النوم، والشوارع المشجرة، لغة منشّطة ومستظهِرة، تُقنّع الشفقة وتُبدّد الموت بغير لزوم.
ستوجد لغة أكثر لياقة لتقرّ الاغتصاب والتعذيب والاغتيال. هناك إذن وستكون، لغة محورة مغوية، فصّلت لخنق النساء، لحزم حلوقهن مثل إوز معجون، بكلماتهن غير المنطوقة المنتهَكَة، ستوجد لغة مراقَبة أكثر بمظهر بحث علمي عن ميول الساسة والتاريخ المبرمج لاستدعاء معاناة ملايين خرساء، لغة فاتنة تثير المستائين المحرومين للانقضاض على جيرانهم، لغة تجريب زائف متعجرفة تمتهن لَجم المبدعين في أقفاص من الدونية والعجز.
لغة تحت الفصاحة والسحر والتداعيات المثقفة عموماً، منشطة أو مغوية، لغة بقلب واهن، أو لا يدق على الإطلاق ـ لو كان الطائر ميتاً بالفعل.
فكرت فيما يكون عليه التاريخ الفكري لأي نظام لو لم يكن مصراً على أو مدفوعاً إلى فاقد الوقت والحياة مما يتطلب مبررات ومتمثلات للهيمنة، فهناك أكثر من خطاب مهلك للإقصاء يسد المدخل على إدراك النابذ والمنبوذ.
الحكمة المألوفة من حكاية "برج بابل" أن الانهيار بلية. ذلك كان النزاع، لربما ثقل اللغات العديدة ما طوّح بعمارة البرج الواهنة. عجّلت لغة الوحدة والتناغم بالمبنى أو وصلت إليه السماء. سماء من، تتساءل؟ ومن أي نوع؟ ربما كانت مأثرة الجنة أنها مبتسرة، وطائشة قليلاً لو لم يتمكن المرء من وقته لسبر لغات أخرى، آراء أخرى، وحكايات أخرى. لو أتيح لهم ذلك، فالسماء التي تخيلوها تحت أقدامهم. مركّبة، متطلّبة نعم لكنها سماء مشهودة كحياة، لا سماء كحياة سابقة.
لم تود أن تُخلّي زوارها الشباب لانطباع أن اللغة ينبغي قسرها لتظل على قيد الحياة ليس غير. فحيوية اللغة تنصبّ من قابليتها على ترسيم حيوات متحدثيها وقرائها وكتّابها، الممكنة والمتخيلة والفعلية. رغم اتزانها أحياناً في إزاحة الخبرة التي لا بديل عنها، تتخذ مسارها نحو المكان حيث يرقد المعنى.
حين فكر رئيس الولايات المتحدة في بلاده التي صارت جبّانة، قال «لن يلحظ العالم قليلاً أو يتذكر طويلاً ما نقوله هنا، لكنه لن ينسى أبداً ما نفعله هنا». كلماته البسيطة مبهجة بخصائصها التي تؤازر الحياة حيث رفضوا تغليف حقيقة أن ستمائة ألف رجل مات في حرب عنصرية عنيفة مفاجئة.
كان يرفض تخليد ذكرى، آنفا من «كلمة أخيرة»، حريصاً على «تبليغ حُكم»، عارفاً «قوتهم البائسة في الإضافة والنقصان»، فكانت كلماته تشير بإذعان لانعدام قابلية أسْر الحياة التي يتفجعون عليها. هو الإذعان يحركها، التسليم بأن اللغة لا تستعيد الحياة مرة أخرى وللأبد، ولا ينبغي لها. ليس للغة أن «تصبّر» العبودية، الإبادة الجماعية، الحرب. ولا ينبغي لها أن ترثي غطرسة لتكون قادرة على الفعل، فقوتها أو لياقتها في وصولها صوب ما لا يوصف.
سواء كانت لغة رفيعة أو هزيلة، متحجرة، منفجرة، أو ترفض التقديس، تضحك بصخب أو تطلق صرخة دون حروف الهجاء، الكلمة المختارة، الصمت المختار، فهي لغة مسالمة تدفق تجاه المعرفة لا نحو دمارها. لكن، من لا يعرف إدانة الأدب لأنه استفهامي، الشك فيه لأنه نقدي، محوه لأنه بديل؟ وكم مرة يُنتَهَك بدعوى اللسان الذي يخرّب ذاته؟
تعتقد العجوز أن عمل الكلمة سامٍ لأنه مولّد، فهو يكوّن المعنى الذي يصون تمايزنا، تمايزنا البشري بالطريقة التي لا نشبه فيها أي حياة أخرى.
نحن نموت، ربما ذلك معنى الحياة. لكننا ننجز لغة، ربما ذلك كنز حياتنا.
«كان يا ما كان،...» يستفهم زوار من عجوز. من هؤلاء الأطفال؟ ماذا يقصدون من المناوشة؟ من الكلمات الأخيرة التي سمعوها منها «الطائر في أيديكم؟» كلمة تُلمّح لتُسقط المزلاج؟ ربما سمع الأطفال «هي ليست مشكلتي. فأنا عجوز، أنثى سوداء وعمياء. قدر حكمتي يتمثل بمعرفتي أنه لا يمكنني مساعدتكم. فمستقبل اللغة يخصكم».
يقفون هناك. افرض لا شيء كان في أيديهم؟ افرض أن الزيارة كانت مجرد حيلة، خدعة، ليتم معهم كلام، ويؤخذوا مأخذ الجد كما لم يكونوا من قبل؟ هي فرصة لتأويل أو تدنيس عالم بالغ، بان عطنُ خطابه من أجلهم لكنه أبداً ليس لهم؟ هناك أسئلة عاجلة راهنة، ضمنها ما سألوه «هل الطائر الذي نمسك به حيّ أم ميت؟»، قد يعني «هل يمكن لأحد أن يقول لنا ما الحياة؟ ما الموت؟» فلا خدعة على الإطلاق، لا سخف. سؤال صريح يستحق الاهتمام من شخص حكيم. عجوز. ولو لم يتسن للعجائز والحكماء الذين عايشوا الحياة وواجهوا الموت أن يوصّفوه، فأنى لغيرهم؟
لكنها لم تفعل فهي تحفظ سرها، جميلَ رأيها لذاتها، أقوالها المأثورةَ، فنها من دون ارتكاب. تحتفظ بمسافتها لتدعمها وتسحبها إلى انفراد عزلة، في فضاء محنّك بامتياز.
لا شيء، لا كلمة تتبع ما صرّحت به من تحوّل. صمت عميق، أعمق من المعنى المتاح بالكلمات التي فاهت بها. صمت تشظى، وأطفال منزعجون يملؤونه بلغة اختُرعت تواً.
يسألونها «أما من كلام هناك، كلمات يمكنك أن تمنحينا إياها تساعدنا في اختراق ملف إخفاقاتك؟ إننا نجتاز التعاليم التي منحتنا منذ قليل ألاّ تعاليم على الإطلاق، نسترعي اهتماماً لما قلت بالقدر نفسه؟ لذلك العائق الذي أقمت بين السماحة والحكمة؟
«ليس لدينا أي طائر بأيدينا، حياً أو ميتاً. لدينا أنتِ فقط وسؤالنا الهام. فهل لا تستطيعين تحمّل العدم الذي بأيدينا، تتأملي فيه أو حتى تخمنينه؟ ألا تذكرين وأنتِ صغيرة أن كانت اللغة سحراً بلا معنى؟ تقولين، فلا يعني شيئاً؟ اللامرئي هو ما كان الخيال يجاهد ليراه؟ كانت الأسئلة ومطالب الأجوبة تحترق في سطوع وأنت ترجفين بغضب من عدم المعرفة؟
«هل علينا أن نبدأ الوعي بأبطال وبطلات معركة كالتي خضتها فعلياً وخسرتِ فتركتنا عدم بأيدينا عدا ما تخيلته فيها هناك؟ جوابك بارع، لكن براعته تورطنا وهي حتماً تورطكِ. جوابك غير محتشم في شكره نفسه. مصنوع لأجل شريط تلفزة لا يعي حاسة إن كان العدم بأيدينا.
«لماذا لم تبسطي يديك فتلمسينا بأصابعك اللينة، تؤجلين عضة الصوت، الدرس، حتى تعرفي من نحن؟ هل ازدريت خديعتنا، طريقة فعلتنا التي لم تريها، ذلك أننا كنا نسعى بلا طائل كي نلفت انتباهك؟ نحن شباب. غير ناضجين. سمعنا طيلة حياتنا القصيرة عن ضرورة أن نكون مسؤولين. ماذا يعنيه ذلك بأية حال، فيما يليق بهذه الكلمة في محتواها الأخير، كما قال شاعر «العدم يحتاج أن ينكشف لأنه سافرٌ بالفعل». إرثنا مهين. تريدين منا أن نأخذ عينيك العجوزين البيضاوين لنرى المعتاد والوحشي. هل تظنيننا أغبياء لنحنث بأنفسنا مرة ومرة في رواية عشيرتنا؟ كيف تجرئين أن تكلمينا عن الواجب ونحن واقفون بخصور غاطسة في مادة من سمّ ماضيك؟
«تستهونين بأمرنا وأمر الطائر الذي ليس بأيدينا. ألا من سياق لحياتنا؟ لا أغنية، لا أدب، لا قصيدة مفعمة بفيتامين، ألا من تاريخ يرتبط بخبرة يمكنك اجتيازه لنجدتنا فنبدأ أقوياء؟ أنتِ راشدة. عجوز حكيمة. فكُفّي عن التفكير لإنقاذ وجهك. فكري في حياتنا واحكي لنا عن دنياك. ألفي قصة. بسرد فطري، يبدعنا لحظة أن يُبتدع. فلن نلومك لو بزّ لسانك عما في قبضتك، لو أشعل الحب كلماتك حتى تغرق في لهب ولا شيء يبقى عداه الحريق.
«أو كما بسكينة يدي جراح، لو خاطت كلماتك مجرد أماكن لربما يفيض دم. نعرف أنك لن تستطيعي ذلك في شكله الصحيح، مرة وللأبد. فالولع ليس كافياً، ولا البراعة. لكن جربي. من أجل خاطرنا وخاطرك انسي اسمك في الشارع، واحكي لنا عن صورة العالم عندك بمسافات العتمة وفي النور.
«لا تحكي لنا عما تعتقدين، عما تخافين. أرينا كساء معتقدك الواسع والفتق الذي ينحلّ عن غشاء خوفك منه. أنتِ يا عجوز، مبارك عماكِ، بإمكانك أن تتحدثي اللغة كما تحكي لنا وسع ما تحكيه لنا اللغة: أن نرى دون صور. وحدها اللغة تحمينا أن نرتاع من أشياء بدون أسماء. وحدها اللغة تفكر.
«احكي لنا ما ينبغي أن تكونه امرأة لنعرف ما ينبغي أن يكونه الرجل. ما يسري على الهامش. ماذا يعني أن نكون في العراء بهذا المكان. على غير هدى مع شخص عرفته. ماذا يعني أن نحيا على طرف المدن التي لا تحتمل عشرتك.
«احكي لنا عن مراكب ترحل عن حد الشواطئ في عيد فصح، ومشيمة مرمية في حقل. احكي لنا عن حِمل حافلة من عبيد، كيف كانوا يغنون بنعومة بالغة حتى ليصعب تمييز نسيمهم من بين ثلج ساقط. كيف كانوا يعرفون من حدبة أقرب كتف أن محطتهم القادمة ستكون الأخيرة. كيف كانوا يفكرون في الحرّ ثم الشموس وأيديهم ضارعة بالغريزة. رافعين أوجههم كلحظة الأسر هناك. منحنين كلحظة الأسر هناك. موقوف بهم عند خان. يدلف السائق وتابعه مع القنديل يخلونهم ليهمهموا بالظلام. يتبخر زفير الحصان في الثلج تحت حوافره وهسيسه، بينما ذوبانه موضع حسد العبيد المُجمّدين.
«يُفتح باب الخان: فتاة وغلام يخطوان بعيداً عن نوره. يصعدان إلى سرير الحافلة. سيكون لدى الغلام بندقية خلال أعوام ثلاثة، لكنه الآن يحمل قنديلاً وإبريقاً من عصير دافئ. يمررانه من فم لفم. تعرض الفتاة خبزاً وقطعاً من اللحم، وشيئاً إضافياً: لمحة لعيون من تقوم على خدمته. حصة من طعام لكل رجل، حصتان لكل امرأة. ونظرة. يردون النظر. محطتهم القادمة ستكون الأخيرة. لكن ليست هذه. فهي محطة دافئة».
يهدأ الحال ثانية حين ينتهي الأطفال من الحديث، حتى تقتحم المرأة الصمت. تقول «أخيراً، أثق بكم الآن. أثق بكم مع الطائر الذي ليس في أيديكم، لأنكم حقاً اصطدتموه. فانظروا. كم هو فاتن، هذا الشيء الذي أديناه ـ معاً».
 
كلمة نجيب محفوظ أمام لجنة جائزة نوبل



سادتي:

في البدء أشكر الأكاديمية السويدية ولجنة نوبل على التفاتها الكريم لاجتهادي المثابر الطويل, وأرجو أن تتقبلوا بسعة صدر حديثي إليكم بلغة غير معروفة لدى الكثيرين منكم, ولكنها هي الفائز الحقيقي بالجائزة, فمن الواجب أن تسبح أنغامها في واحتكم الحضارية لأول مرة,ولي كبير الأمل ألّا تكون الأخيرة,وأن يسعد الأدباء من قومي بالجلوس بكل جدارة بين أدبائكم العالميين الذين نشروا أريج البهجة والحكمة في دنيانا المليئة بالشجن..

سادتي
أخبرني مندوب جريدة أجنبية في القاهرة بأنّ لحظة إعلان اسمي مقروناً بالجائزة ساد الصمت,وتساءل كثيرون عمّن أكون,فاسمحوا لي أن أقدَّم نفسي بالموضوعية التي تتيحها الطبيعة البشرية,أنا ابن حضارتين تزوجتا في عصر من عصور التاريخ زواجاً موفقاً أولاهما عمرها سبعة آلاف سنة وهي الحضارة الفرعونية وثانيتهما عمرها ألف وأربعمائة سنة وهي الحضارة الإسلامية,قُدّر لي أن أولد في حضن هاتين الحضارتين,وأن أرضع لبانهما وأتغذى على آدابهما وفنونهما,ثم ارتويت من رحيق ثقافتكم الثرية الفاتنة ومن وحي ذلك كله-بالإضافة- إلى شجوني الخاصة-ندت عني كلمات أسعدها الحظ باستحقاق تقدير أكاديميتكم فتوّجت اجتهادي بجائزة نوبل فالشكر أقدّمه لها باسمي وباسم البناة العظام من مؤسسي الحضارتين!
ولعلكم تتساءلون:هذا الرجل القادم من العالم الثالث كيف وجد من فراغ البال ما أتاح له أن يكتب القصص؟وهو تساؤل في محلّه.
فأنا قادم من عالم ينوء بالديون,ينوء بالفقر والمجاعة,والنّبذ والحرمان من أي حق من حقوق الإنسان في عصر حقوق الإنسان!أجل كيف وجد الرجل القادم من العالم الثالث فراغ البال ليكتب قصصاً؟ولكن من حسن الحظ أن الفن كريم عطوف,وكما أنه يعايش السعداء فإنّه لا يتخلّى عن التعساء!
في هذه اللحظة من تاريخ الحضارة لا يعقل ولا يقبل أن تتلاشى أنّات البشر في الفراغ,لاشك أن الإنسانية قد بلغت سن الرشد,واليوم يجب أن تتغير الرؤية من جذورها,اليوم يجب أن تقاس عظمة أي قائد متحضر بمقدار شمول نظرته وشعوره بالمسؤولية نحو البشرية جميعاً.
وما العالم المتقدّم والثالث إلّا أسرة واحدة,يتحمّل كل إنسان مسؤوليته نحوها بنسبة ما حصّل من علم وحكمة وحضارة,ولعلّي لا أتجاوز واجبي إذا قلت باسم العالم الثالث:لا تكونوا متفرّجين على مآسينا ثم إنكم من موقع تفوّقكم مسؤولون عن أي انحراف يصيب أي نبات أو حيوان فضلاً عن الإنسان في أي ركن من أركان المعمورة!
خنقنا بالكلام وآن أوان العمل,آن الأوان لإلغاء عصر قطاع الطرق والمرابين,أنقذوا المستعبدين أنقذوا الجائعين أنقذوا المضطهدين,ثم أين تجد أنّات البشر مكاناً تتردد إذا لم تجده في واحتكم الحضارية التي غرسها مؤسّسها لخدمة العلم والأدب والقيم الإنسانية الرفيعة.
وكما فعل ذات يوم يرصد ثروته للخير والعلم للمغفرة فنحن -أبناء العالم الثالث-نطالب القادرين المتحضّرين باحتذاء مثاله واستيعاب سلوكه ورؤيته..

سادتي..
رغم كل ما يجري حولنا فإنني ملتزم بالتفاؤل حتى النهاية,لا أقول مع الفيلسوف (كانت) أن الخير سينتصر في العالم الآخر فإنه يحرز نصراً كل يوم,بل لعلّ الشر أضعف مما نتصور بكثير وأمامنا الدليل الذي لا يجحد.
فلولا النصر الغالب للخير ما استطاعت شراذم من البشر الهائمة على وجهها عرضة للوحوش والحشرات والكوارث الطبيعية والأوبئة والخوف والأنانية ,أقول لولا النصر الغالب للخير ما استطاعت البشرية أن تنمو وتتكاثر وتكوّن الأمم وتكتشف وتبدع وتخترع وتغزو الفضاء وتعلن حقوق الإنسان!
غاية ما في الأمر أن الشر عربيد ذو صخب مرتفع الصوت.
وأن الإنسان يتذكر ما يؤلمه أكثر مما يسرّه,وقد صدق شاعرنا أبو العلاء عندما قال:
إن حزناً ساعة الموت أضعاف = سرور ساعة الميلاد!

سادتي….
أكرر الشكر وأسألكم العفو!

***

Ladies and Gentlemen,

To begin with I would like to thank the Swedish Academy and its Nobel committee for taking notice of my long and perseverant endeavours, and I would like you to accept my talk with tolerance. For it comes in a language unknown to many of you. But it is the real winner of the prize. It is, therefore, meant that its melodies should float for the first time into your oasis of culture and civilization. I have great hopes that this will not be the last time either, and that literary writers of my nation will have the pleasure to sit with full merit amongst your international writers who have spread the fragrance of joy and wisdom in this grief-ridden world of ours.

I was told by a foreign correspondent in Cairo that the moment my name was mentioned in connection with the prize silence fell, and many wondered who I was. Permit me, then, to present myself in as objective a manner as is humanly possible. I am the son of two civilizations that at a certain age in history have formed a happy marriage. The first of these, seven thousand years old, is the Pharaonic civilization; the second, one thousand four hundred years old, is the Islamic one. I am perhaps in no need to introduce to any of you either of the two, you being the elite, the learned ones. But there is no harm, in our present situation of acquaintance and communion, in a mere reminder.

As for Pharaonic civilization I will not talk of the conquests and the building of empires. This has become a worn out pride the mention of which modern conscience, thank God, feels uneasy about. Nor will I talk about how it was guided for the first time to the existence of God and its ushering in the dawn of human conscience. This is a long history and there is not one of you who is not acquainted with the prophet-king Akhenaton. I will not even speak of this civilization's achievements in art and literature, and its renowned miracles: the Pyramids and the Sphinx and Karnak. For he who has not had the chance to see these monuments has read about them and pondered over their forms.

Let me, then, introduce Pharaonic civilization with what seems like a story since my personal circumstances have ordained that I become a storyteller. Hear, then, this recorded historical incident: Old papyri relate that Pharaoh had learned of the existence of a sinful relation between some women of the harem and men of his court. It was expected that he should finish them off in accordance with the spirit of his time. But he, instead, called to his presence the choice men of law and asked them to investigate what he has come to learn. He told them that he wanted the Truth so that he could pass his sentence with Justice.

This conduct, in my opinion, is greater than founding an empire or building the Pyramids. It is more telling of the superiority of that civilization than any riches or splendour. Gone now is that civilization - a mere story of the past. One day the great Pyramid will disappear too. But Truth and Justice will remain for as long as Mankind has a ruminative mind and a living conscience.

As for Islamic civilization I will not talk about its call for the establishment of a union between all Mankind under the guardianship of the Creator, based on freedom, equality and forgiveness. Nor will I talk about the greatness of its prophet. For among your thinkers there are those who regard him the greatest man in history. I will not talk of its conquests which have planted thousands of minarets calling for worship, devoutness and good throughout great expanses of land from the environs of India and China to the boundaries of France. Nor will I talk of the fraternity between religions and races that has been achieved in its embrace in a spirit of tolerance unknown to Mankind neither before nor since.

I will, instead, introduce that civilization in a moving dramatic situation summarizing one of its most conspicuous traits: In one victorious battle against Byzantium it has given back its prisoners of war in return for a number of books of the ancient Greek heritage in philosophy, medicine and mathematics. This is a testimony of value for the human spirit in its demand for knowledge, even though the demander was a believer in God and the demanded a fruit of a pagan civilization.

It was my fate, ladies and gentlemen, to be born in the lap of these two civilizations, and to absorb their milk, to feed on their literature and art. Then I drank the nectar of your rich and fascinating culture. From the inspiration of all this - as well as my own anxieties - words bedewed from me. These words had the fortune to merit the appreciation of your revered Academy which has crowned my endeavour with the great Nobel Prize. Thanks be to it in my name and in the name of those great departed builders who have founded the two civilizations.

Ladies and Gentlemen,

You may be wondering: This man coming from the third world, how did he find the peace of mind to write stories? You are perfectly right. I come from a world labouring under the burden of debts whose paying back exposes it to starvation or very close to it. Some of its people perish in Asia from floods, others do so in Africa from famine. In South Africa millions have been undone with rejection and with deprivation of all human rights in the age of human rights, as though they were not counted among humans. In the West Bank and Gaza there are people who are lost in spite of the fact that they are living on their own land; land of their fathers, grandfathers and great grandfathers. They have risen to demand the first right secured by primitive Man; namely, that they should have their proper place recognized by others as their own. They were paid back for their brave and noble move - men, women, youths and children alike - by the breaking of bones, killing with bullets, destroying of houses and torture in prisons and camps. Surrounding them are 150 million Arabs following what is happening in anger and grief. This threatens the area with a disaster if it is not saved by the wisdom of those desirous of a just and comprehensive peace.

Yes, how did the man coming from the Third World find the peace of mind to write stories? Fortunately, art is generous and sympathetic. In the same way that it dwells with the happy ones it does not desert the wretched. It offers both alike the convenient means for expressing what swells up in their bosom.

In this decisive moment in the history of civilization it is inconceivable and unacceptable that the moans of Mankind should die out in the void. There is no doubt that Mankind has at last come of age, and our era carries the expectations of entente between the Super Powers. The human mind now assumes the task of eliminating all causes of destruction and annihilation. And just as scientists exert themselves to cleanse the environment of industrial pollution, intellectuals ought to exert themselves to cleanse humanity of moral pollution. It is both our right and duty to demand of the big leaders in the countries of civilization as well as their economists to affect a real leap that would place them into the focus of the age.

In the olden times every leader worked for the good of his own nation alone. The others were considered adversaries, or subjects of exploitation. There was no regard to any value but that of superiority and personal glory. For the sake of this, many morals, ideals and values were wasted; many unethical means were justified; many uncounted souls were made to perish. Lies, deceit, treachery, cruelty reigned as the signs of sagacity and the proof of greatness. Today, this view needs to be changed from its very source. Today, the greatness of a civilized leader ought to be measured by the universality of his vision and his sense of responsibility towards all humankind. The developed world and the Third World are but one family. Each human being bears responsibility towards it by the degree of what he has obtained of knowledge, wisdom, and civilization. I would not be exceeding the limits of my duty if I told thom in the name of the Third World: Be not spectators to our miseries. You have to play therein a noble role befitting your status. From your position of superiority you are responsible for any misdirection of animal, or plant, to say nothing of Man, in any of the four corners of the world. We have had enough of words. Now is the time for action. It is time to end the age of brigands and usurers. We are in the age of leaders responsible for the whole globe. Save the enslaved in the African south! Save the famished in Africa! Save the Palestinians from the bullets and the torture! Nay, save the Israelis from profaning their great spiritual heritage! Save the ones in debt from the rigid laws of economy! Draw their attention to the fact that their responsibility to Mankind should precede their commitment to the laws of a science that Time has perhaps overtaken.

I beg your pardon, ladies and gentlemen, I feel I may have somewhat troubled your calm. But what do you expect from one coming from the Third World? Is not every vessel coloured by what it contains? Besides, where can the moans of Mankind find a place to resound if not in your oasis of civilization planted by its great founder for the service of science, literature and sublime human values? And as he did one day by consecrating his riches to the service of good, in the hope of obtaining forgiveness, we, children of the Third World, demand of the able ones, the civilized ones, to follow his example, to imbibe his conduct, to meditate upon his vision.

Ladies and Gentlemen,

In spite of all what goes on around us I am committed to optimism until the end. I do not say with Kant that Good will be victorious in the other world. Good is achieving victory every day. It may even be that Evil is weaker than we imagine. In front of us is an indelible proof: were it not for the fact that victory is always on the side of Good, hordes of wandering humans would not have been able in the face of beasts and insects, natural disasters, fear and egotism, to grow and multiply. They would not have been able to form nations, to excel in creativeness and invention, to conquer outer space, and to declare Human Rights. The truth of the matter is that Evil is a loud and boisterous debaucherer, and that Man remembers what hurts more than what pleases. Our great poet Abul-'Alaa' Al-Ma'ari was right when he said:

"A grief at the hour of death
Is more than a hundred-fold
Joy at the hour of birth."

I finally reiterate my thanks and ask your forgiveness.

* Translated by Mohammed Salmawy

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صورة مفقودة
 
الفتى من بيانكور ينقّب في صندوق الذاكرة خوفًا من النسيان..
النص الكامل لمحاضرة نوبل

إنها أول مرة أضطر فيها لإلقاء خطابٍ أمام جمهورٍ كبير، و أشعر بالقلق بعض الشيء حيال ذلك. إنه لمن السهل تخيّل أن ذلك النوع من الأشياء تأتي وبسهولة لكاتب. و لكن بالنسبة لكاتب – على الأقل روائيّ – غالبا ما يكون على علاقة مضطربة إزاء إلقاء خطاب. أتذكّرُ كيف كانت طريقة الدروس بالمدرسة تفرّق بين المكتوب و الشفهيّ . الروائي يملك موهبةً أكثر بالنسبة للواجب المدرسيّ المكتوب عن الشفهيّ . هو معتادٌ أن يبقي هاديء و إن أرادَ أن يتشرّب بعض الهواء، لابد أن يختلط بالجماهير . يتسمّع المحادثات دون أن يبرُز لها . و إن تدخّلَ، دائما ما يكونُ من أجل بعض أسئلة متحفّظة ؛ و ذلك من أجل أن يحسّن من فهمه للرجال و النساء من حوله . يكونُ مترددا في حديثه ؛ لأنه اعتاد أن يشطب كلماته . صحيحٌ أنه بعد كتابة عِدّة مُسودّاتٍ يكون أسلوبه واضحا مبلوراً .،لكن حين يعتلي المِنصّة ، لا يبقي تحت يده أي وسيلة لتصحيح خطابه المتعثّر .

كذلك أنتمي لجيل ؛ حيث الأطفال كانوا يُرَونَ ولا يُسْمَعون إلا في مناسبات معينة نادرة وذلك بعد الإستئذان فقط . و لكن ، لم يستمع أحد أبداً ، كما أن الناس كانوا يتحدثون خلالها . هذه يفسّر صعوبة أن بعضنا عندما يتحدّث – أحيانا بارتباك , أحيانا بسرعة فائقة كما لو كنّا نتوقّع أن نُقَاطعَ في أية لحظة . لربما هذا هو سببا في أن رغبةَ أن أكتب قد .أتتني –مثل آخرين كثيرين – في نهاية عهد الطفولة . أنتَ تأمل أن يقرأ البالغون ما تكتبه . بتلك الطريقة سيكون لزاما عليهم أن يستمعوا لك بدون مقاطعة، و بمرحٍ تماما ، سيعلمون جيداً ما تمتلكه داخل صدرك .

إبلاغي بتلك الجائزة بدا غير حقيقيّاً بالنسبة لي . و كنتُ متلهفا لأعرف لماذا إخترتموني . في ذلك اليوم لم أظن أني كنتُ أكثر وعيا بأنه كم هو الروائيُّ أعمى عندما يصل الأمر إلى كتبه . الروائيّ لا يستطيع أبداً أن يكون هو ذاته قارءًه الوحيد، إلا عندما يخلّصُ نصّه من الأخطاء النحوية ، الجمل المكررة ، و الفقرات العرضيّة الزائدة عن الحاجة . هو فقط يملك إنطباعاً جزئيّاً و مشوّشاً عن كتُبِه ، مثل رسّامٍ يبدعُ لوحةً من الجصّ على السقف، راقدا على سقّالة ، يعمل على التفاصيل : نظرةٌ عن كَثب بلا رؤيّة كليّة للعمل ككل .

الكتابة هي نشاطٌ غريبٌ و توحُّديّ . هناك أوقات من ثبط الهمّة عندما تبدأ العمل في الصفحات القليلة الأولي من رواية . لديكَ إحساسٌ كلّ يوم أنك على الطريق الخاطئة . ذلك يخلق إصرار قويّا للرجوع للوراء لتتبع مساراً آخر . من المهم ألا تستسلم لهذا الإلحاح ، و لكن أن تمضي قُدما .يُشبهُ قليلا قيادة سيّارة في الليل ، في شتاء، في الثلوج ، بمقدار :صفرٍ من الوضوح .لا خيار لديك ، لا تستطيع أن تسير في الإتجاه المعاكس ، يجب أن تستمر في السير إلي الأمام بينما تقولُ لنفسك ، أن كلَ شيءٍ سيصير على ما يرام عندما يصبح الطريق أكثر ثباتاً ، و ينقشع الضباب.

عندما تكون على وشك إنهاء كتاب ، تشعر كما لو كنت تبدأ التحرر و تتنفس بالفعل هواء الحريّة. مثل أطفال المدرسة في الفصل في اليوم الذي يسبق عطلة الصيف . يكونوا تائهين و صاخبين ، و لم يعودوا يعيرون اهتماما لمعلِّمهم . سأذهب بعيداً و أقول، أنه بينما أنت تكتبُ آخر الفقرات ، يُظْهِرُ الكتاب عداوة مؤكّدة في تعجّله ليحرر نفسه منك . و يتركك بالكاد لتكتب آخر كلمة .لقد انتهي كلُ شيء . لم يعد الكتاب بحاجة إليك و قد نسيَكَ بالفعل . من الآن فصاعداً ، سوف يكتشف نفسَه من خلال القرّاء . عندما يحدثُ ذلك ، يتملّكُكَ خواءٌ عظيم ، و إحساسٌ بأنك قد هُجِرت . هناكَ نوعٌ من الإحباط ، أيضا لأن الرابطة بينك و بين الكتاب قد قُطِعت سريعاً . الإستياء و الشعور بأن هناك شيءٌ ناقص يقودك لأنْ تكتبَ الكتاب التالي من أجل أن تستعيد التوازن -ذلك أحيانا – و هو ما لا يحدثُ أبداً . بينما السنون تمضي ، و الكتب تتوالي واحداً بعد آخر ، الآخرون و القرّاء يتحدّثون عن “النص” . ولكن بالنسبة إليك ، يكون لديك شعورٌ أن ذلك كلّه كان اندفاعاً طائشاً نحو الأمام .

لذلك ،نعم ، القراء يعرفون الكثير عن كتابٍ أكثر من المؤلف نفسه . يحدث أحيانا بين رواية وقراءٍ لها تكون مماثلةً لطريقة تطوير صور فوتوغرافية ، الطريقة التي قد صنعوا بها من قبل العصر الرقميّ . الصورة الفوتوغرافية ، لكونها قد طُبِعَت في حجرةٍ مظلمة ، تصبح مرئية ًشيئاً فشيئاً . مثلما تسلك طريقك في رواية ، يحدث معها نفس تلك العمليّة الكيميائيّة . و لكن لكي يتواجد مثل هذا التناغم بين الكاتب و قرّاءِه ، من المهم ألا تطيل أبدا على القاريء – انطلاقا من الاحساس وكأنك تتحدث عن مغنيين يمطّون أصواتهم – و لكن أن نخادعهم بشكل غير ملحوظ ، تاركين فراغات كافية للكتاب ليسمح لهم قليلا قليلا ، بأساليب فنيّة تشبه الوخز بالإبر الصينية ، حيث الإبرة يتم إدخالها للنقطة الصحيحة لتطلق سراح التدفق في الجهاز العصبيّ .

أؤمن أن عالم الموسيقي به ما يُعادل تلك العلاقة الوثيقة و التكامليّة بين المؤلّف و قرّاءه . دائما ما أعتقدتُ أن الكتابة قريبةٌ من الموسيقي ، أقلُ عفافاً فقط ، و لطالما حسدتُ الموسيقيين الذين بالنسبة لعقلي قد مارسوا فنّاً أعلي من الرواية . الشعراءُ أيضا هم أقرب للموسيقيين من الروائيين . بدأتُ كتابة قصائدَ كطفل ، و ذلك بكل تأكيد السبب في أن ملحوظة قد أقرءُها بمكان ما ، تثير مشاعري؛ كوترٍ داخلي :كتّاب النثر مصنوعون من شعراءٍ سيئين . بالنسبة للروائي ، بمصطلحات الموسيقي ، هو دوما بصدد ملاطفةٍ لكل الناس . المناظر الطبيعية ، و الشوارع صارت ملاحَظةً في موسيقي الأفلام التي تحوي نفس الشذرات الطربيّة من كتابٍ لآخر و لكن ستبدو إليه غير كاملة . الروائي سوف يندم لعدم كونه موسيقيٌّ بالفطرة ، و لأنه لم يؤلف “نوكترنات” شوبان . (Nocturnes)

نقص وعي الروائيّ بالمسافة النقدية لعمله ، يرجع لظاهرة لاحظتها في نفسي و في آخرين . فورَ أن يُكْتَب ؛ كلُ كتابٍ يمحو الكتاب الأخير ؛ تاركاً إيّايّ مع إنطباعٍ بأني قد نسيتُه. كنت أظن أنه عندما أكتب كتبا واحداً تلو الآخر بتلك الطريقة المفكّكّة، في نوبات متعاقبة من النسيان ، لكن دوما نفس الأوجه ، نفس الاسماء ، نفس الأماكن نفس الجُمَل ،تعاود في كتاب بعدَ آخر . مثل قالبٍ حيثُ قماشٍ قد حُبِك ، بينما أنا نصف نائم . في مرحلة نصف النوم تلك ، أو أثناء أحلام اليقظة . الروائيّ في أحيانا كثيرة مشّاءٌ وهو نائم . لذا مستغرقٌ هو فيما يجب أن يَكْتُب ، و لذلك ، من الطبيعي أن نقلق عندما يعبر الطريق خوفاً أن يُدْهَس . لا تنسي- رغم ذلك الدقّة البالغة للسائرين نياما الذي يسيرون فوق الأسطح ، أبداً دون السقوط .

الجملة التي قد برزت لي في التصريح التالي للإعلان بجائزة نوبل هذه ، كان إشارة للحرب العالمية الثانية كشفت الغطاء عن حياة العالم في ظل الإحتلال . مثلُ كلُ واحدٍ وُلِدَ في 1954 ، كنتُ طفلَ حربٍ ، على الأصح لأني قد ولدت في باريس ، طفلٌ صرّح بمولده لباريس الإحتلال . هؤلاء الذين عاشوا في باريس أرادوا أن ينسوا ذلك بسرعة ، أو على الأقل أن يتذكّروا فقط التفاصيل اليوميّة ، تلك التي قدّمت لهم الوهم ، بأن كل يوم في الحياة لم يكن رغم كل ذلك مختلفا عن الحياة التي إنساقوا إليها في الأوقات العاديّة . كان كل شيء هو : حلم مزعج ، تأنيب ضمير مُبْهَم لمغزي كونهم أحياء . فيما بعد ، عندما سألهم أطفالهم أسئلة عن تلك الفترة ، وتلك الـ باريس ، كانت إجاباتهم مراوغة ، و إلا يظلون صامتين كما لو أرادوا أن يمحوا تلك السنوات المظلمة من ذاكرتهم ، و لِيُبقوا شيئا مخْفيّا عنّا .مواجهين صمت آباءنا ، استنبطنا كل الأشياء كما لو أننا عشناها بأنفسنا .

باريسُ الاحتلال كانت مكاناً غريباً. في الظاهر ، عادت الحياة كما كانت من قبل : المسارح، السينما، قاعات الموسيقي، و المطاعم كانت مفتوحةً للعمل . كان هناك أغانٍ تُعزَف في الراديو. جمهور السينما والمسرح كان عددهم أكثر منه قبل الحرب، حيثُ كانت تلك الأماكن هي المأوي حيث الناس يجتمعون ، و يحتشدون بجانب بعضهم البعض ؛ من أجل إستعادة الطمأنينة .و لكن ، هناكَ تفاصيلُ شاذّة تشير لأن باريس لم تكن كما كانت من قبل علي الإطلاق . تناقص السيّارات فيها جعلها مدينةً صامتة – صمتٌ أظهر جليّاً حفيفَ الاشجار ، صوتَ حوافر الخيول ، ضوضاءَ وقع أقدام الحشود، وأصوات الهمهمات . في صمت الشوارع ذلك ، في تلك العتمة المفروضة حوالي الخامسة ، شتاءً ، حيثُ أبسط ضوءٍ من نافذة محظورٌ ، بدت المدينة ذاهلةً عن نفسها ، المدينة التي “بلا عيون” حيث إعتاد المحتل النازي أن يقولوا . البالغون و الأطفال كان باستطاعتهم الإختباء بلا أي أثر بين لحظة و أخري ، حتي فيما بين الأصدقاء ؛ لا شيء حقيقةً كان يُقال ، أحاديثهم لم تكن أبداً صريحة بسبب شعور التهديد المنتشر بالجو العام .

من حلم مزعج في باريس ذلك الوقت ، حيث أيَّ شخصٍ قد يكون متّهماً أو مستقبلا في حالة من لم الشمل في مخرج مترو ، و الفرص الملقاه تحدث بين أناسٍ طرقُهم أبدا لم تتقاطع أثناء وقت السِّلم ، علاقات حب هشّة قد ولدت في عتمة حظر التجوال ، بلا يقين في اللقاء مجددا في الأيام التالية .لاحقا، كنتيجة لتلك اللقاءات العابرة و أحيانا الرثّة ، ولد أطفالٌ .هذا هو السبب بالنسبة لي أن باريسَ الإحتلال دائما ما كانت نوعا من ظلامٍ بدائيّ . لولاها ، لما كنتُ قد وُلِدتُ أبدا . تلك الـ”باريس” لم تتوقف أبدا عن أن تطاردي ، و كتبي أحيانا تغتسل في نورها الخفيّ .

و هنا يكون الدليل علي أن الكاتب شخصٌ يُتّسمُ بالروخ بتاريخ ميلاده و علي مدي عمره ؛ حتي و إن لم يكن متورّطاً بشكل مباشر في فِعِلٍ سياسيّ ، حتي لو أعطي إنطباعاً أنه منعزلٌ بعيداً فيما يدعوه الناس “برجاً عاجيّاً ” . لو أنه يكتب قصائداً ، سوف تعكس تلك الفترة التي يحيا فيها ، ولم تكن لِتُكْتَبَ في عهدٍ آخر .

هذا صحيحٌ خاصةً في قصيدة لييتس ، الكاتب الأيرلندي العظيم ، و التي وجدتُها محرّكة بعمق :

“The wild swan in the coole.

في متنزّهٍ ، يشاهد ييتس بجعات تنزلق على الماء :
الخريف التسعون قد جاءني
مذ وعيتُ على الدنيا
أدركتُ قبل أن أفرغ تماما ً
أن كل الأشياء ترقى
و تدور متناثرة في دوائر مشتتة
لكنها الآن تطفو فوق مياهٍ ساكنة
غامضة ذات رونق
بين ما تثيره من دفق.
بحافّة البحيرة أو البركة
بما يسر عيون الناس
فمتي أستيقظُ يوماً
لأجدها قد حلّقت بعيدا ؟

البجعات غالبا ما تظهر في شعر القرن التاسع عشر ، عند “بولدير ” و مالارمَيه ” و لكن تلك القصيدة لييتس لم تكن لتُكْتَب في القرن التاسع عشر . إن لها إيقاعاً خاصّا و سوداويّ ، و الذي وضعها في القرن العشرين و حتي في السنة التي قد كُتِبَت فيها .

كاتبُ القرن العشرين قد يشعر – في بعض المناسبات – أنه حبيسُ زمنه و قراءة كتّاب القرن التاسع عشر العظماء : بلزاك ، ديكنز ، تولستوي ، دوستويفيسكي ، قد يستدعي حنينا مؤكّدا . في تلك الأيام ، مر الوقت ببطءٍ أكثر مما عليه اليوم ، و هذا البطء قد لائم عمل الروائيّ ؛فقد سمح له بأن يُحسنَ توجيه طاقته و إنتباهه . تسارع الزمن منذ ذلك الحين ، و خطا خطواتٍ نحو الأمام ، و بدأ بشرح الفرق بين صرح الأدب الضخم في الماضي ، بعمارته الكَنَسيّة ، و بين أعمال العصر الحاضر المتشظّية و المفكّكّة . إنطلاقاً من وجهة النظر تلك ، فإن جيلي هو جيلٌ إنتقالي. و سأكون فضوليا لأعرف كيف للأجيال القادمة- المولودة بالإنترنت، الهواتف النقّالة، البريد الأليكترونيّ، و التغريدات –أن يُعبّروا من خلال الأدب عن هذا العالم حيثُ أيَّ شخص “متّصلٌ” بشكل دائم، و حيث ” الشبكات الإجتماعية ” تتغذي علي جزء الخصوصيّة و السرّية التي مازلت هي ميداننا حتي مؤخّرا إلي حدٍ ما . السريّة التي أعطت العمق للأفراد، و أستطاعت أن تصبح ثيمة رئيسة في رواية . لكن سأظل متفائلاً بمستقبل الأدب، و أنا مقتنعٌ أن كُتّابَ المستقبل سيحمون الإرثَ ؛بالضبط كما فعل كلُ جيلٍ مع “هوميروس ”

و بجانب ذلك ، يتمكن الكاتب من أن يعبّر عن شيءٍ خالدٍ في عمله حتي لو –مثل أي فنان آخر – كان ملازماً بشدة لعصره الذي لا يستطيع الفكاكَ منه، و الهواء الوحيد الذي يتنفّسه هو هواء روح عصره. في إنتاج راسين و شيكسبير، يكاد ألا يكون طبيعيّا أن تتزيّا الشخصيات بزيّ عصرها أو أن المخرج يريد أن يضعهم داخل بناطيل جينز أو داخل سترة مصنوعة من الجلد. تلك تفاصيل تافهة. أثناء قراءة تولستوي آنا كارنينا تبدو قريبة منّا بعد قرنٍ و نصف حيث نسينا أنها ترتدي فساتين تعود لعام 1870. و يوجد بعض الكتّاب مثل إدجار آلان بّو ، ميلفيل ، أو ستاندل ، قد فُهِموا بعد قرنين من موتهم أكثر من مُعَاصِريِهم .

في النهاية ، لأي مدى سيبقي الروائيّ ؟ على هامش الحياة لكي يستطيع أن يصفها ، لأنك إن إنغمستَ فيها –بالفعل – الصورة التي تملكها عنها ستُشوَّش . لكن تلك المسافة الضئيلة لن تحدّ من إستعداد الكاتب لكي يتماهي مع شخصياته ، و البشر الذي يُلهمنَهُ في الحياة الحقيقة . فلوبير قال : “مدام بوفاري هي أنا ” و تولستوي تماثل مع المرأة التي رأي ما بداخلها تحت سقف قطار في ليلة ما بمحطة في روسيا . موهبة المطابقة تلك ذهبت بعيدا بتولستوي و إمتزج بالسماء و بالمنظر الطبيعي الذي كان يصفه و إستغرقته داخليّا ، ما يمكن نسبتُه إلي رموش آنا كارنينا التي تغمز دون أدني مجهود . هذا الوعي المتغيّر هو نقيض النرجسيّة ، لأنه يتطلب إستحضراً متزامناً مع الذهول عن الذات ، مع أسمي تركيزٍ لكي لا يفقد أقل تفصيلة . العزلة المضمرة مؤكّدةٌ أيضاً . لا يعني ذلك التوجّه نحو الداخل ، لكنها لا تسمح لك أن تحقق أعلي درجة من الإنتباه وضوحٍ للفكر عند مشاهدة العالم الخارجيّ الذي سيُنْقَل عندئذ في رواية .

دائما ما ظننت أن الشعراء و الروائيّون قادرين علي إكساب الغموض للاشخاص الذين قد يبدون في الظاهر ذاهلين عن الحياة اليوميّة ، وإلي لأشياء التي قد تبدو في الظاهر تافهة ؛ السبب هو كونهم يستطيعون فعل ذلك حيث لاحظوها مرة و أخري بإنتباهٍ متواصل ،تقريبا و هم منوَّمون .تحت تأثير تحديقهم ، كلُ يوم ،ٍ الحياةُ صارت محتجبةً خلف الغموض ، و بإدخال بعضاً من ضوءٍ في الظلام الذي لم يكن موجودا لأول وهلة و لكنه في الواقع قد أختفي . إنّه دور الروائيّ و الشاعر ، و الرّسّام أيضا ، أن يجلو الغموض ، و الضوء الذي في الظلام الكائن في أعماق كلِ فرد . الأكثر تطرّفا لديّ – هو الرسّام Amedeo Modigliani – قد خطر لي الآن .في أكثر لوحاته لفتاً للنظر ، المودلز الذين إختارهم كانوا أُناساً مجهولين .، الأطفال ، الشوارع ، الفتيات ، الخادمات ، الفلاحون ضئيلي البنية ، الغِلمان الصّغار . رسمهم بضربة حادة من فرشاته ، معيداً للذاكرة التقليدَ التوسْكانيّ العظيم : بوتشيللي ، و سيزان رسّامي القرن الخامسَ عشر العظماء . أعطاهم ايضا – أو كشف إلي حدٍ ما – كل الفضل و النبل بداخلهم دون أدني إنتقاصٍ من هيئتهم المتواضعة . لابد لعمل الروائيّ أن يتجوّل في نفس الإتجاه .مخيّلته –بعيداً عن تشويه الواقع – لابد و أن تصل إلي أعماقه ، مجلّية الحقيقة لنفسها مستخدمةً قوّة الـInfra–red و الـ Ultraviolit ليكشف ما هو مخبوءٌ خلف المظاهر . أستطيع أن أصدّق أن الروائيّ في أفضل حالاته هو نوعاً ما مستبصرٌ أو حالم .هو أيضا مثل Seismograph متأهباً لالتقاط حركاتٍ عصيّة علي الإدراك .

دائما ما أفكّر مرتين قبل قراءة سيرة كاتبٍ أنا معجبٌ به .كُتّابُ السَّير أحيانا ما يُولَعونَ بتفاصيل صغيرة ،تقرير شهود عيانٍ غير موثوقٍ منها – مزايا شخصية مُحيّرةٌ أو مُحْبِطة –حيثُ جميعها يشبه صوت طرقعة الأصابع التي تتلاعب بالبث الإذاعي ؛ جاعلةً الموسيقي و الأصوات محالٌ أن تُسْمَع . يكون ذلك فقط عند قراءة كتُبِه فقط و التي نعقد نجني من خلالها أُلْفَةً مع الكاتب . يكونُ ذلك عندما يكون هو في أفضل حالاته ، و يتحدّث إلينا بصوتٍ خَفيض بلا أي جمود .

حتي الآن ، عند قراءة سيرة كاتب ، تكتشف أحيانا حدثاً بالطفولةً جديراً بالإهتمام ، قد زرع بذرة نصّه المستقبليّ ، و حول عدم إمتلاكه راحة الضمير ؛ حدثُ الطفولة هذا يعود في أشكالٍ عديدة ليزور كتبه مراراً و تكراراً . أعاد ذلك لذاكرة ألفريد هيتشكوك ،ليس ككاتب و لكن كشخص تملكُ أفلامه قوة و تماسك رواية . عندما كان ابنه في الخامسة ، أخبره والده هيشكوك أن يذهب بخطاب إلي ضابط شرطة من أصدقاءه . أوْصَلَ الطفل الخطاب ، و حبسه ضابط الشرطة في مكان خفيّ من قسم الشرطة و الذي دائما أعتاد إستخدامها كحُجيرة لاحتجاز جميع الاصناف من المذنبين اثناء الليل . الطفل الخائف ظل هناك لساعة قبل أن يطلق الضابط سراحه مُفسّراَ ” و الآن أنت تعرف ماذا يحدث إن أسأت السلوك في الحياة ” ضابط الشرطة هذا بأفكاره الغريبة تلك عن تربية الأطفال لابد و أنه كان خلف جو الإثارة و القلق الموجود في كلّ أفلام هيتشكوك .

لن أزعجكم بحكايتي الشخصية و لكن أظن أن فصولا من طفولتي أنبتت تلك البذرة و التي سوف تصبح هي كُتُبي فيما بعد . دائما ما كنتُ بعيداً عن والديّ وأظل مع أصدقائي الذي قد علمت عنهم اللاشيء خلال سلسلة من الأماكن و البيوت . أثناء عدم وجود شيءٍ يُدْهِشُ طفلا ، و حتي المواقف الشاذّة بدت طبيعيّةٌ تماماً . كان ذلك في وقت أبعد بكثير ؛ حيث طفولتي قد أثّرت بي بشكلٍ غريب و قد حاولتُ أن أكتشف أكثر عن العديد من الناس الذين تركاني والديّ معهم ، و تلك الأماكن التي داومتُ علي تغييرها . ولكن لم أكن قادرا أن أتعرف علي أغلب الناس ، و لا أن أحدد كل أماكن و بيوت الماضي بدقّة طُبُوغرافية . ذلك يقود أن نحل أُحْجياتٍ بلا نجاح حقيقيّ ، و لكي نفكّ شِفرة غموضٍ وهبني الرغبة في أن أكتب ، كما لو كانت الكتابة ، و الخيال باستطاعتمها أن تساعداني أخيرا لربط تلك النهايات الطليقة .

بما أننا تحدثنا عن ” الألغاز” مشاركة الأفكار تستدعي إلي عقلي عنوان رواية من القرن التاسع عشر : “Les mystères de Paris” أسرار باريس الغامضة ، المدينة – و يتصادف أن تكون باريس – مدينة ولادتي –مرتبطةٌ بأول إنطباعات الطفولة الفعلية ، و هذه الإنطباعات كانت قويّة حيث دائما ما أستكشف “أسرار باريس الغامضة” منذ ذلك الحين .بينما كنت في حوالي التاسعة أو العاشرة ،حدث أن خرجت أتمشي وحدي ،و مع أنني كنت خائفا من أن أضل طريقي ؛ ذهبتُ لأبعدَ و أبعدَ في الجوار ، بدوتُ غريبا علي الضفة اليمني من “السّين ” ، كان ذلك في وضح نهارٍ أعادَ إلي الطمأنينة .في بدايات المراهقة ، عملتُ بجد لأتغلب علي خوفي و لأخرج مخاطراً في الليل حتي أبعد و أبعد عن المترو .هذه هي كيفية أن تطّلع لتتعرّف علي المدينة ، كنتُ أحذو حذو جميع الُكتّاب الذين أُعجَبُ بهم و الذين – منذ القرن التاسع عشر ، المدينة التي تدعوها : باريس ، لندن ، سان بطرسبيرج أو ستوكهولم كانت الخلفية ، و واحدة من الثيمات الرئيسة في أعمالهم .

في قصّته القصيرة ” رجل الحشود ” كان إدجر آلان بو من بين الأوائل الذين قد استعدوا أمواج البشرية التي رصدها من نافذة مقهي سائراً علي الطريق في تسلسلٍ لا ينتهي . انتقي رجلا عجوزا بمظهر غير إعتياديّ و يتبعه أثناء الليل في أجزاء متفرقة من لندن ، من أجل أن يكتشف أي شيء عنه . ليس له وجودٌ مستقلٌ بذاته ، هو ببساطة جزءٌ من الحشود العابرة السائرة في صفوفٍ مكتظّة ، أو متدافعة ، يضيعون أنفسهم في الشوارع .

أتذكرُ أيضا شيئا قد حدث للشاعر “توماس دي كوينسي ” عندما كانا يافعاً و الذي تركَ علامة بارزة في حياته . في لندن ، وسط حشود شارع أوكسفورد ، أقام صداقات مع فتيات ،في واحدة من تلك الفرص غير المتوقعة و التي تحدث في المدينة .قضي بضعة أيام بصحبتها ثم أضطُّرَّ لمغادرة لندن لأيامٍ قليلة .إتفقوا أنه بعد أسبوع سوف تنتظره في نفس الوقت كل مساء في الركن القائم بشارع تشيفيلد العظيم . و لكن لم يري بعضهم البعضُ أبدا مجدداً “لو عاشت بلا شكٍّ كنا سنقضي بعض الوقت في البحث عن بعضنا البعض . و نفس اللحظة بالذات ، خلال متاهات لندن الضخمة ربما علي بضع خطواتٍ من بعضهم ،سدّاً ليسَ أرحب من شارعٍ بلندن ، حيثُ بلوغ النهاية دوماً يُفْضي إلي إفتراقٍ أبديّ.

مع مرور السنوات ، كلُ حارةٍ ، كلُ شارعٍ بالمدينة يستدعي ذكري : لقاء ، ندم ، لحظة سعادة لهؤلاء الذي وُلِدوا هناك و عاشوا هناك . دوماً نفسُ الشارع مربوطٌ بذكرياتٍ متلاحقة إلي الحدّ الذي تصبح معه طبوغرافيّةُ المدينة هي حياتك بأكملها ، مستذكراً في شرائح متتابعة كما لو كنتَ تستطيعُ حل شِفرة الكتابة المخطوطة فوق رَقٍّ .و أيضاً حيوات آلافٍ لدي آلافٍ آخرين ، مجهولين ، أُناسٍ يمرّون حذو الشارع ، أو في ممر المترو بساعةِ ذروة .

هذا هو السبب أنه في شبابي ، من أجل مساعدتي لأنْ أكتب ؛ حاولت أن أجد دلائل هواتفَ باريسيّة قديمة ؛خاصة تلك التي وضعت قائمة بأسماء الشوارع بأرقام المباني . كان لدي إحساسٌ بينما أخذتُ في تقليب الصفحات ، أنني أنظر لصورة بأشعّة سينيّة للمدينة ، مدينة غارقةٌ مثل أتلانتس ، متنفّساً رائحة الزمن . بسبب السنوات التي مرّت ، الآثار التي قد تبقّت من هؤلاء الآلآف تلو الآلاف من الأشخاص المجهولين ، كانت أسمائهم ، عناوينهم ، أرقام هواتفهم .أحيانا يختفي اسمٌ من سنة للتي تليها . كان هناك شيءٌ يبعث علي الدوار أثناء تصفح دلائل الهاتف القديمة تلك و أظن أنه من الآن فصاعداً ، مكالماتٌ لتلك الأرقام لن تُرَدّ عليها . سأكونُ مُتيّماً فيما بعد ببيت من قصيدة لـ |Osip Mandelstam

عدتُّ إلى مدينتى تزايلنى الدموع ،
إلى أوردتى ولوزتى حلقى وعهد صباى ،
أيا بطرسبرج …
أيام كنت تحتفظين بأرقام هاتفى تنبض بالحياة ،
أيا بطرسبرج .. سأظل أحتقظ دوما بالعناوين
كى أستخدمها لبعث أصوات الموتى مجدّدا..

لذا ، يبدو لي أن تلك الرغبة في أن أكتب كُتُبيَ الأولي قد أتتي بينما كنتُ أنظر في دلائل هواتف الباريسييّن القدماء . كلُ ما كان ينبغي أن افعله هو أن أرسم خطّاً بقلمٍ رصاص تحت الاسم ، العنوان و رقم الهاتف لبعض الأشخاص المجهولين و أتخيّل فيم كانت تشبه حياته أو حياتها من بين المئات و المئات من آلاف الأسماء .

بإمكانك أن تضيع أو تختفي في مدينة كبيرة . بإمكانك حتي أن تغيّر هُوِيّتك و تعيش حياة جديدة . بإمكانك أن تنغمس في تحقيقاتٍ طويلة لتجد آثار حقد ،مبتدأً فقط بعنوانٍ أو اثنين في حيٍّ معزول . لطالما فُتِنتُ بالملاحظة القصيرة التي أحيانا ما تظهر في سجلات البحث : آخر عنوانٍ معروف.موضوعات الإختفاء ، الهويّة و الوقت المنقضي مُتقيّدٌ بإحكامٍ بطبوغرافية المدن . هذا هو السبب في أنه منذ القرن التاسع عشر ، كانت المدن إقليما لمؤلفي الروايات ، و بعضٌ من أعظمهم مرتبطٌ بمدينة واحدة : بلزاك و باريس ، ديكينز و لندن ، دوستويفيسكي و سان بطرسبيرج ، طوكيو و نجاي كافو ، ستوكهولم و هﭽالْمار سودربيرج .

أنا من جيلٍ قد تأثّر بهؤلاء الروائيين ، و الذي يريدُ تِباعاً أن يكتشف ما أطلق عليه بولدير “ثنيّاتٌ متعرّجة لعواصم المدن القديمة ” بالطبع – قبل خمسين عاما – في كلمات أخري ، حينما كان مراهقو عصري يختبرون مشاعر قويّة بإكتشاف مدينتهم ، كانت المدن تتغير . بعضاً منهم بأمريكا و في ما يدعوه الناس : العالم الثالث قد صار كذبة بالغين أبعاداً مزعجة .إنقسم السّكانُ إلي أحياءٍ منبوذة تعيش في مناخٍ من صراعٍ طبقيّ . العشوائيات تتكاثر بالأعداد و صارت أكثر إنتشاراً .حتي القرن العشرين ، إحتفظ الروائيّون برؤيً أكثر أو أقل رومنسيّة للمدينة لا تختلف كثيراً صورتها عند ديكينز أو بولدير . هذا هو السبب في أنّي أود أن اعرف كيف سيستدعي روائيّو المستقبل كثافة تلك المدنيّة الضخمة في أعمالٍ أدبية .

بالنسبة لكُتُبي ، كنتم لطفاءَ بشكلٍ كافٍ لتشيروا إلي “فن الذاكرة حيث استدعي مصائر البشريّ العصيّةُ علي الإدراك ” لكن ، هذا الثناء أكثرُ من مديح فيّ . إنه عن نوعٍ خاص من الذكريات ، التي أسعي أن أجمعها شذراتٍ و قطعٍ من الماضي و البقايا الباقية علي كوكبٍ من مجهولي الهويّة و المغمورين . و هذا أيضا مرتبطٌ بعام ميلادي : 1945 . كوني مولودا في 1945 بعدما المدن قد دُمِّرَت ، و إجماليّ السكان قد إختفوا، لابد و أنه قد جعلني مثل آخرين من زمني ، أكثر حساسيةً لمواضيع الذاكرة و النسيان .

لسوء الحظ ، لا أعتقد أن تذكّر أشياء الماضي يمكن أن تُصنَع بعد قوة و صراحة مارسيل بروست . المجتمع الذي كان يصِفُه كان و مازل صامداً : مجتمع القرن التاسع عشر . ذاكرة بروست بعثت الماضي ليعاود الظهور بكل تفاصيله مثل : Tableau vivant .
حضرني شعورٌ بأن الذاكرة أقل ثقة بنفسها كثيراً ،متورّطةٌ كما لو كانت في كفاحٍ ضد فقدان الذاكرة أو النسيان . تلك الطبقة ، تلك الكتلة من النسان التي تعتّم علي كل شيء ، تعني بأنه يمكننا فقط أن نلتقط شظيات من الماضي ، آثاراً منفصلة ، سريعة الزوال ، و مصائر أنُاسٍ غير معلومة .

و بعدُ ، تتجلّي موهبةُ الروائيّ ، عندما يُوَاجَه بصفحات فارغة من النسيان ، ليجعل الكلمات الباهتة مرئيّةً مرة أخري ، مثل جبلٍ جليديّ ضائع ، يتسكّع فوق سطح المحيط . “


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Conférence Nobel

Je voudrais vous dire tout simplement combien je suis heureux d’être parmi vous et combien je suis ému de l’honneur que vous m’avez fait en me décernant ce prix Nobel de Littérature.

C’est la première fois que je dois prononcer un discours devant une si nombreuse assemblée et j’en éprouve une certaine appréhension. On serait tenté de croire que pour un écrivain, il est naturel et facile de se livrer à cet exercice. Mais un écrivain – ou tout au moins un romancier – a souvent des rapports difficiles avec la parole. Et si l’on se rappelle cette distinction scolaire entre l’écrit et l’oral, un romancier est plus doué pour l’écrit que pour l’oral. Il a l’habitude de se taire et s’il veut se pénétrer d’une atmosphère, il doit se fondre dans la foule. Il écoute les conversations sans en avoir l’air, et s’il intervient dans celles-ci, c’est toujours pour poser quelques questions discrètes afin de mieux comprendre les femmes et les hommes qui l’entourent. Il a une parole hésitante, à cause de son habitude de raturer ses écrits. Bien sûr, après de multiples ratures, son style peut paraître limpide. Mais quand il prend la parole, il n’a plus la ressource de corriger ses hésitations.

Et puis j’appartiens à une génération où on ne laissait pas parler les enfants, sauf en certaines occasions assez rares et s’ils en demandaient la permission. Mais on ne les écoutait pas et bien souvent on leur coupait la parole. Voilà ce qui explique la difficulté d’élocution de certains d’entre nous, tantôt hésitante, tantôt trop rapide, comme s’ils craignaient à chaque instant d’être interrompus. D’où, sans doute, ce désir d’écrire qui m’a pris, comme beaucoup d’autres, au sortir de l’enfance. Vous espérez que les adultes vous liront. Ils seront obligés ainsi de vous écouter sans vous interrompre et ils sauront une fois pour toutes ce que vous avez sur le cœur.

L’annonce de ce prix m’a paru irréelle et j’avais hâte de savoir pourquoi vous m’aviez choisi. Ce jour-là, je crois n’avoir jamais ressenti de manière aussi forte combien un romancier est aveugle vis-à-vis de ses propres livres et combien les lecteurs en savent plus long que lui sur ce qu’il a écrit. Un romancier ne peut jamais être son lecteur, sauf pour corriger dans son manuscrit des fautes de syntaxe, des répétitions ou supprimer un paragraphe de trop. Il n’a qu’une représentation confuse et partielle de ses livres, comme un peintre occupé à faire une fresque au plafond et qui, allongé sur un échafaudage, travaille dans les détails, de trop près, sans vision d’ensemble.

Curieuse activité solitaire que celle d’écrire. Vous passez par des moments de découragement quand vous rédigez les premières pages d’un roman. Vous avez, chaque jour, l’impression de faire fausse route. Et alors, la tentation est grande de revenir en arrière et de vous engager dans un autre chemin. Il ne faut pas succomber à cette tentation mais suivre la même route. C’est un peu comme d’être au volant d’une voiture, la nuit, en hiver et rouler sur le verglas, sans aucune visibilité. Vous n’avez pas le choix, vous ne pouvez pas faire marche arrière, vous devez continuer d’avancer en vous disant que la route finira bien par être plus stable et que le brouillard se dissipera.

Sur le point d’achever un livre, il vous semble que celui-ci commence à se détacher de vous et qu’il respire déjà l’air de la liberté, comme les enfants, dans la classe, la veille des grandes vacances. Ils sont distraits et bruyants et n’écoutent plus leur professeur. Je dirais même qu’au moment où vous écrivez les derniers paragraphes, le livre vous témoigne une certaine hostilité dans sa hâte de se libérer de vous. Et il vous quitte à peine avez-vous tracé le dernier mot. C’est fini, il n’a plus besoin de vous, il vous a déjà oublié. Ce sont les lecteurs désormais qui le révéleront à lui-même. Vous éprouvez à ce moment-là un grand vide et le sentiment d’avoir été abandonné. Et aussi une sorte d’insatisfaction à cause de ce lien entre le livre et vous, qui a été tranché trop vite. Cette insatisfaction et ce sentiment de quelque chose d’inaccompli vous poussent à écrire le livre suivant pour rétablir l’équilibre, sans que vous y parveniez jamais. À mesure que les années passent, les livres se succèdent et les lecteurs parleront d’une « œuvre ». Mais vous aurez le sentiment qu’il ne s’agissait que d’une longue fuite en avant.

Oui, le lecteur en sait plus long sur un livre que son auteur lui-même. Il se passe, entre un roman et son lecteur, un phénomène analogue à celui du développement des photos, tel qu’on le pratiquait avant l’ère du numérique. Au moment de son tirage dans la chambre noire, la photo devenait peu à peu visible. À mesure que l’on avance dans la lecture d’un roman, il se déroule le même processus chimique. Mais pour qu’il existe un tel accord entre l’auteur et son lecteur, il est nécessaire que le romancier ne force jamais son lecteur – au sens où l’on dit d’un chanteur qu’il force sa voix – mais l’entraîne imperceptiblement et lui laisse une marge suffisante pour que le livre l’imprègne peu à peu, et cela par un art qui ressemble à l’acupuncture où il suffit de piquer l’aiguille à un endroit très précis et le flux se propage dans le système nerveux.

Cette relation intime et complémentaire entre le romancier et son lecteur, je crois que l’on en retrouve l’équivalent dans le domaine musical. J’ai toujours pensé que l’écriture était proche de la musique mais beaucoup moins pure que celle-ci et j’ai toujours envié les musiciens qui me semblaient pratiquer un art supérieur au roman – et les poètes, qui sont plus proches des musiciens que les romanciers. J’ai commencé à écrire des poèmes dans mon enfance et c’est sans doute grâce à cela que j’ai mieux compris la réflexion que j’ai lue quelque part : « C’est avec de mauvais poètes que l’on fait des prosateurs. » Et puis, en ce qui concerne la musique, il s’agit souvent pour un romancier d’entraîner toutes les personnes, les paysages, les rues qu’il a pu observer dans une partition musicale où l’on retrouve les mêmes fragments mélodiques d’un livre à l’autre, mais une partition musicale qui lui semblera imparfaite. Il y aura, chez le romancier, le regret de n’avoir pas été un pur musicien et de n’avoir pas composé Les Nocturnes de Chopin.

Le manque de lucidité et de recul critique d’un romancier vis-à-vis de l’ensemble de ses propres livres tient aussi à un phénomène que j’ai remarqué dans mon cas et dans celui de beaucoup d’autres : chaque nouveau livre, au moment de l’écrire, efface le précédent au point que j’ai l’impression de l’avoir oublié. Je croyais les avoir écrits les uns après les autres de manière discontinue, à coups d’oublis successifs, mais souvent les mêmes visages, les mêmes noms, les mêmes lieux, les mêmes phrases reviennent de l’un à l’autre, comme les motifs d’une tapisserie que l’on aurait tissée dans un demi-sommeil. Un demi-sommeil ou bien un rêve éveillé. Un romancier est souvent un somnambule, tant il est pénétré par ce qu’il doit écrire, et l’on peut craindre qu’il se fasse écraser quand il traverse une rue. Mais l’on oublie cette extrême précision des somnambules qui marchent sur les toits sans jamais tomber.

Dans la déclaration qui a suivi l’annonce de ce prix Nobel, j’ai retenu la phrase suivante, qui était une allusion à la dernière guerre mondiale : « Il a dévoilé le monde de l’Occupation. » Je suis comme toutes celles et ceux nés en 1945, un enfant de la guerre, et plus précisément, puisque je suis né à Paris, un enfant qui a dû sa naissance au Paris de l’Occupation. Les personnes qui ont vécu dans ce Paris-là ont voulu très vite l’oublier, ou bien ne se souvenir que de détails quotidiens, de ceux qui donnaient l’illusion qu’après tout la vie de chaque jour n’avait pas été si différente de celle qu’ils menaient en temps normal. Un mauvais rêve et aussi un vague remords d’avoir été en quelque sorte des survivants. Et lorsque leurs enfants les interrogeaient plus tard sur cette période et sur ce Paris-là, leurs réponses étaient évasives. Ou bien ils gardaient le silence comme s’ils voulaient rayer de leur mémoire ces années sombres et nous cacher quelque chose. Mais devant les silences de nos parents, nous avons tout deviné, comme si nous l’avions vécu.

Ville étrange que ce Paris de l’Occupation. En apparence, la vie continuait, « comme avant » : les théâtres, les cinémas, les salles de music-hall, les restaurants étaient ouverts. On entendait des chansons à la radio. Il y avait même dans les théâtres et les cinémas beaucoup plus de monde qu’avant-guerre, comme si ces lieux étaient des abris où les gens se rassemblaient et se serraient les uns contre les autres pour se rassurer. Mais des détails insolites indiquaient que Paris n’était plus le même qu’autrefois. À cause de l’absence des voitures, c’était une ville silencieuse – un silence où l’on entendait le bruissement des arbres, le claquement de sabots des chevaux, le bruit des pas de la foule sur les boulevards et le brouhaha des voix. Dans le silence des rues et du black-out qui tombait en hiver vers cinq heures du soir et pendant lequel la moindre lumière aux fenêtres était interdite, cette ville semblait absente à elle-même – la ville « sans regard », comme disaient les occupants nazis. Les adultes et les enfants pouvaient disparaître d’un instant à l’autre, sans laisser aucune trace, et même entre amis, on se parlait à demi-mot et les conversations n’étaient jamais franches, parce qu’on sentait une menace planer dans l’air.

Dans ce Paris de mauvais rêve, où l’on risquait d’être victime d’une dénonciation et d’une rafle à la sortie d’une station de métro, des rencontres hasardeuses se faisaient entre des personnes qui ne se seraient jamais croisées en temps de paix, des amours précaires naissaient à l’ombre du couvre-feu sans que l’on soit sûr de se retrouver les jours suivants. Et c’est à la suite de ces rencontres souvent sans lendemain, et parfois de ces mauvaises rencontres, que des enfants sont nés plus tard. Voilà pourquoi le Paris de l’Occupation a toujours été pour moi comme une nuit originelle. Sans lui je ne serais jamais né. Ce Paris-là n’a cessé de me hanter et sa lumière voilée baigne parfois mes livres.

Voilà aussi la preuve qu’un écrivain est marqué d’une manière indélébile par sa date de naissance et par son temps, même s’il n’a pas participé d’une manière directe à l’action politique, même s’il donne l’impression d’être un solitaire, replié dans ce qu’on appelle « sa tour d’ivoire ». Et s’il écrit des poèmes, ils sont à l’image du temps où il vit et n’auraient pas pu être écrits à une autre époque.

Ainsi le poème de Yeats, ce grand écrivain irlandais, dont la lecture m’a toujours profondément ému : Les cygnes sauvages à Coole. Dans un parc, Yeats observe des cygnes qui glissent sur l’eau :

Le dix-neuvième automne est descendu sur moi
Depuis que je les ai comptés pour la première fois ;
Je les vis, avant d’en avoir pu finir le compte
Ils s’élevaient soudain
Et s’égayaient en tournoyant en grands cercles brisés
Sur leurs ailes tumultueuses

Mais maintenant ils glissent sur les eaux tranquilles
Majestueux et pleins de beauté.
Parmi quels joncs feront-ils leur nid,
Sur la rive de quel lac, de quel étang
Enchanteront-ils d’autres yeux lorsque je m’éveillerai
Et trouverai, un jour, qu’ils se sont envolés ?

Les cygnes apparaissent souvent dans la poésie du XIXe siècle – chez Baudelaire ou chez Mallarmé. Mais ce poème de Yeats n’aurait pas pu être écrit au XIXe siècle. Par son rythme particulier et sa mélancolie, il appartient au XXe siècle et même à l’année où il a été écrit.

Il arrive aussi qu’un écrivain du XXIe siècle se sente, par moments, prisonnier de son temps et que la lecture des grands romanciers du XIXe siècle – Balzac, Dickens, Tolstoï, Dostoïevski – lui inspire une certaine nostalgie. À cette époque-là, le temps s’écoulait d’une manière plus lente qu’aujourd’hui et cette lenteur s’accordait au travail du romancier car il pouvait mieux concentrer son énergie et son attention. Depuis, le temps s’est accéléré et avance par saccades, ce qui explique la différence entre les grands massifs romanesques du passé, aux architectures de cathédrales, et les œuvres discontinues et morcelées d’aujourd’hui. Dans cette perspective, j’appartiens à une génération intermédiaire et je serais curieux de savoir comment les générations suivantes qui sont nées avec l’internet, le portable, les mails et les tweets exprimeront par la littérature ce monde auquel chacun est « connecté » en permanence et où les « réseaux sociaux » entament la part d’intimité et de secret qui était encore notre bien jusqu’à une époque récente – le secret qui donnait de la profondeur aux personnes et pouvait être un grand thème romanesque. Mais je veux rester optimiste concernant l’avenir de la littérature et je suis persuadé que les écrivains du futur assureront la relève comme l’a fait chaque génération depuis Homère …

Et d’ailleurs, un écrivain, comme tout autre artiste, a beau être lié à son époque de manière si étroite qu’il n’y échappe pas et que le seul air qu’il respire, c’est ce qu’on appelle « l’air du temps », il exprime toujours dans ses œuvres quelque chose d’intemporel. Dans les mises en scène des pièces de Racine ou de Shakespeare, peu importe que les personnages soient vêtus à l’antique ou qu’un metteur en scène veuille les habiller en blue-jeans et en veste de cuir. Ce sont des détails sans importance. On oublie, en lisant Tolstoï, qu’Anna Karénine porte des robes de 1870 tant elle nous est proche après un siècle et demi. Et puis certains écrivains, comme Edgar Poe, Melville ou Stendhal, sont mieux compris deux cents ans après leur mort que par ceux qui étaient leurs contemporains.

En définitive, à quelle distance exacte se tient un romancier ? En marge de la vie pour la décrire, car si vous êtes plongé en elle – dans l’action – vous en avez une image confuse. Mais cette légère distance n’empêche pas le pouvoir d’identification qui est le sien vis-à-vis de ses personnages et celles et ceux qui les ont inspirés dans la vie réelle. Flaubert a dit : « Madame Bovary, c’est moi. » Et Tolstoï s’est identifié tout de suite à celle qu’il avait vue se jeter sous un train une nuit, dans une gare de Russie. Et ce don d’identification allait si loin que Tolstoï se confondait avec le ciel et le paysage qu’il décrivait et qu’il absorbait tout, jusqu’au plus léger battement de cil d’Anna Karénine. Cet état second est le contraire du narcissisme car il suppose à la fois un oubli de soi-même et une très forte concentration, afin d’être réceptif au moindre détail. Cela suppose aussi une certaine solitude. Elle n’est pas un repli sur soi-même, mais elle permet d’atteindre à un degré d’attention et d’hyper-lucidité vis-à-vis du monde extérieur pour le transposer dans un roman.

J’ai toujours cru que le poète et le romancier donnaient du mystère aux êtres qui semblent submergés par la vie quotidienne, aux choses en apparence banales, – et cela à force de les observer avec une attention soutenue et de façon presque hypnotique. Sous leur regard, la vie courante finit par s’envelopper de mystère et par prendre une sorte de phosphorescence qu’elle n’avait pas à première vue mais qui était cachée en profondeur. C’est le rôle du poète et du romancier, et du peintre aussi, de dévoiler ce mystère et cette phosphorescence qui se trouvent au fond de chaque personne. Je pense à mon cousin lointain, le peintre Amedeo Modigliani dont les toiles les plus émouvantes sont celles où il a choisi pour modèles des anonymes, des enfants et des filles des rues, des servantes, de petits paysans, de jeunes apprentis. Il les a peints d’un trait aigu qui rappelle la grande tradition toscane, celle de Botticelli et des peintres siennois du Quattrocento. Il leur a donné ainsi – ou plutôt il a dévoilé – toute la grâce et la noblesse qui étaient en eux sous leur humble apparence. Le travail du romancier doit aller dans ce sens-là. Son imagination, loin de déformer la réalité, doit la pénétrer en profondeur et révéler cette réalité à elle-même, avec la force des infrarouges et des ultraviolets pour détecter ce qui se cache derrière les apparences. Et je ne serais pas loin de croire que dans le meilleur des cas le romancier est une sorte de voyant et même de visionnaire. Et aussi un sismographe, prêt à enregistrer les mouvements les plus imperceptibles.

J’ai toujours hésité avant de lire la biographie de tel ou tel écrivain que j’admirais. Les biographes s’attachent parfois à de petits détails, à des témoignages pas toujours exacts, à des traits de caractère qui paraissent déconcertants ou décevants et tout cela m’évoque ces grésillements qui brouillent certaines émissions de radio et rendent inaudibles les musiques ou les voix. Seule la lecture de ses livres nous fait entrer dans l’intimité d’un écrivain et c’est là qu’il est au meilleur de lui-même et qu’il nous parle à voix basse sans que sa voix soit brouillée par le moindre parasite.

Mais en lisant la biographie d’un écrivain, on découvre parfois un événement marquant de son enfance qui a été comme une matrice de son œuvre future et sans qu’il en ait eu toujours une claire conscience, cet événement marquant est revenu, sous diverses formes, hanter ses livres. Aujourd’hui, je pense à Alfred Hitchcock, qui n’était pas un écrivain mais dont les films ont pourtant la force et la cohésion d’une œuvre romanesque. Quand son fils avait cinq ans, le père d’Hitchcock l’avait chargé d’apporter une lettre à un ami à lui, commissaire de police. L’enfant lui avait remis la lettre et le commissaire l’avait enfermé dans cette partie grillagée du commissariat qui fait office de cellule et où l’on garde pendant la nuit les délinquants les plus divers. L’enfant, terrorisé, avait attendu pendant une heure, avant que le commissaire ne le délivre et ne lui dise : « Si tu te conduis mal dans la vie, tu sais maintenant ce qui t’attend. » Ce commissaire de police, qui avait vraiment de drôles de principes d’éducation, est sans doute à l’origine du climat de suspense et d’inquiétude que l’on retrouve dans tous les films d’Alfred Hitchcock.

Je ne voudrais pas vous ennuyer avec mon cas personnel mais je crois que certains épisodes de mon enfance ont servi de matrice à mes livres, plus tard. Je me trouvais le plus souvent loin de mes parents, chez des amis auxquels ils me confiaient et dont je ne savais rien, et dans des lieux et des maisons qui se succédaient. Sur le moment, un enfant ne s’étonne de rien, et même s’il se trouve dans des situations insolites, cela lui semble parfaitement naturel. C’est beaucoup plus tard que mon enfance m’a paru énigmatique et que j’ai essayé d’en savoir plus sur ces différentes personnes auxquelles mes parents m’avaient confié et ces différents lieux qui changeaient sans cesse. Mais je n’ai pas réussi à identifier la plupart de ces gens ni à situer avec une précision topographique tous ces lieux et ces maisons du passé. Cette volonté de résoudre des énigmes sans y réussir vraiment et de tenter de percer un mystère m’a donné l’envie d’écrire, comme si l’écriture et l’imaginaire pourraient m’aider à résoudre enfin ces énigmes et ces mystères.

Et puisqu’il est question de « mystères », je pense, par une association d’idées, au titre d’un roman français du XIXe siècle : Les mystères de Paris. La grande ville, en l’occurrence Paris, ma ville natale, est liée à mes premières impressions d’enfance et ces impressions étaient si fortes que, depuis, je n’ai jamais cessé d’explorer les « mystères de Paris ». Il m’arrivait, vers neuf ou dix ans, de me promener seul, et malgré la crainte de me perdre, d’aller de plus en plus loin, dans des quartiers que je ne connaissais pas, sur la rive droite de la Seine. C’était en plein jour et cela me rassurait. Au début de l’adolescence, je m’efforçais de vaincre ma peur et de m’aventurer la nuit, vers des quartiers encore plus lointains, par le métro. C’est ainsi que l’on fait l’apprentissage de la ville et, en cela, j’ai suivi l’exemple de la plupart des romanciers que j’admirais et pour lesquels, depuis le XIXe siècle, la grande ville – qu’elle se nomme Paris, Londres, Saint-Pétersbourg, Stockholm – a été le décor et l’un des thèmes principaux de leurs livres.

Edgar Poe dans sa nouvelle « L’homme des foules » a été l’un des premiers à évoquer toutes ces vagues humaines qu’il observe derrière les vitres d’un café et qui se succèdent interminablement sur les trottoirs. Il repère un vieil homme à l’aspect étrange et il le suit pendant la nuit dans différents quartiers de Londres pour en savoir plus long sur lui. Mais l’inconnu est « l’homme des foules » et il est vain de le suivre, car il restera toujours un anonyme, et l’on n’apprendra jamais rien sur lui. Il n’a pas d’existence individuelle, il fait tout simplement partie de cette masse de passants qui marchent en rangs serrés ou bien se bousculent et se perdent dans les rues.

Et je pense aussi à un épisode de la jeunesse du poète Thomas De Quincey, qui l’a marqué pour toujours. À Londres, dans la foule d’Oxford Street, il s’était lié avec une jeune fille, l’une de ces rencontres de hasard que l’on fait dans une grande ville. Il avait passé plusieurs jours en sa compagnie et il avait dû quitter Londres pour quelque temps. Ils étaient convenus qu’au bout d’une semaine, elle l’attendrait tous les soirs à la même heure au coin de Tichfield Street. Mais ils ne se sont jamais retrouvés. « Certainement nous avons été bien des fois à la recherche l’un de l’autre, au même moment, à travers l’énorme labyrinthe de Londres ; peut-être n’avons-nous été séparés que par quelques mètres – il n’en faut pas davantage pour aboutir à une séparation éternelle. »

Pour ceux qui y sont nés et y ont vécu, à mesure que les années passent, chaque quartier, chaque rue d’une ville, évoque un souvenir, une rencontre, un chagrin, un moment de bonheur. Et souvent la même rue est liée pour vous à des souvenirs successifs, si bien que grâce à la topographie d’une ville, c’est toute votre vie qui vous revient à la mémoire par couches successives, comme si vous pouviez déchiffrer les écritures superposées d’un palimpseste. Et aussi la vie des autres, de ces milliers et milliers d’inconnus, croisés dans les rues ou dans les couloirs du métro aux heures de pointe.

C’est ainsi que dans ma jeunesse, pour m’aider à écrire, j’essayais de retrouver de vieux annuaires de Paris, surtout ceux où les noms sont répertoriés par rues avec les numéros des immeubles. J’avais l’impression, page après page, d’avoir sous les yeux une radiographie de la ville, mais d’une ville engloutie, comme l’Atlantide, et de respirer l’odeur du temps. À cause des années qui s’étaient écoulées, les seules traces qu’avaient laissées ces milliers et ces milliers d’inconnus, c’était leurs noms, leurs adresses et leurs numéros de téléphone. Quelquefois, un nom disparaissait, d’une année à l’autre. Il y avait quelque chose de vertigineux à feuilleter ces anciens annuaires en pensant que désormais les numéros de téléphone ne répondraient pas. Plus tard, je devais être frappé par les vers d’un poème d’Ossip Mandelstam :

Je suis revenu dans ma ville familière jusqu’aux sanglots
Jusqu’aux ganglions de l’enfance, jusqu’aux nervures sous la peau.

Pétersbourg ! […]
De mes téléphones, tu as les numéros.

Pétersbourg ! J’ai les adresses d’autrefois
Où je reconnais les morts à leurs voix.

Oui, il me semble que c’est en consultant ces anciens annuaires de Paris que j’ai eu envie d’écrire mes premiers livres. Il suffisait de souligner au crayon le nom d’un inconnu, son adresse et son numéro de téléphone et d’imaginer quelle avait été sa vie, parmi ces centaines et ces centaines de milliers de noms.

On peut se perdre ou disparaître dans une grande ville. On peut même changer d’identité et vivre une nouvelle vie. On peut se livrer à une très longue enquête pour retrouver les traces de quelqu’un, en n’ayant au départ qu’une ou deux adresses dans un quartier perdu. La brève indication qui figure quelquefois sur les fiches de recherche a toujours trouvé un écho chez moi : Dernier domicile connu. Les thèmes de la disparition, de l’identité, du temps qui passe sont étroitement liés à la topographie des grandes villes. Voilà pourquoi, depuis le XIXe siècle, elles ont été souvent le domaine des romanciers et quelques-uns des plus grands d’entre eux sont associés à une ville : Balzac et Paris, Dickens et Londres, Dostoïevski et Saint-Pétersbourg, Tokyo et Nagaï Kafû, Stockholm et Hjalmar Söderberg.

J’appartiens à une génération qui a subi l’influence de ces romanciers et qui a voulu, à son tour, explorer ce que Baudelaire appelait « les plis sinueux des grandes capitales ». Bien sûr, depuis cinquante ans, c’est-à-dire l’époque où les adolescents de mon âge éprouvaient des sensations très fortes en découvrant leur ville, celles-ci ont changé. Quelques-unes, en Amérique et dans ce qu’on appelait le tiers-monde, sont devenues des « mégapoles » aux dimensions inquiétantes. Leurs habitants y sont cloisonnés dans des quartiers souvent à l’abandon, et dans un climat de guerre sociale. Les bidonvilles sont de plus en plus nombreux et de plus en plus tentaculaires. Jusqu’au XXe siècle, les romanciers gardaient une vision en quelque sorte « romantique » de la ville, pas si différente de celle de Dickens ou de Baudelaire. Et c’est pourquoi j’aimerais savoir comment les romanciers de l’avenir évoqueront ces gigantesques concentrations urbaines dans des œuvres de fiction.

Vous avez eu l’indulgence de faire allusion concernant mes livres à « l’art de la mémoire avec lequel sont évoquées les destinées humaines les plus insaisissables. » Mais ce compliment dépasse ma personne. Cette mémoire particulière qui tente de recueillir quelques bribes du passé et le peu de traces qu’ont laissé sur terre des anonymes et des inconnus est elle aussi liée à ma date de naissance : 1945. D’être né en 1945, après que des villes furent détruites et que des populations entières eurent disparu, m’a sans doute, comme ceux de mon âge, rendu plus sensible aux thèmes de la mémoire et de l’oubli.

Il me semble, malheureusement, que la recherche du temps perdu ne peut plus se faire avec la force et la franchise de Marcel Proust. La société qu’il décrivait était encore stable, une société du XIXe siècle. La mémoire de Proust fait ressurgir le passé dans ses moindres détails, comme un tableau vivant. J’ai l’impression qu’aujourd’hui la mémoire est beaucoup moins sûre d’elle-même et qu’elle doit lutter sans cesse contre l’amnésie et contre l’oubli. À cause de cette couche, de cette masse d’oubli qui recouvre tout, on ne parvient à capter que des fragments du passé, des traces interrompues, des destinées humaines fuyantes et presque insaisissables.

Mais c’est sans doute la vocation du romancier, devant cette grande page blanche de l’oubli, de faire ressurgir quelques mots à moitié effacés, comme ces icebergs perdus qui dérivent à la surface de l’océan.​


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«La solitude de l’Amérique du Sud», le poignant discours du Nobel de Gabriel Garcia Marquez

Le 8 décembre 1982, Gabriel Garcia Marquez monte à la tribune de l'Académie suédoise recevoir son prix Nobel de littérature. L'auteur de Cent ans de solitude y livre un discours poignant sur son continent, dévasté par la colonisation puis déchiré par les dictatures, mais prêt à se relever. Vanity Fair vous le propose dans sa version intégrale.

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«Antonio Pigafetta, un navigateur florentin qui a accompagné Magellan lors du premier voyage autour du monde, a écrit lors de son passage par notre Amérique du Sud une chronique rigoureuse qui paraît cependant être une aventure de l’imagination. Il raconte qu’il a vu des cochons avec le nombril sur les hanches, des oiseaux sans griffe, dont les femelles couvaient dans le dos des mâles, et d’autres oiseaux, semblables à des pélicans sans langue au bec pareil à des cuillères. Il raconte qu’il a vu une créature animale avec une tête et des oreilles de mule, un corps de chameau, des pattes de cerf et un hennissement de cheval. Il raconte qu'ils ont mis le premier en Patagonie en face d’un miroir, et que ce géant exalté a perdu l’usage de la raison, effrayé par sa propre image.
Ce livre bref et fascinant, qui contient les germes de nos romans d’aujourd’hui, est peut-être le témoignage le plus stupéfiant de notre perception de cette époque. Les Chroniques des Indes nous en a laissés d’autres tout aussi fascinants. L’Eldorado, notre pays tant désiré et illusoire, a été dessiné sur de nombreuses cartes pendant de longues années, changeant de lieu et de forme selon l’imagination des cartographes. À la recherche de la fontaine de jouvence, le mythique Alvar Núñez Cabeza de Vaca a exploré le nord du Mexique durant huit années dans une expédition illusoire, dont les membres se sont dévorés entre eux, et dont cinq seulement, sur les 600 qui étaient partis, sont revenus. L’un des nombreux mystères qui n’ont jamais été élucidés, est celui des 11.000 mules chargées de cent livres d’or chacune, qui, un jour, sont sorties de Cuzco pour payer le sauvetage d’Atahualpa et qui ne sont jamais arrivées à destination. Plus tard, au temps des colonies, des poules, élevées dans les plaines alluviales, se vendaient à Carthagène. Dans leur gésier se trouvaient des pépites d’or. Cette soif de l’or des fondateurs nous a poursuivis jusqu’il y a peu. Au siècle passé encore, la mission allemande chargée d’étudier la construction d’un chemin de fer interocéanique dans l’isthme de Panama, a conclu que le projet était viable à condition que les rails ne fussent pas faits en fer, qui était un métal peu abondant dans la région, mais d'or.
Notre libération de la domination espagnole ne nous a pas mis à l’abri de la démence. Le général Antonio López de Santana, trois fois dictateur du Mexique, a donné des funérailles magnifiques à sa jambe droite, qu’il avait perdue dans ladite Guerres des pâtisseries. Le général Gabriel García Morena a gouverné l’Équateur durant 16 ans en monarque absolu. Son cadavre a été veillé, vêtu de son uniforme et de ses médailles de gala, assis dans le fauteuil présidentiel. Le général Maximiliano Hernández Martínez, le despote théosophe du Salvador qui a fait exterminer 30.000 paysans dans un massacre barbare, avait inventé un pendule pour vérifier si les aliments étaient empoisonnés, et a fait couvrir d’un papier rouge l’éclairage public pour combattre une épidémie de scarlatine. La statue du général Francisco Morazán, érigée sur la place principale de Tegucigalpa, est en fait celle du maréchal Ney, achetée dans un entrepôt de sculptures d'occasion à Paris.
Il y a onze ans, le Chilien Pablo Neruda, l’un des plus grands poètes de notre temps, a illuminé cette assemblée de sa parole. Depuis, les Européens de bonne volonté – et parfois de mauvaise – ont été frappés, avec une plus grande force encore, par les nouvelles fantomatiques de l’Amérique latine, ce royaume sans frontière d’hommes hantés et de femmes historiques, dont l’entêtement sans fin se confond avec la légende.
Nous n’avons pas eu de moment de repos. Un président prométhéen, retranché dans son palais en flammes, est mort en combattant seul une armée entière. Deux accidents suspects d’avions, toujours non élucidés, ont fauché la vie d’un autre président au grand cœur et celle d’un militaire démocrate qui avait restauré la dignité de son peuple. Cinq guerres et 17 coups d’États ont eu lieu. Un dictateur diabolique a émergé et mène, au nom de Dieu, le premier génocide contemporain de l'Amérique latine. Pendant ce temps, 20 millions d’enfants latino-américains meurent avant d’atteindre l’âge de deux ans, ce qui est plus que tous ceux nés en Europe depuis 1970. Le nombre d’enfants manquant à cause de la répression approche les 120.000 disparus. C’est comme si aujourd’hui on ne savait pas où étaient passés tous les habitants de la ville d’Uppsala. De nombreuses femmes enceintes ont été arrêtées et ont accouché dans des prisons argentines. On ignore encore le destin et l’identité de ces enfants, qui ont été donnés en adoption clandestine ou enfermés dans des orphelinats par les autorités militaires. Parce qu’ils ont voulu changer les choses, presque 200.000 hommes et femmes ont péri sur tout le continent, et plus de 100.000 ont perdu la vie dans trois malheureux petits pays d’Amérique centrale : le Nicaragua, le Salvador et le Guatemala. Si c’était aux États-Unis, le chiffre proportionnel serait d’1,6 millions de morts violentes en quatre ans.
Un million de personnes ont fui le Chili, un pays aux traditions pourtant hospitalières, soit 12% de sa population. L’Uruguay, minuscule nation de 2,5 millions d’habitants, qui se considérait comme le pays le plus civilisé du continent, a perdu un citoyen sur cinq dans l’exil. Depuis 1979, la guerre civile au Salvador a provoqué le départ de presque un réfugié toutes les 20 minutes. Le pays qu’on pourrait reproduire avec tous les exilés et émigrés forcés d’Amérique Latine aurait une population plus nombreuse que la Norvège. J’ose penser que c’est cette réalité extraordinaire – et pas seulement dans son expression littéraire – qui, cette année, a mérité l’attention de l’Académie suédoise des Lettres. Une réalité qui n’est pas celle du papier, mais qui vit avec nous et détermine chaque instant de nos innombrables morts quotidiennes, et qui nourrit une source de création insatiable, pleine de douleur et de beauté, de laquelle ce Colombien errant et nostalgique n’est qu’un bénéficaire de plus parmi d’autres, distingué par la chance. Poètes et mendiants, musiciens et prophètes, guerriers et racailles, toutes les créatures de cette réalité effrénée ont eu très peu à demander à l’imagination, parce que le plus grand défi fut pour nous l’insuffisance des moyens conventionnels pour rendre notre vie crédible. C’est cela, mes amis, le nœud de notre solitude.
Si ces difficultés, dont nous partageons l’essence, nous engourdissent, il est compréhensible que les talents rationnels de ce côté du monde, exaltés par la contemplation de leurs propres cultures, sont restés sans méthode valable pour nous définir. Il est naturel qu’ils insistent pour nous définir avec les mêmes critères qu'ils utilisent pour eux-mêmes, omettant que les épreuves de la vie ne sont pas égales pour tous, et que la recherche de l’identité propre est aussi ardue et sanglante pour nous qu’elle le fut pour eux. L’interprétation de notre réalité avec des schémas qui ne sont pas les nôtres contribue seulement à nous rendre de plus en plus méconnus, de moins en moins libres, de plus en plus solitaires. Peut-être l’Europe vénérable serait plus compréhensive si elle essayait de nous voir à travers son propre passé. Si elle se rappelait que Londres a eu besoin de 300 ans pour construire sa première muraille et de 300 autres années pour avoir un évêque ; que Rome s’est débattue dans les ténèbres de l’incertitude pendant 20 siècles avant qu’un roi étrusque ne l’implantât dans l’histoire ; que ces Suisses pacifiques d’aujourd’hui, qui nous régalent de leurs fromages doux et de leurs montres apathiques, ont ensanglanté l’Europe avec leurs mercenaires, pas plus tard qu'au XVIe siècle. Même à l’apogée de la Renaissance, 12.000 lansquenets à la solde des armées impériales pillèrent et dévastèrent Rome, et passèrent au fil de l’épée 8000 de ses habitants.
Je ne cherche pas à incarner les illusions de Tonio Kröger, dont les rêves d’union entre un Nord chaste et un Sud passionné exaltaient Thomas Mann il y a 53 ans dans ce même lieu. Mais je crois que les Européens à l’esprit éclairé, qui luttent, ici aussi, pour une grande patrie plus humaine et plus juste, pourraient mieux nous aider s’ils reconsidéraient à fond leur manière de nous voir. La solidarité avec nos rêves ne nous fera pas nous sentir moins seuls tant qu'elle ne se concrétisera pas dans des actes de soutien légitime aux peuples qui assument l’illusion d’avoir une vie à eux dans la répartition du monde.
L’Amérique latine ne veut et n’a pas de raison d’être un fou sans volonté propre. Il n’est pas, non plus, chimérique de penser que sa quête d’indépendance et d’originalité devrait devenir une aspiration occidentale. Cependant, les progrès de la navigation, qui ont réduit tant de distances entre nos Amériques et l’Europe, semblent, en revanche, avoir augmenté notre distance culturelle. Pourquoi l’originalité qu’on nous admet sans réserve dans la littérature nous est refusée avec toute sorte de suspicions dans nos si difficiles tentatives de changement social ? Pourquoi penser que la justice sociale, que les Européens progressistes essaient d’imposer dans leurs pays, ne pourrait-il pas être aussi un objectif latino-américain, avec des méthodes distinctes dans des conditions différentes ?
Non : la violence et la douleur démesurées de notre histoire sont le résultat d’injustices séculières et d’amertumes innombrables, et non un complot ourdi à 3000 lieues de notre maison. Mais nombre de dirigeants et penseurs européens l’ont cru, avec l’infantilisme des anciens qui ont oublié les folies fructueuses de leur jeunesse, qu'il était impossible de trouver une autre destiné que de vivre à la merci des deux maîtres du monde. Telle est, mes amis, l’ampleur de notre solitude.
En dépit de tout ceci, face à l’oppression, au pillage et à l’abandon, notre réponse est la vie. Ni les déluges ni les pestes, ni les famines ni les cataclysmes, ni même les guerres éternelles à travers les siècles et les siècles n’ont réussi à réduire l’avantage tenace de la vie sur la mort. Un avantage qui grandit et s’accélère : chaque année il y a 74 millions de naissances de plus que de décès, un nombre suffisant de nouvelles vies pour multiplier, chaque année, sept fois la population de New York. La majorité de ces naissances ont lieu dans des pays avec moins de ressources, et parmi ceux-ci, bien sûr, ceux d’Amérique latine. En revanche, les pays les plus prospères ont réussi à accumuler assez de pouvoir de destruction pour anéantir cent fois non seulement tous les êtres humains qui ont existé jusqu’à aujourd’hui, mais la totalité des êtres vivants qui sont passés par cette planète de malheur.
Un jour comme celui-ci, mon maître William Faulkner a dit dans ce lieu : « Je me refuse à accepter la fin de l’Homme. » Je ne me sentirais pas digne d’occuper cette place qui était la sienne si je n’avais pas pleinement conscience que la tragédie colossale, qu’il se refusait à voir il y a 32 ans, est, pour la première fois depuis les origines de l’humanité, bien plus d’une hypothèse scientifique.
Devant cette réalité saisissante qui a dû paraître une utopie durant tout le temps humain, nous, les inventeurs de fables qui croyons tout, nous sentons le droit de croire qu’il n’est pas encore trop tard pour entreprendre la création de l’utopie contraire. Une utopie nouvelle et triomphante de la vie, où personne ne peut décider pour les autres de leur façon de mourir ; où l’amour prouve que la vérité et le bonheur sont possibles ; et où les races condamnées à cent ans de solitude ont, enfin et pour toujours, une deuxième chance sur terre. »
– Stockholm, le 8 décembre 1982​
 
The Nobel Prize in Literature 1921
Anatole France
Banquet Speech

J'ai eu à cœur de venir au soir de ma vie contempler votre beau pays où la terre a enfanté des hommes forts et de belles femmes. Je suis venu avec reconnaissance pour recevoir le prix qui couronne ma carrière littéraire. Je compte comme un incomparable honneur d'avoir reçu le prix institué par un homme aux nobles sentiments et qui m'a été attribué par des juges aussi équitables et compétents. Appelé par vous, comme membre de l'Académie française, à donner mon avis sur le prix Nobel de littérature, j'ai eu plusieurs fois la joie d'orienter votre choix. Tel a été le cas pour Maeterlinck qui unit à un style brillant la pensée la plus indépendante; tel a été le cas également pour Romain Rolland en qui vous avez reconnu un ami de la justice et de la paix et qui comme tel a pu défier l'impopularité pour rester un homme de bien.

J'excéderais peut-être ma compétence en parlant maintenant du prix de la paix du Storting norvégien. Si je le fais pourtant, c'est pour louer le choix que vient de faire le Storting. Peutêtre m'est-il permis de dire que je vois couronner en Branting un homme d'état épris de justice. Puissent les destins des peuples être dirigés par de tels hommes! La plus horrible de toutes les guerres a été suivie d'un traité de paix qui est, non pas un traité de paix, mais une prolongation de la guerre. L'Europe succombera si le bon sens finalement ne trouve pas place dans les salles des conseils des ministres. Si l'on ne peut guère espérer raisonnablement dans le triomphe de l'union et de l'harmonie entre les Etats de l'Europe, je veux au moins croire, messieurs, que, sous l'influence d'hommes forts, droits et loyaux comme vous, le bien parfois l'emportera




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Herta Müller a reçu le prix Nobel de littérature 2009: le discours

Chaque mot en sait long sur le cercle vicieux

TU AS UN MOUCHOIR ? me demandait ma mère au portail tous les matins, avant que je ne parte dans la rue. Je n'en avais pas. Étant sans mouchoir, je retournais en prendre un dans ma chambre. Je n'en avais jamais, car tous les jours, j'attendais cette question. Le mouchoir était la preuve que ma mère me protégeait le matin. Le reste de la journée, pour les autres sujets, je me débrouillais seule. La question TU AS UN MOUCHOIR ? était un mot tendre détourné. Direct, il aurait été gênant, ça ne se faisait pas chez les paysans. L'amour était travesti en question. On ne pouvait l'exprimer que sèchement, d'un ton impérieux, comme les gestes du travail. C'était même la brusquerie de la voix qui soulignait la tendresse. Tous les matins, au portail, j'étais d'abord sans mouchoir, et j'attendais d'en avoir un pour m'en aller dans la rue ; c'était comme si, grâce au mouchoir, ma mère avait été présente.

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(c)Afp
Née en 1953 dans un petit village germanophone de Roumanie, l'écrivain allemande Herta Müller a été récompensée par le prix Nobel de Littérature.

Et vingt ans plus tard, à la ville, j'étais depuis longtemps seule, traductrice dans une usine de construction mécanique. Je me levais à cinq heures et prenais mon travail à six heures et demie. Le matin, diffusé par le haut-parleur, l'hymne national retentissait dans la cour de l'usine. À la pause de midi, c'étaient des chœurs d'ouvriers. Quant aux ouvriers attablés, ils avaient les yeux vides comme du fer-blanc, les mains barbouillées de graisse, et leur casse-croûte était emballé dans du papier journal. Avant de manger leur tranche de lard, ils grattaient l'encre d'imprimerie qui était dessus. Deux années de train-train quotidien s'écoulèrent.

La troisième année marqua la fin de l'égalité des jours. En l'espace d'une semaine, je vis arriver trois fois dans mon bureau, tôt le matin, un géant à la lourde ossature et au regard d'un bleu étincelant : un colosse des services secrets.

La première fois, il m'insulta en restant debout et s'en alla.

La deuxième fois, il enleva sa parka, l'accrocha à la clé du placard et s'assit. Ce matin-là, j'avais apporté des tulipes de chez moi, et je les arrangeais dans le vase. Tout en me regardant, il loua ma singulière expérience de la nature humaine. Il avait une voix onctueuse qui me sembla louche. Je refusai le compliment : je m'y connaissais en tulipes, pas en êtres humains. Il rétorqua d'un air narquois qu'il en savait plus long sur ma personne que moi sur les tulipes. Et il partit, sa parka sur le bras.

La troisième fois, il s'assit et je restai debout, car il avait posé sa serviette sur ma chaise. Je n'osai pas la mettre par terre. Il me traita d'idiote finie, de fainéante, de femme facile, aussi infecte qu'une chienne errante. Il repoussa le vase au bord du bureau et, au milieu, posa un crayon et une feuille de papier. Il hurla : écrivez ! Debout, j'écrivis sous sa dictée mon nom, ma date de naissance et mon adresse. Puis : quel que soit le degré de proximité ou de parenté, je ne dirai à personne que je... et voici l'affreux mot roumain : colaborez, que je collabore. Ce mot, je ne l'écrivis pas. Je posai le crayon, allai à la fenêtre et regardai, au dehors, la rue poussiéreuse. Elle n'était pas asphaltée, elle avait des nids-de-poule et des maisons bossues. Cette ruelle délabrée s'appelait toujours Strada Gloriei, rue de la Gloire. Un chat était juché sur un mûrier tout dépouillé, rue de la Gloire. C'était le chat de l'usine, celui à l'oreille déchirée. Au-dessus de lui, un soleil matinal, comme un tambour jaune. Je fis : n-am caracterul. Je n'ai pas ce caractère-là. Je le dis à la rue, dehors. Le mot "caractère" exaspéra l'homme des services secrets. Il déchira la feuille et jeta les bouts de papier par terre. Mais à l'idée qu'il devrait présenter à son chef cette tentative de recrutement, il se baissa et ramassa tous les morceaux qu'il flanqua dans sa serviette. Puis il poussa un gros soupir et, dans sa déconfiture, lança le vase de tulipes contre le mur : il s'y fracassa, et on entendit comme un grincement de dents en plein vol. La serviette sous le bras, il marmonna : tu le regretteras, on te noiera dans le fleuve. Je fis en aparté : si je signe ça, je ne pourrai plus vivre avec moi-même, donc j'en viendrai là. Autant que vous vous en chargiez. La porte du bureau étant déjà ouverte, il était parti. Dehors, dans la Strada Gloriei, le chat de l'usine avait sauté de l'arbre sur le toit de la maison. Une branche se balançait comme un trampoline.

Le lendemain, les tracasseries commencèrent. On voulait que je quitte définitivement l'usine. Tous les matins à six heures et demie, je devais me présenter chez le directeur. Et à chaque fois, il y avait dans son bureau le chef du syndicat et le secrétaire du Parti. Comme ma mère avec sa question d'autrefois tu as un mouchoir?, le directeur me demandait tous les matins : tu as trouvé un nouveau travail? Je répondais régulièrement : je n'en cherche pas, je me sens bien à l'usine, je voudrais y rester jusqu'à la retraite.

Un matin, à mon arrivée, je trouvai mes gros dictionnaires par terre dans le couloir, devant la porte de mon bureau. J'ouvris, c'était un ingénieur qui l'occupait. Il dit : ici, on frappe avant d'entrer. C'est moi qui suis là, tu n'as rien à y faire. Je ne pouvais pas rentrer à la maison : il ne fallait pas leur fournir ce prétexte, on m'aurait licenciée pour cause d'absence injustifiée. Je n'avais plus de bureau, mais il fallait à tout prix que je vienne travailler normalement tous les jours, il était hors de question de manquer.

Les premiers temps, mon amie me libéra un coin de son bureau - à chaque fois je lui racontais tout, en rentrant par la misérable Strada Gloriei. Jusqu'au matin où, postée à l'entrée de son bureau, elle déclara : je n'ai pas le droit de te laisser entrer. Tout le monde dit que tu es une balance. Désormais, les tracasseries venaient d'en bas, c'étaient des rumeurs qui circulaient parmi les collègues. Et ça, c'était le pire. On peut se défendre contre des attaques, mais face aux calomnies, on est impuissant. Jour après jour, dans mes calculs, je ne donnais pas cher de ma peau. Mais la perfidie, je n'en venais pas à bout. Mes calculs ne la rendaient pas supportable. La calomnie vous couvre de boue et on étouffe, faute de pouvoir se défendre. Dans l'esprit de mes collègues, j'étais précisément ce que j'avais refusé d'être. Si je les avais espionnés, ils auraient eu une confiance aveugle en moi. Au fond, ils me punissaient de les avoir épargnés.

Comme je ne devais surtout pas être absente, même si je n'avais plus de bureau et que mon amie ne me prêtait plus le sien, je traînais dans la cage d'escalier sans savoir que faire. Je montais et descendais les marches. Et tout à coup, je redevins l'enfant de ma mère, car J'AVAIS UN MOUCHOIR. Je le posai sur une marche entre le premier et le deuxième étage, le lissai bien comme il faut, et m'assis dessus. Mes gros dictionnaires sur les genoux, je me mis à traduire des descriptions de machines hydrauliques. J'avais l'esprit de l'escalier, et un mouchoir en guise de bureau. À l'heure du déjeuner, mon amie venait s'asseoir à côté de moi. Nous mangions ensemble, comme nous l'avions fait dans son bureau et, auparavant, dans le mien. Depuis le haut-parleur de la cour, les chœurs d'ouvriers chantaient comme toujours le bonheur du peuple. Tout en mangeant, mon amie se lamentait sur mon sort, à ma différence. Moi, je devais rester forte pendant longtemps. Quelques semaines interminables, jusqu'au licenciement.

Ayant l'esprit de l'ESCALIER, je cherchai ce mot dans le dictionnaire pour savoir de quoi il retournait : la marche du bas est dite de DÉPART, celle du haut est la marche PALIÈRE. La partie horizontale sur laquelle on pose le pied s'appelle le GIRON, et la partie en saillie sur le nu de la contremarche est le NEZ. Le COLLET, c'est le petit côté d'une marche. Grâce aux pièces des machines-outils hydrauliques et barbouillées de graisse, je connaissais déjà les jolis termes que sont QUEUE D'ARONDE, COL DE CYGNE ; sur un tour, c'était la VIS-MÈRE qui soutenait les vis. Et j'étais tout aussi fascinée par la beauté de la langue technique, par les noms poétiques désignant les parties de l'escalier. NEZ, COLLET : l'escalier avait par conséquent un visage. Qu'est-ce qui pousse donc l'être humain à intégrer son propre visage même aux objets les plus encombrants, qu'ils soient en bois, en pierre, en béton ou en fer, et à donner à un outillage inanimé le nom de sa propre chair, à le personnifier en y voyant des parties du corps? Les spécialistes d'une technique ont-ils besoin de cette tendresse cachée pour rendre supportable un travail ardu? Est-ce que chaque travail, dans n'importe quel métier, obéit au même principe que la question de ma mère sur le mouchoir?

Quand j'étais petite, à la maison, il y avait un tiroir à mouchoirs avec deux rangées comportant chacune trois piles :
À gauche, les mouchoirs d'homme pour mon père et mon grand-père.
À droite, les mouchoirs de femme pour ma mère et ma grand-mère.
Au milieu, les mouchoirs d'enfant pour moi.

Ce tiroir était notre portrait de famille, en format mouchoir de poche. Les mouchoirs d'homme, les plus grands, avaient sur le pourtour des rayures foncées en marron, gris ou bordeaux. Ceux de femme étaient plus petits, avec un liseré bleu clair, rouge ou vert. Encore plus petits et sans liseré, ceux d'enfant formaient un carré blanc orné de fleurs ou d'animaux. Dans chaque catégorie de mouchoirs, il y avait ceux pour tous les jours, sur le devant, et ceux du dimanche, au fond. Le dimanche, le mouchoir devait être assorti aux vêtements, même si on ne le voyait pas.

À la maison, le mouchoir comptait plus que tout, et même plus que nous. Il était d'une utilité universelle en cas de rhume, saignement de nez, écorchure à la main, au coude ou au genou, il servait à essuyer les larmes ou, si on le mordait, à les retenir. Contre la migraine, on appliquait sur le front un mouchoir imbibé d'eau froide. Noué aux quatre coins, il protégeait la tête des insolations ou de la pluie. Pour ne pas oublier quelque chose, on y faisait un nœud en guise de pense-bête. Pour porter un sac lourd, on enroulait son mouchoir autour de sa main. On l'agitait en signe d'adieu, au départ du train. Et comme "train" se dit TREN en roumain et que le mot "larme" se dit TRÄN en dialecte du Banat, le grincement des roues sur les rails m'a toujours fait penser aux pleurs. Dans mon village, quand quelqu'un mourait chez soi, on lui nouait aussitôt un mouchoir autour du menton pour maintenir la bouche fermée jusqu'à la rigidité cadavérique. Et si quelqu'un, étant sorti, tombait à la renverse au bord du chemin, il y avait toujours un passant pour lui couvrir le visage de son mouchoir - là, le mouchoir était le premier repos du mort.

En été, les jours de canicule, les parents envoyaient leurs enfants au cimetière arroser les fleurs en fin de soirée. Par groupes de deux ou trois, nous allions de tombe en tombe, en arrosant vite. Puis, bien serrés contre les autres sur les marches de la chapelle, nous regardions les traînées de vapeur qui montaient de la plupart des tombes. Elles volaient quelque temps dans l'air noir et disparaissaient. Pour nous, c'étaient les âmes des morts : des silhouettes d'animaux, des lunettes, des fioles et des tasses, des gants et des chaussettes. Et, çà et là, un mouchoir blanc avec le noir liseré de la nuit.

Plus tard, j'eus des entretiens avec Oskar Pastior pour écrire mon livre sur sa déportation dans un camp de travail soviétique, et il me raconta qu'une vieille mère russe lui avait donné un mouchoir de batiste. Peut-être que vous aurez de la chance, mon fils et toi, et que vous pourrez bientôt rentrer chez vous, avait dit la Russe. Son fils avait l'âge d'Oskar Pastior et il était tout aussi éloigné de sa maison, mais dans une autre direction, selon elle, dans un bataillon pénitentiaire. Mendiant à demi mort de faim, Oskar Pastior avait frappé à sa porte ; il voulait échanger un boulet de charbon contre un peu de nourriture. Elle le laissa entrer, lui donna une soupe bien chaude, et comme il avait le nez qui coulait dans l'assiette, ce mouchoir blanc de batiste n'ayant jamais servi. Avec son bord ajouré, ses faisceaux et ses rosettes méticuleusement brodés au fil de soie, ce mouchoir était d'une beauté qui étreignit le mendiant tout en le blessant. Cet objet ambigu était, d'une part, un réconfort en batiste, et, d'autre part, un centimètre aux bâtonnets de soie, petits traits blancs sur la graduation de la déchéance. Pour cette femme, Pastior était lui-même un être ambigu, entre mendiant détaché du monde et enfant perdu dans le monde. Double personnage, il fut comblé et dépassé par le geste d'une femme qui, elle-même, était à ses yeux deux personnes : une étrangère et une mère aux petits soins demandant TU AS UN MOUCHOIR?

Depuis que je connais cette histoire, j'ai moi aussi une question : la phrase TU AS UN MOUCHOIR est-elle universellement valable, s'étend-elle sur la moitié du monde, dans le scintillement de la neige, des frimas au dégel? Franchit-elle toutes les frontières, entre les monts et les steppes, pour entrer dans un immense empire parsemé de camps pénitentiaires et de camps de travail? Reste-t-elle increvable, cette question, malgré le marteau et la faucille, ou même tous les camps de rééducation sous Staline?

J'ai beau parler roumain depuis des lustres, c'est en m'entretenant avec Oskar Pastior que j'ai pris conscience, pour la première fois, que "mouchoir" se dit en roumain BATISTÀ. Encore la sensualité de cette langue roumaine qui, avec une simplicité absolue, envoie ses mots au cœur des choses. La matière ne fait pas de détours, elle se désigne comme un mouchoir déjà confectionné, BATISTÀ, à croire que tous les mouchoirs du monde sont toujours en batiste ...

Oskar Pastior a conservé dans son paquetage cette relique d'une double mère ayant un double fils, et il l'a rapportée chez lui au bout de cinq années passées au camp. Pourquoi? Son mouchoir blanc était l'espoir et la peur. Abandonner l'espoir ou la peur, c'est mourir.

Après cette conversation sur le mouchoir de batiste, je fis pour Oskar Pastior un collage sur une carte blanche, jusque tard dans la nuit.

Ici dansent des points, dit Bea
tu entres dans un verre à pied de lait
linge blanc cuve en zinc vert-de-gris
contre remboursement s'accordent
presque toutes les matières
regarde par là
je suis le trajet en train et
la cerise dans le porte-savon
ne parle jamais aux étrangers ni
de la centrale

La semaine d'après, quand je suis venue le voir pour lui offrir le collage, il m'a dit : il faut que tu rajoutes : POUR OSKAR. J'ai répondu : ce que je te donne t'appartient, tu le sais bien. Et il a fait : il faut que tu le mettes dessus, la carte ne le sait peut-être pas. Je l'ai rapportée chez moi, et j'y ai ajouté : POUR OSKAR. Je la lui ai redonnée la semaine d'après, comme si, arrivée au portail sans mouchoir, j'étais retournée en chercher un.

C'est encore par un mouchoir que se termine une autre histoire.

Le fils de mes grands-parents s'appelait Matz. Dans les années trente, on l'envoya en apprentissage à Timisoara pour qu'il reprenne l'épicerie familiale où l'on vendait aussi des grains. À l'école, il y avait des professeurs venus du Reich allemand, de vrais nazis. Cet apprentissage a fait de Matz un vague commerçant et surtout un nazi, par un lavage de cerveau planifié. Nouvelle recrue, Matz était fanatique au terme de son apprentissage. Il aboyait des slogans antisémites, l'air absent, comme un débile mental. Mon grand-père lui a sonné les cloches plusieurs fois, en lui rappelant que toute sa fortune venait de prêts consentis par des amis juifs qui étaient dans les affaires. Il lui est même arrivé de gifler son petit-fils qui ne voulait rien entendre. Matz n'avait plus sa tête : il jouait à l'idéologue rural et martyrisait les tire-au-flanc de son âge qui refusaient de partir pour le front. Il avait un emploi de bureau dans l'armée roumaine. Mais, quittant la théorie pour passer à la pratique, il s'engagea comme volontaire dans la SS ; il voulait monter au front. Quelques mois plus tard, il revint chez lui pour se marier. Échaudé par les crimes vus au front, il se servit d'une formule magique qui fonctionnait, afin d'échapper à la guerre durant quelques jours. Cette formule était la permission pour mariage.

Tout au fond d'un tiroir, ma grand-mère avait deux photos de son fils Matz, une photo de mariage et une photo de décès. Sur la photo de mariage, une mariée en blanc, grave et fine, le dépasse d'un empan, une madone en plâtre portant sur la tête une couronne en fleurs de cire comme enneigées. À côté d'elle, Matz en uniforme nazi. Un soldat, et non un marié. L'hymen et l'hymne à la patrie d'un dernier soldat. À peine était-il reparti au front que sa photo de décès arriva, montrant un soldat, le dernier des derniers, déchiqueté par une mine. Cette photo a la taille d'une main : un champ noir avec, au beau milieu, un drap blanc, et dessus, un tas humain de couleur grise. Sur fond noir, ce drap blanc a la taille d'un mouchoir d'enfant avec, au milieu du carré blanc, un drôle de dessin. Pour ma grand-mère, cette photo était encore celle d'une dualité : sur le mouchoir blanc, il y avait un nazi mort, et dans sa mémoire, un fils vivant. Au fil des ans, elle a gardé ce double portrait dans son missel. Elle priait tous les jours, et ses prières devaient être ambiguës, elles aussi. Il faut croire que, suivant la faille d'un fils aimé devenu nazi forcené, elles demandaient au Seigneur d'exécuter le même grand écart, d'aimer ce fils et de pardonner au nazi.

Mon grand-père avait été soldat pendant la Première Guerre mondiale. Il savait de quoi il parlait, quand il répétait amèrement, au sujet de son fils Matz : hé oui, dès qu'on agite le drapeau, le bon sens dérape et file dans la trompette. Cette mise en garde visait aussi la dictature dans laquelle j'ai vécu ensuite. Des profiteurs, petits ou gros, on en voyait tous les jours avoir la raison qui filait dans la trompette. Quant à moi, je décidai de ne pas claironner.

On me força tout de même, quand j'étais petite, à jouer de l'accordéon, car à la maison, il y avait l'accordéon rouge de Matz, le soldat défunt. Comme les bretelles étaient trop longues pour moi, mon professeur d'accordéon me les attachait dans le dos avec un mouchoir pour les empêcher de glisser sur l'épaule.

Autant dire que les moindres objets, même une trompette, un accordéon ou un mouchoir, relient ce que la vie a de plus disparate : les objets décrivent des cercles et, jusque dans leurs écarts, ils ont tendance à se conformer à la répétition, au cercle vicieux. On peut le croire, mais pas le dire. Et ce qui est impossible à dire peut s'écrire, puisque l'écriture est un acte muet, un travail partant de la tête pour aller vers la main, en évitant la bouche. Sous la dictature, j'ai beaucoup parlé, surtout parce que j'avais décidé de ne pas claironner. Mes paroles ont presque toujours eu des conséquences insoutenables. Mais l'écriture a commencé par le silence, dans cet escalier d'usine où, livrée à moi-même, j'ai dû tirer de moi davantage que la parole ne le permettait. La parole ne pouvait plus exprimer ce qui se passait. Elle faisait à la rigueur des ajouts adventices, sans évoquer leur portée. Cette dernière, je n'avais d'autre ressource que de l'épeler en silence dans ma tête, dans le cercle vicieux des mots, lorsque j'écrivais. Face à la peur de la mort, ma réaction fut une soif de vie. Une soif de mots. Seul le tourbillon des mots parvenait à formuler mon état. Il épelait ce que la bouche n'aurait su dire. Dans le cercle vicieux des mots, je talonnais le vécu jusqu'à ce qu'apparaisse une chose que je n'avais pas connue sous cette forme. Parallèle à la réalité, la pantomime des mots entre en action. Loin de respecter les dimensions réelles, elle diminue l'essentiel et amplifie ce qui est accessoire. Le cercle vicieux des mots prend ses jambes à son cou, il enseigne au vécu une sorte de logique enchantée. Sa pantomime est à la fois furieuse et anxieuse, et tout aussi avide que blasée. Le thème de la dictature entre en jeu de son propre chef, car l'évidence ne reviendra plus jamais : chacun en a été entièrement spolié ou peu s'en faut. Cette thématique est présente de façon implicite, mais ce sont les mots qui prennent possession de moi. Et ils entraînent le thème où bon leur semble. Plus rien ne va comme de juste et tout est vrai.

Dans mon escalier, j'étais aussi seule qu'à l'époque où je gardais les vaches dans la vallée. Je mangeais des feuilles et des fleurs pour être des leurs, puisqu'elles savaient comment vivre et que je l'ignorais. Je les appelais par leur nom. Celui de chardon laiteux devait bien désigner cette plante épineuse aux tiges pleines de lait, sauf que la plante ne répondait pas au nom de chardon laiteux. Je tentai le coup avec des noms inventés, ÉPINECÔTE, COUDAIGUILLE, ne comportant ni lait, ni chardon. Dans cette supercherie de tous les faux noms de la vraie plante, la lacune débouchait sur un vide béant, la honte de parler toute seule et non avec la plante. Mais cette honte me faisait du bien. Gardée par la sonorité des mots, je gardais les vaches.

Chaque mot dans la figure
en sait long sur le cercle vicieux
et ne le dit pas

La sonorité des mots sait qu'elle doit tromper, puisque les objets trichent sur leur matière, les sentiments sur leurs gestes. À l'intersection où convergent la tromperie des matières et celle des gestes vient se nicher la sonorité avec sa vérité forgée de toutes pièces. Dans l'écriture, il ne saurait être question de confiance, mais plutôt d'une franche tromperie.

À l'usine, quand j'étais la mauvaise blague qu'on lâche dans l'escalier, avec un mouchoir pour tout bureau, j'ai aussi trouvé dans le dictionnaire le beau mot d'ÉCHELONNEMENT. Il signifie que les intérêts d'un prêt augmentent par paliers, en gravissant des échelons. Ces intérêts croissants sont pour l'un des débours, et pour l'autre des rentrées. Dans l'écriture, ce sont les deux, à mesure que je me plonge dans le texte. Plus l'écrit me dévalise, plus il montre au vécu ce qu'il n'y avait pas dans ce qu'on vivait. Seuls les mots le découvrent, vu qu'ils ne le savaient pas auparavant. C'est lorsqu'ils surprennent le vécu qu'ils le reflètent le mieux. Ils deviennent si concluants que le vécu doit s'agripper à eux pour ne pas se désintégrer.

À mon sens, les objets ne connaissent pas leur matière, et les gestes ignorent leurs sentiments, comme les mots ignorent la bouche qui les dit. Mais pour nous convaincre de notre propre existence, nous avons besoin d'objets, de gestes et de mots. Plus nous pouvons prendre de mots, plus nous sommes libres, tout de même. Quand notre bouche est mise à l'index, nous tentons de nous affirmer par des gestes, voire des objets. Plus malaisés à interpréter, ils n'ont rien de suspect, pendant un temps. Ils peuvent nous aider à convertir l'humiliation en une dignité qui, pendant un temps, n'a rien de suspect.

Peu avant que je n'émigre de Roumanie, le policier du village est venu arrêter ma mère, au petit matin. Arrivée au portail, la voilà qui se dit tout à coup : TU AS UN MOUCHOIR? Elle n'en avait pas. L'agent avait beau être impatient, elle est retournée en chercher un. Une fois au poste, le policier a tempêté, mais ma mère ne savait pas assez le roumain pour comprendre ses vociférations. Il a quitté le bureau en verrouillant la porte de l'extérieur. Ma mère est restée enfermée toute la journée : les premières heures, elle a pleuré, assise à la place du policier, puis elle a fait les cent pas, et s'est mise à dépoussiérer les meubles avec son mouchoir mouillé de larmes. Ensuite, elle a pris un seau d'eau dans un coin, un essuie-mains accroché à un clou, et elle a lavé le sol. En l'entendant me le raconter, j'ai été horrifiée : comment ça, tu as nettoyé le bureau de ce type? Elle a répondu, nullement gênée : je devais m'activer pour passer le temps. Et puis, c'était tellement crasseux ... Heureusement que j'avais emporté un grand mouchoir d'homme !

À ce moment-là, j'ai compris que cette humiliation supplémentaire, mais délibérée, lui avait permis de garder sa dignité lors de son arrestation. Dans un de mes collages, j'ai cherché des mots pour rendre cela :

Je pensais à la vigoureuse rose du cœur
à l'âme infructueuse comme une passoire
mais le propriétaire demanda :
qui prend le dessus
je dis : sauver sa peau
il cria : la peau n'est
qu'une tache une batiste offensée
dénuée de bon sens

Pour ceux que la dictature prive de leur dignité tous les jours, jusqu'à aujourd'hui, je voudrais pouvoir dire ne serait-ce qu'une phrase comportant le mot "mouchoir". Leur demander simplement : AVEZ-VOUS UN MOUCHOIR?

Se peut-il que cette question, de tout temps, ne porte nullement sur le mouchoir, mais sur la solitude aiguë de l'être humain ...

Traduction par Claire de Oliveira​
 
The Nobel Prize in Literature 1957
Albert Camus

Sire, Madame, Altesses Royales, Mesdames, Messieurs,

En recevant la distinction dont votre libre Académie a bien voulu m'honorer, ma gratitude était d'autant plus profonde que je mesurais à quel point cette récompense dépassait mes mérites personnels. Tout homme et, à plus forte raison, tout artiste, désire être reconnu. Je le désire aussi. Mais il ne m'a pas été possible d'apprendre votre décision sans comparer son retentissement à ce que je suis réellement. Comment un homme presque jeune, riche de ses seuls doutes et d'une œuvre encore en chantier, habitué à vivre dans la solitude du travail ou dans les retraites de l'amitié, n'aurait-il pas appris avec une sorte de panique un arrêt qui le portait d'un coup, seul et réduit à lui-même, au centre d'une lumière crue ? De quel cœur aussi pouvait-il recevoir cet honneur à l'heure où, en Europe, d'autres écrivains, parmi les plus grands, sont réduits au silence, et dans le temps même où sa terre natale connaît un malheur incessant ?

J'ai connu ce désarroi et ce trouble intérieur. Pour retrouver la paix, il m'a fallu, en somme, me mettre en règle avec un sort trop généreux. Et, puisque je ne pouvais m'égaler à lui en m'appuyant sur mes seuls mérites, je n'ai rien trouvé d'autre pour m'aider que ce qui m'a soutenu tout au long de ma vie, et dans les circonstances les plus contraires : l'idée que je me fais de mon art et du rôle de l'écrivain. Permettez seulement que, dans un sentiment de reconnaissance et d'amitié, je vous dise, aussi simplement que je le pourrai, quelle est cette idée.

Je ne puis vivre personnellement sans mon art. Mais je n'ai jamais placé cet art au-dessus de tout. S'il m'est nécessaire au contraire, c'est qu'il ne se sépare de personne et me permet de vivre, tel que je suis, au niveau de tous. L'art n'est pas à mes yeux une réjouissance solitaire. Il est un moyen d'émouvoir le plus grand nombre d'hommes en leur offrant une image privilégiée des souffrances et des joies communes. Il oblige donc l'artiste à ne pas se séparer ; il le soumet à la vérité la plus humble et la plus universelle. Et celui qui, souvent, a choisi son destin d'artiste parce qu'il se sentait différent apprend bien vite qu'il ne nourrira son art, et sa différence, qu'en avouant sa ressemblance avec tous. L'artiste se forge dans cet aller retour perpétuel de lui aux autres, à mi-chemin de la beauté dont il ne peut se passer et de la communauté à laquelle il ne peut s'arracher. C'est pourquoi les vrais artistes ne méprisent rien ; ils s'obligent à comprendre au lieu de juger. Et s'ils ont un parti à prendre en ce monde ce ne peut être que celui d'une société où, selon le grand mot de Nietzsche, ne règnera plus le juge, mais le créateur, qu'il soit travailleur ou intellectuel.

Le rôle de l'écrivain, du même coup, ne se sépare pas de devoirs difficiles. Par définition, il ne peut se mettre aujourd'hui au service de ceux qui font l'histoire : il est au service de ceux qui la subissent. Ou sinon, le voici seul et privé de son art. Toutes les armées de la tyrannie avec leurs millions d'hommes ne l'enlèveront pas à la solitude, même et surtout s'il consent à prendre leur pas. Mais le silence d'un prisonnier inconnu, abandonné aux humiliations à l'autre bout du monde, suffit à retirer l'écrivain de l'exil chaque fois, du moins, qu'il parvient, au milieu des privilèges de la liberté, à ne pas oublier ce silence, et à le relayer pour le faire retentir par les moyens de l'art.

Aucun de nous n'est assez grand pour une pareille vocation. Mais dans toutes les circonstances de sa vie, obscur ou provisoirement célèbre, jeté dans les fers de la tyrannie ou libre pour un temps de s'exprimer, l'écrivain peut retrouver le sentiment d'une communauté vivante qui le justifiera, à la seule condition qu'il accepte, autant qu'il peut, les deux charges qui font la grandeur de son métier : le service de la vérité et celui de la liberté. Puisque sa vocation est de réunir le plus grand nombre d'hommes possible, elle ne peut s'accommoder du mensonge et de la servitude qui, là où ils règnent, font proliférer les solitudes. Quelles que soient nos infirmités personnelles, la noblesse de notre métier s'enracinera toujours dans deux engagements difficiles à maintenir : le refus de mentir sur ce que l'on sait et la résistance à l'oppression.

Pendant plus de vingt ans d'une histoire démentielle, perdu sans secours, comme tous les hommes de mon âge, dans les convulsions du temps, j'ai été soutenu ainsi : par le sentiment obscur qu'écrire était aujourd'hui un honneur, parce que cet acte obligeait, et obligeait à ne pas écrire seulement. Il m'obligeait particulièrement à porter, tel que j'étais et selon mes forces, avec tous ceux qui vivaient la même histoire, le malheur et l'espérance que nous partagions. Ces hommes, nés au début de la première guerre mondiale, qui ont eu vingt ans au moment où s'installaient à la fois le pouvoir hitlérien et les premiers procès révolutionnaires, qui furent confrontés ensuite, pour parfaire leur éducation, à la guerre d'Espagne, à la deuxième guerre mondiale, à l'univers concentrationnaire, à l'Europe de la torture et des prisons, doivent aujourd'hui élever leurs fils et leurs œuvres dans un monde menacé de destruction nucléaire. Personne, je suppose, ne peut leur demander d'être optimistes. Et je suis même d'avis que nous devons comprendre, sans cesser de lutter contre eux, l'erreur de ceux qui, par une surenchère de désespoir, ont revendiqué le droit au déshonneur, et se sont rués dans les nihilismes de l'époque. Mais il reste que la plupart d'entre nous, dans mon pays et en Europe, ont refusé ce nihilisme et se sont mis à la recherche d'une légitimité. Il leur a fallu se forger un art de vivre par temps de catastrophe, pour naître une seconde fois, et lutter ensuite, à visage découvert, contre l'instinct de mort à l'œuvre dans notre histoire.

Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu'elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse. Héritière d'une histoire corrompue où se mêlent les révolutions déchues, les techniques devenues folles, les dieux morts et les idéologies exténuées, où de médiocres pouvoirs peuvent aujourd'hui tout détruire mais ne savent plus convaincre, où l'intelligence s'est abaissée jusqu'à se faire la servante de la haine et de l'oppression, cette génération a dû, en elle-même et autour d'elle, restaurer, à partir de ses seules négations, un peu de ce qui fait la dignité de vivre et de mourir. Devant un monde menacé de désintégration, où nos grands inquisiteurs risquent d'établir pour toujours les royaumes de la mort, elle sait qu'elle devrait, dans une sorte de course folle contre la montre, restaurer entre les nations une paix qui ne soit pas celle de la servitude, réconcilier à nouveau travail et culture, et refaire avec tous les hommes une arche d'alliance. Il n'est pas sûr qu'elle puisse jamais accomplir cette tâche immense, mais il est sûr que partout dans le monde, elle tient déjà son double pari de vérité et de liberté, et, à l'occasion, sait mourir sans haine pour lui. C'est elle qui mérite d'être saluée et encouragée partout où elle se trouve, et surtout là où elle se sacrifie. C'est sur elle, en tout cas, que, certain de votre accord profond, je voudrais reporter l'honneur que vous venez de me faire.

Du même coup, après avoir dit la noblesse du métier d'écrire, j'aurais remis l'écrivain à sa vraie place, n'ayant d'autres titres que ceux qu'il partage avec ses compagnons de lutte, vulnérable mais entêté, injuste et passionné de justice, construisant son œuvre sans honte ni orgueil à la vue de tous, sans cesse partagé entre la douleur et la beauté, et voué enfin à tirer de son être double les créations qu'il essaie obstinément d'édifier dans le mouvement destructeur de l'histoire. Qui, après cela, pourrait attendre de lui des solutions toutes faites et de belles morales ? La vérité est mystérieuse, fuyante, toujours à conquérir. La liberté est dangereuse, dure à vivre autant qu'exaltante. Nous devons marcher vers ces deux buts, péniblement, mais résolument, certains d'avance de nos défaillances sur un si long chemin. Quel écrivain, dès lors oserait, dans la bonne conscience, se faire prêcheur de vertu ? Quant à moi, il me faut dire une fois de plus que je ne suis rien de tout cela. Je n'ai jamais pu renoncer à la lumière, au bonheur d'être, à la vie libre où j'ai grandi. Mais bien que cette nostalgie explique beaucoup de mes erreurs et de mes fautes, elle m'a aidé sans doute à mieux comprendre mon métier, elle m'aide encore à me tenir, aveuglément, auprès de tous ces hommes silencieux qui ne supportent, dans le monde, la vie qui leur est faite que par le souvenir ou le retour de brefs et libres bonheurs.

Ramené ainsi à ce que je suis réellement, à mes limites, à mes dettes, comme à ma foi difficile, je me sens plus libre de vous montrer pour finir, l'étendue et la générosité de la distinction que vous venez de m'accorder, plus libre de vous dire aussi que je voudrais la recevoir comme un hommage rendu à tous ceux qui, partageant le même combat, n'en ont reçu aucun privilège, mais ont connu au contraire malheur et persécution. Il me restera alors à vous en remercier, du fond du cœur, et à vous faire publiquement, en témoignage personnel de gratitude, la même et ancienne promesse de fidélité que chaque artiste vrai, chaque jour, se fait à lui-même, dans le silence.​


http://www.nobelprize.org/mediaplayer/index.php?id=1489
 
Doris Lessing
Discours de réception du Prix Nobel de Littérature 2007, par Doris Lessing.

Postée sur le pas de la porte, je regarde, entre des nuages de poussière volante, dans la direction où il reste encore des forêts sur pied, c'est ce qu'on m'a dit. Hier, j'ai parcouru en voiture des kilomètres de souches d'arbres et de traces carbonisées d'incendies, là où, en 1956, s'étendait la forêt la plus magnifique que j'aie jamais vue. Entièrement détruite. Les gens doivent manger, ils doivent trouver du combustible pour leurs feux.

Ceci se passe au nord-ouest du Zimbabwe, au début des années quatre-vingts; je rends visite à un ami qui était enseignant dans une école londonienne. Il est là pour "aider l'Afrique", selon l'expression consacrée. C'est une âme noble et idéaliste; ce qu'il a découvert ici, dans cette école, l'a choqué au point de lui provoquer une dépression dont il a eu du mal à se remettre. Cette école ne diffère en rien de toutes les écoles bâties après l'Indépendance. Elle consiste en quatre grands cubes de brique, plantés côte à côte directement dans la poussière, un deux trois quatre, avec une moitié de salle à un bout, la bibliothèque. Ces salles de classe ont bien des tableaux noirs, mais mon ami garde les craies dans sa poche, sinon on les volerait. Il n'y a pas d'atlas, pas de globe terrestre dans l'établissement, pas de manuels scolaires, pas de cahiers ni de stylos bille; la bibliothèque ne contient pas le genre de livres qu'aimeraient lire les élèves, seulement d'énormes pavés d'universités américaines, difficiles même à manier, des ouvrages de rebut des bibliothèques des Blancs, des romans policiers, ou encore des titres tels que Un week-end à Paris ou Félicité trouve l'amour.

Il y a une chèvre qui essaie de trouver de quoi se nourrir dans un vestige de vieille herbe. Le directeur a détourné les fonds de l'école et a été suspendu, ce qui soulève la question trop connue de nous tous mais généralement dans des contextes plus imposants: comment se fait-il que ces gens se comportent ainsi alors qu'ils doivent savoir que tout le monde a l'oeil sur eux ?

Mon ami n'a pas d'argent parce que tout le monde, les élèves comme les enseignants, lui en empruntent dès qu'il touche son traitement et ne le rembourseront probablement jamais. Les élèves ont entre six et vingt-six ans, parce que certains qui n'ont pas été scolarisés plus tôt sont là pour rattraper leur retard. Quelques élèves parcourent chaque matin de nombreux kilomètres, qu'il pleuve ou qu'il vente, traversant même des fleuves. Ils ne peuvent pas faire leurs devoirs parce que les villages n'ont pas d'électricité, et qu'on n'étudie pas facilement à la lumière des braises. Les jeunes filles doivent aller chercher de l'eau et faire la cuisine au retour de l'école et avant de repartir le matin.

Pendant que je me tiens avec mon ami dans sa chambre, des gens entrent timidement, et tous, tous mendient des livres. "S'il te plaît, envoie-nous des livres quand tu rentreras à Londres." Un homme m'a dit: "On nous a appris à lire, mais nous n'avons pas de livres." Tous ceux sans exception que j'ai rencontrés m'ont mendié des livres.

J'étais là-bas quelques jours. La poussière volait, il n'y avait pas d'eau parce que les pompes étaient tombées en panne et les femmes allaient de nouveau puiser l'eau à la rivière.

Un autre professeur idéaliste venu d'Angleterre était quelque peu dégoûté après avoir vu à quoi ressemblait cette "école".

Le dernier jour, c'était la fin du trimestre, les villageois ont abattu leur chèvre; ils l'ont débitée en tas de morceaux et mise à cuire dans un grand plat. Voilà le banquet tant attendu de la fin du trimestre: un ragoût de chèvre garni de semoule. Pendant que la fête battait son plein, j'ai repris la route en voiture, retraversant les traces et les souches carbonisées de l'ancienne forêt.

Je doute que beaucoup de ces élèves se verront décerner des prix.

Le lendemain, je me trouve dans une école du nord de Londres, un très bon établissement, dont nous connaissons tous le nom. C'est une école de garçons. De beaux bâtiments, des jardins.

Ces élèves reçoivent la visite hebdomadaire d'une personnalité. Il est dans l'ordre des choses que celle-ci peut être le père, un parent ou même la mère d'un des élèves. La venue d'une célébrité est chose normale pour eux.

Mais l'école enveloppée de poussière volante du nord ouest du Zimbabwe est présente à ma mémoire. Je regarde ces visages légèrement curieux et tente de leur raconter ce que j'ai vu la semaine d'avant. Des salles de classe sans livres, sans manuels scolaires ou atlas, ni même une carte épinglée au mur. Une école où les enseignants supplient qu'on leur envoie des livres pour leur expliquer comment enseigner, eux-mêmes ayant à peine dix-huit ou dix-neuf ans, une école où ils mendient des livres. Je dis à ces jeunes gens que tout le monde, oui, tout le monde, mendie des livres: "S'il te plaît, envoie-nous des livres." Je suis sûre que chacun d'entre vous ici, en prononçant son discours de réception, doit connaître ce moment où les visages que vous regardez deviennent inexpressifs. Vos auditeurs n'entendent pas ce que vous dites: aucune image mentale ne correspond à ce que vous leur expliquez. Dans le cas présent, aucune image d'une école voilée par des nuages de poussière où l'on manque d'eau, et où une chèvre fraîche abattue cuite en ragoût dans un grand fait-tout constitue la fête de fin de trimestre.

Leur est-il vraiment impossible d'imaginer une pauvreté aussi nue ?

Je fais de mon mieux, ils sont polis.

Je suis certaine que, dans le lot, il y en aura qui obtiendront des prix.

Puis c'est fini. Restée avec les professeurs, je demande, comme toujours, si la bibliothèque marche, et si les élèves lisent. Et ici, dans cette école pour privilégiés, j'entends ce que j'entends toujours quand je me rends dans des écoles ou même des universités.

"Vous savez bien comment ça se passe. Beaucoup de nos élèves n'ont jamais rien lu, et la bibliothèque ne fonctionne qu'à moitié."

"Vous savez bien comment ça se passe." Oui, en effet, nous savons bien comment ça se passe. Tous, nous le savons.

Nous sommes dans une "culture à fragmentation", où nos certitudes datant d'il y a seulement quelques décennies sont remises en question, et où il est fréquent que les jeunes hommes et les jeunes femmes qui ont bénéficié d'années d'études ne sachent rien du monde, n'aient rien lu, ne connaissent qu'une spécialité ou une autre, les ordinateurs par exemple.

Ce qui nous est arrivé, c'est une invention incroyable: les ordinateurs, Internet et la télévision. Une révolution. Ce n'est certes pas la première révolution que nous, l'espèce humaine, affrontons. La révolution de l'imprimerie, qui n'a pas été seulement l'affaire de quelques décennies mais s'est étalée sur beaucoup plus de temps, a changé notre vision du monde et nos modes de pensée. Téméraires, nous l'avons acceptée sans réserve, comme toujours, sans jamais nous demander: "Que va-t-il maintenant advenir de nous avec cette invention de l'imprimerie ?" De la même façon nous n'avons jamais pris une seule fois le temps de nous demander: Comment allons-nous, comment nos esprits vont-ils évoluer avec la nouveauté d'Internet, qui a séduit toute une génération pour la convertir à ses inepties, au point que même des êtres tout ce qu'il y a de plus raisonnable avoueront que, une fois accrochés, il leur est difficile de se déconnecter, et qu'ils peuvent se laisser entraîner à passer une journée entière à bloguer, à bluguer etc.

Encore très récemment, tous ceux qui étaient un tantinet cultivés respectaient le savoir, l'éducation, et traitaient donc aussi avec respect notre grand fonds de littérature. Certes, nous savons tous que, pendant cet état de grâce, les gens faisaient souvent semblant de lire, feignaient de respecter le savoir, mais c'est un fait établi que les travailleurs et les travailleuses aspiraient à lire. Les bibliothèques, les instituts et les facultés des XVIIIe et XIXe siècles sont là pour nous en apporter la preuve.

La lecture, les livres faisaient autrefois partie intégrante de la culture générale.

En s'adressant aux plus jeunes, leurs aînés doivent mesurer combien la lecture contribuait à l'éducation de l'individu, d'autant que les jeunes générations en savent tellement moins. Et si les enfants ne savent pas lire, c'est parce qu'ils ne lisent pas.

Cette triste histoire est connue de nous tous.

Mais nous n'en connaissons pas la fin.

Nous pensons au vieil adage: "La lecture apporte à l'homme plénitude."Oublions les blagues relatives à la suralimentation -- la lecture permet à un homme ou à une femme de se remplir, d'être plein(e) d'informations, d'histoires, de toutes sortes de connaissances.

Cependant, nous ne sommes pas le seul peuple au monde. Il n'y a pas si longtemps, je recevais un coup de téléphone d'une amie qui me disait être allée au Zimbabwe, dans un village dont la population n'avait pas mangé depuis trois jours mais discutait de livres et des moyens de s'en procurer. D'éducation.

J'appartiens moi-même à une petite organisation qui a démarré avec le projet d'introduire des livres dans les villages. Un groupe de gens, par ailleurs, était allés sur le terrain au Zimbabwe. Ils nous ont appris que les villages, à la différence de ce qu'on disait, étaient pleins de gens intelligents, d'enseignants à la retraite, d'autres en congé, d'enfants en vacances, de vieilles personnes. Ayant moi-même financé une petite étude sur ce que les gens voulaient lire, j'ai découvert que les résultats étaient comparables à ceux d'une étude suédoise dont j'ignorais l'existence. Les gens voulaient lire ce que veulent lire les Européens, si tant est que ceux-ci lisent: romans de toutes sortes, science-fiction, poésie, romans policiers, pièces de théâtre, Shakespeare. Les ouvrages pratiques, par exemple comment ouvrir un compte bancaire, venaient en bas de liste. Les oeuvres complètes de Shakespeare, ils connaissaient le nom. Le problème avec l'approvisionnement des villageois en livres vient de ce qu'ils ignorent ce qui est disponible; ainsi, un ouvrage inscrit au programme tel que Le maire de Casterbridge est populaire parce qu'ils savent qu'il est en magasin. La Ferme des Animaux, pour des raisons évidentes, est le plus populaire de tous les romans.

Notre petite organisation a récupéré des livres de tous les endroits possibles et imaginables, mais il faut savoir qu'un bon livre de poche importé d'Angleterre coûtait alors le montant d'un mois de salaire: c'était avant le régime de terreur instauré par Mugabe. Aujourd'hui, avec l'inflation, il atteindrait le montant de plusieurs années de salaire. Mais si l'on dépose une caisse de livres dans un village -- ne pas oublier que sévit une terrible pénurie de carburant -- cette caisse sera saluée par des larmes. La bibliothèque peut se résumer à une planche sur des briques installée sous un arbre. En moins d'une semaine fleuriront des classes d'alphabétisation -- ceux qui savent lire encadreront ceux qui ne savent pas -, une classe de citoyenneté. Dans un village reculé, comme il n'y avait pas de romans en langue tonga, deux jeunes gens se sont attelés à la rédaction de romans en tonga. Il existe six ou sept grandes langues au Zimbabwe, et il y a des romans écrits dans toutes ces langues. Des romans violents, incestueux, pleins de crimes et de meurtres.

Dès le départ, notre petite organisation a été soutenue par la Norvège, puis par la Suède. Sans ce type de soutien, nos réserves de livres se seraient asséchées. Des romans édités au Zimbabwe ainsi que des livres pratiques sont acheminés à des populations qui en sont assoiffées.

On dit qu'un peuple a le gouvernement qu'il mérite, mais je ne crois pas que ce soit vrai du Zimbabwe. Et puis nous devons garder en mémoire que ce respect et ce désir de livres proviennent, non du régime de Mugabe, mais de celui qui le précédait, celui des Blancs. C'est un phénomène stupéfiant, ce désir de livres, et il se manifeste partout du Kenya au cap de Bonne-Espérance.

Ceci a un lien -- improbable -- avec un fait: j'ai grandi, pratiquement, dans une cabane de torchis, avec un toit de chaume. Ce type d'habitation existe depuis toujours, partout où il y a des roseaux ou de l'herbe, une terre argileuse, des piquets pouvant servir de murs. En Angleterre saxonne, par exemple. Celle dans laquelle j'ai grandi comportait quatre pièces, les unes à côté des autres, pas une mais quatre, et le fait est qu'elle était pleine de livres. Non seulement mes parents avaient emporté des livres avec eux d'Angleterre en Afrique, mais ma mère en commandait en Angleterre pour ses enfants, des livres dans de gros colis recouverts de papier marron qui ont fait la joie de ma jeunesse. Une cabane de torchis, oui, mais bourrée de livres.

Parfois je reçois des lettres de gens habitant dans un village qui n'a peut-être pas encore l'électricité ou l'eau courante (à l'exemple de notre famille dans notre cabane de torchis toute en longueur): "Je serai écrivain moi aussi, parce que j'ai le même genre de maison que tu as eue."

Mais la difficulté est là. Non, ce n'est pas vrai.

L'écriture, les écrivains ne sortent pas de maisons vides de livres.

Voilà la différence, voilà toute la difficulté.

J'ai consulté les discours de quelques-uns de vos lauréats récents. Prenez le magnifique Orhan Paumuk. Il a dit que son père possédait mille cinq cents livres. Son talent ne sortait donc pas du néant, il était enraciné dans la grande tradition.

Prenez aussi V.S. Naipaul. Il indique que les Védas indiens étaient proches dans la mémoire familiale. Son père l'a encouragé à écrire. Et quand il a eu le droit d'aller en Angleterre, il a fréquenté la British Library. Ainsi, il s'est rapproché de la grande tradition.

Prenons encore John Coetzee. Il n'a pas seulement été proche de la grande tradition, il était la tradition: il a enseigné la littérature au Cap. Et comme je regrette de ne jamais avoir assisté à un de ses cours: de ne pas avoir été formée par cet esprit audacieux et d'un merveilleux courage.

Afin d'écrire, afin de s'engager en littérature, il doit exister une relation intime avec les bibliothèques, les livres, la Tradition.

J'ai un ami originaire du Zimbabwe. Un auteur, Noir -- et là est la question. Il a appris à lire tout seul, sur les étiquettes des bocaux de confiture et des boîtes de fruits en conserve. Il a grandi dans une zone que j'ai parcourue en voiture, une zone rurale noire. La terre est un mélange de sable et de gravillons, semé de rares buissons bas. Les huttes sont pauvres, rien de comparable aux bonnes huttes bien entretenues des plus riches. Une école, mais semblable à celle que j'ai déjà décrite. Il s'est instruit en lisant une vieille encyclopédie pour enfants qu'il a trouvée sur un tas d'ordures.

Au moment de l'Indépendance en 1980, il existait un groupe de bons écrivains au Zimbabwe, un véritable nid d'oiseaux chanteurs. Ils avaient été formés dans l'ancienne Rhodésie du sud, sous les Blancs: par les écoles des missions, les meilleures. Le Zimbabwe ne produit pas d'écrivains. Pas facilement, pas sous Mugabe.

Tous ces écrivains n'avaient pas eu la voie facile pour apprendre à lire et à écrire, encore moins pour devenir écrivains. Les textes imprimés des boîtes de confiture et les encyclopédies au rebut n'étaient pas rares, dirais-je. Et nous parlons de personnes ayant soif de niveaux de culture dont elles étaient très éloignées. Une hutte ou des huttes bourrées d'enfants, une mère surmenée, un combat quotidien pour se nourrir et se vêtir...

Malgré ces difficultés, des auteurs sont pourtant nés. Et puis il y a autre chose qu'il ne faut pas oublier. On était au Zimbabwe, un pays matériellement conquis moins d'un siècle plus tôt. Les grands-pères et les grands-mères de ces gens ont peut-être été des conteurs de leur clan. La tradition orale. En moins d'une ou deux générations, on est passé d'histoires inscrites dans la mémoire populaire et transmises oralement au texte imprimé des livres. Quel exploit !

Des livres, littéralement arrachés aux tas d'ordures et aux détritus du monde de l'homme blanc. Mais vous pouvez avoir une liasse de papiers -- pas un texte tapé à la machine, c'est déjà un livre -il vous faut encore trouver un éditeur, qui doit alors vous payer, être solvable, distribuer les livres. On m'a envoyé plusieurs rapports sur la scène éditoriale africaine. Même dans des pays plus privilégiés comme l'Afrique du Nord, avec sa tradition différente, parler d'une scène éditoriale est un rêve des possibles.

Là, je parle de livres qui n'ont jamais été écrits, d'écrivains qui n'ont pas pu percer parce que les éditeurs sont absents. Je parle de voix inaudibles. Il est impossible d'évaluer ce grand gâchis de talents, de potentiels. Mais même avant ce stade de la création d'un livre qui exige un éditeur, un à-valoir, des encouragements, il manque autre chose.

On demande souvent aux auteurs: "Comment écrivez-vous ? Avec un microprocesseur? Une machine à écrire électrique ? une plume ? à la main ?" Mais la question essentielle est celle-ci: "Disposez-vous d'un espace, de cet espace libre qui devrait vous entourer quand vous écrivez ?" À l'intérieur de cet espace, qui est proche d'une forme d'écoute, d'attention, vous viendront les mots, les mots que diront vos personnages, des idées: l'inspiration.

Si l'écrivain ne peut pas trouver cet espace, alors poèmes et histoires peuvent être mort-nés.

Quand des auteurs parlent entre eux, l'objet de leurs questions mutuelles a toujours un rapport avec cet espace, cet autre temps: "Tu l'as trouvé ? Tu le tiens ?"

Sautons à une scène apparemment très différente. Nous sommes à Londres, une des mégapoles. Il y a un nouvel auteur. Cyniquement, nous demandons comment sont ses seins, si elle est belle. S'il s'agit d'un homme: est-il charismatique ? Beau garçon ? Nous plaisantons, mais ce n'est pas une plaisanterie.

Le nouveau ou la nouvelle venu(e) dans le monde des lettres est salué(e) par tous, croule peut-être sous les à-valoirs. Le "buzz" des paparazzi remplit ses pauvres oreilles. Le ou la voilà fêté(e), applaudi(e), promené(e) illico dans le monde entier. Nous, les seniors, qui avons déjà tout vu, plaignons le ou la néophyte qui n'a aucune idée de ce qui se passe vraiment.

Il ou elle est flatté(e), ravi(e).

Mais demandez-lui au bout d'un an ce qu'il ou elle pense. Je l'entends déjà: "C'est la pire chose qui aurait pu m'arriver."

Certains nouveaux auteurs ayant bénéficié d'un grand lancement se sont arrêtés d'écrire ou n'ont pas écrit ce qu'ils voulaient, avaient l'intention d'écrire.

Et nous, les seniors, souhaitons murmurer à ces oreilles innocentes: "Avez-vous toujours votre espace ? Le seul lieu qui vous soit personnel et nécessaire, où vos voix intérieures peuvent vous parler et où vous pouvez rêver. Cramponnez-vous-y, ne le lâchez pas !"

Mais il faut aussi une forme d'éducation.

Mon esprit est plein de somptueux souvenirs d'Afrique, que je peux ranimer et contempler à loisir. Ces couchers de soleil, or, pourpre et orange, qui envahissent le ciel au soir ! Les buissons aromatiques du désert de Kalahari fleuris de papillons, de phalènes et d'abeilles ! Ou encore moi assise au bord du Zambèze, dont les eaux vert foncé et luisantes -- c'est la saison sèche -- roulent entre de pâles berges herbues où s'assemblent tous les oiseaux d'Afrique. Oui, des éléphants, des girafes, des lions et tout le reste, il y en avait en abondance, mais que dire du ciel nocturne d'un noir merveilleux, encore vierge de pollution, criblé d'étoiles effervescentes !

Mais d'autres souvenirs me viennent. Un jeune homme, dix-huit ans peut-être, est en larmes, planté dans sa "bibliothèque". Un Américain de passage, voyant une bibliothèque vide de livres, en a expédié toute une caisse, mais ce jeune homme les a sortis un à un avec respect, puis les a emballés dans du plastique. "Mais, objectons-nous, ces livres ont bien été envoyés pour être lus, voyons ! -- Non, ils se saliraient. Et où pourrais-je m'en procurer d'autres ?", nous a-t-il répondu.

Il voudrait que nous lui envoyions des ouvrages d'Angleterre pour lui apprendre à enseigner. "Je n'ai pas été plus loin que le collège, supplie-t-il. Mais on ne m'a jamais appris à enseigner."

Dans une école où il n'y avait pas de manuels scolaires, pas même un bout de craie pour écrire au tableau noir -- celle-ci avait été volée --, j'ai vu un professeur faire la classe à des élèves âgés de six à dix-huit ans en déplaçant des cailloux dans la poussière et en psalmodiant: "Deux fois deux quatre..." et ainsi de suite. J'ai vu une jeune fille d'à peine vingt ans peut-être, dépourvue également de manuels scolaires, de cahiers et de stylos bille, enseigner le B.A.-BA dans la terre à l'aide d'un bâton, sous un soleil de plomb et au milieu des tourbillons de poussière.

À l'aide de ces deux exemples, nous voyons cette grande soif d'instruction présente en Afrique, partout dans le Tiers-monde, ou quel que soit le nom que nous donnons à ces régions du monde où les parents rêvent d'une éducation pour leurs enfants qui les arrachera à la misère pour leur permettre de profiter de ses avantages.

Des avantages de notre éducation, si menacée aujourd'hui.

J'aimerais que vous vous imaginiez quelque part en Afrique du Sud, dans un magasin indien d'une zone pauvre, par temps de grande sécheresse. Les gens, surtout des femmes, font la queue, munies de toutes sortes de récipients pour l'eau. Tous les après-midi, ce magasin reçoit un camion-citerne d'eau de la ville voisine et les autochtones attendent cette eau si précieuse.

L'Indien se tient avec les paumes de mains à plat sur son comptoir; il observe une femme noire penchée au-dessus d'un gros paquet de feuilles qui a l'air d'avoir été arraché d'un livre. Elle lit Anna Karénine.

Elle lit lentement, formant les mots avec ses lèvres. Le livre semble difficile. C'est une jeune femme avec deux enfants en bas âge accrochés à ses jambes. Elle est enceinte. L'Indien est peiné parce que le voile de sa visiteuse, normalement blanc, est jaune de poussière. De la poussière, encore, recouvre ses seins et ses bras. Cet homme souffre de voir ces files d'acheteurs, tous assoiffés, mais il n'a pas assez d'eau pour eux. Il est en colère parce qu'il sait que des gens meurent de soif là-bas, derrière les nuages de poussière. Son frère, plus âgé, assurait la permanence auparavant, mais il avait réclamé des vacances et était allé à la ville, en réalité assez mal en point à cause de la sécheresse.

Cet homme est curieux. Il demande à la jeune femme:
- Que lis-tu ?
- Ça parle de la Russie, répond-elle.
- Sais-tu où se trouve la Russie ?
Il le sait à peine lui-même.
La jeune mère le regarde bien en face avec dignité, même si elle a les yeux rougis par la poussière.
- J'étais la meilleure de ma classe. Mon professeur l'a dit, j'étais la meilleure.

La jeune femme reprend sa lecture; elle veut finir son paragraphe.

L'Indien reporte son regard sur les deux bambins et tend le bras pour attraper du Fanta, mais la mère l'arrête net:
- Le Fanta leur donne encore plus soif.

L'Indien sait qu'il ne devrait pas, mais il abaisse la main vers un grand bidon en plastique à côté de lui, derrière le comptoir, et verse de l'eau dans deux gobelets, qu'il offre aux petits. Il ne lui échappe pas que leur mère regarde boire ses enfants en remuant la bouche, il lui donne aussi un gobelet d'eau. La voir boire lui fait mal au coeur, tant elle est douloureusement assoiffée.

Maintenant elle lui tend son bidon de plastique, qu'il remplit d'eau. La jeune mère et ses enfants le regardent attentivement afin qu'il n'en gaspille pas une goutte.

Elle se penche de nouveau sur son livre. Le paragraphe la fascine, elle qui lit déjà lentement, et elle le relit.

"Avec son fichu blanc tranchant sur ses cheveux noirs, au milieu de cette bande d'enfants dont elle partageait de bon coeur les joyeux ébats, Varenka, tout émue à la pensée qu'un homme qui ne lui déplaisait pas allait sans doute lui demander sa main, paraissait plus attrayante que jamais. En cheminant à ses côtés, Serge Ivanovitch ne pouvait se défendre de l'admirer, de se rappeler tout le bien qu'il avait ouï dire de cette charmante personne: décidément il éprouvait pour elle ce sentiment particulier qu'il n'avait connu qu'une seule fois, jadis, dans sa prime jeunesse. L'impression de joie que lui causait la présence de Varenka allait toujours croissant: comme il avait découvert un bolet monstre dont le chapeau relevait ses bords énormes au-dessus d'un pied très mince, il voulut le déposer dans la corbeille de la jeune fille; mais, leurs regards s'étant rencontrés, il remarqua sur ses joues la joyeuse rougeur de l'émoi; alors il se troubla à son tour et lui adressa, sans mot dire, un sourire par trop expressif." (Léon Tolstoï, Anna Karénine, traduction et notes d'Henri Mongault. Gallimard, Folio classique)

Ce lambeau de texte imprimé traîne sur le comptoir, avec quelques vieux exemplaires de revues, des pages dépareillées de journaux, des filles en bikini.

Il est temps pour elle de quitter le havre du magasin indien et de se remettre en route pour parcourir les huit kilomètres la séparant de son village. Il est plus que temps... Dehors, les files d'attente des femmes vocifèrent et se plaignent. Mais l'Indien ne se presse pas. Il sait ce qu'il en coûtera à cette fille de rentrer chez elle avec les enfants accrochés à ses jupes. Il lui donnerait bien ce morceau de prose qui semble tant la fasciner, mais il ne peut pas croire que cette allumette avec son gros ventre y comprenne vraiment quelque chose.

Et pourquoi un tiers peut-être d'Anna Karénine a-t-il échoué ici sur ce comptoir d'un magasin indien reculé ? Voilà comment les choses se sont passées.

Un certain haut-fonctionnaire des Nations Unies, en l'occurrence, avait acheté un exemplaire de ce roman à la librairie de l'aéroport avant de partir en voyage par-delà les mers et les océans. Dans l'avion, calé dans son siège de la classe affaires, il avait déchiré le livre en trois parties. En faisant ce geste, il surveillait ses compagnons de voyage, sachant qu'il aurait droit à des regards scandalisés, curieux, mais peut-être aussi amusés. Une fois bien installé, sa ceinture de sécurité attachée, il a lancé à la cantonade: "Je fais toujours ça quand j'entreprends un long voyage. Personne n'a envie de tenir en l'air un énorme pavé !" Le roman était un poche, mais on ne peut nier que c'est un gros livre. Cet homme avait l'habitude d'être écouté quand il parlait. "Je ne fais que ça, voyager, confia-t-il. C'est déjà assez pénible de voyager, de nos jours." Et dès que les autres passagers se sont installés à leur tour, il a ouvert son morceau d'Anna Karénine pour le lire. Quand ils regardaient de son côté, indiscrètement ou pas,

il leur répétait: "Non, mais vraiment c'est la seule manière de voyager." Il connaissait le roman, il l'aimait, et ce mode de lecture original pimentait agréablement ce qui était après tout un grand classique.

Après être arrivé au bout d'un fragment du livre, il a appelé l'hôtesse pour le renvoyer à son secrétaire, qui voyageait en classe économique. Ce petit manège suscitait beaucoup d'intérêt et de condamnations, à coup sûr de la curiosité, chaque fois qu'un lambeau du grand roman russe arrivait dans la partie arrière de l'appareil, mutilé mais lisible. Somme toute, cette façon astucieuse de lire Anna Karénine produit son effet. Personne sans doute n'a dû l'oublier à bord.

Pendant ce temps, dans notre magasin indien, la jeune femme s'accroche au comptoir, ses jeunes enfants suspendus à ses jupes. Elle porte un jean, c'est une femme moderne, mais elle a enfilé par-dessus la lourde jupe de laine, partie du costume traditionnel de son peuple: ses enfants peuvent facilement s'y agripper, se cramponner aux plis épais.

Elle a jeté un regard reconnaissant à l'Indien, consciente qu'il l'aimait bien et la plaignait, puis est ressortie dans les nuages de poussière volante.

Les enfants avaient dépassé le stade des pleurs, de toute façon leurs gorges étaient pleines de poussière.

C'était dur, oh oui c'était dur de marcher, pas après pas, dans la poussière qui formait de légers monticules trompeurs sous ses pieds. Dur, oui, dur, mais elle était habituée à la dureté, non ? L'histoire qu'elle lisait chez l'Indien occupait son esprit. Elle songeait: "Varenka me ressemble avec son foulard blanc, et elle s'occupe d'enfants elle aussi. Je pourrais être cette jeune fille. Et le Russe, il l'aime et va lui demander de l'épouser... -- elle n'avait fini de lire que cet unique paragraphe. Oui, et un homme viendra me chercher moi aussi et m'emmènera loin de tout ça, il m'emmènera avec les enfants, oui, il m'aimera et prendra soin de moi."

Elle continue de marcher. Le bidon d'eau pèse sur ses épaules. Elle marche toujours. Les enfants entendent l'eau clapoter dans le bidon. À mi-chemin, elle marque une halte, pose son fardeau. Ses enfants pleurnichent en touchant le bidon. Elle se dit qu'elle ne peut pas l'ouvrir sous peine d'y laisser entrer la poussière. Impossible de l'ouvrir avant d'arriver à la maison.

- Attendez, dit-elle à ses enfants. Attendez.

Elle doit se ressaisir pour reprendre sa route.

Elle reste absorbée dans ses pensées. "Mon professeur m'a dit que, là-bas, il y avait une bibliothèque plus grande que le supermarché, un grand bâtiment, plein de livres." Malgré la poussière lui volant au visage, la jeune femme sourit en marchant. "Je suis intelligente, pense-t-elle. Mon professeur m'a dit que j'étais intelligente. La plus brillante de l'école, elle a dit. Mes enfants sont intelligents comme moi. Je les emmènerai à la bibliothèque, cette maison pleine de livres, et ils iront à l'école, ils seront professeurs... Mon professeur m'a dit que je pourrais être professeur. Ils partiront loin d'ici pour gagner de l'argent. Ils habiteront près de la grande bibliothèque et vivront bien."

On peut toujours se demander comment ce lambeau de roman russe a pu finir sa course sur le comptoir de ce magasin indien.

Mais ceci serait une autre histoire, peut-être un jour quelqu'un la racontera-t-il.

Notre pauvre jeune femme, elle, poursuit son chemin, soutenue par la pensée de l'eau qu'elle donnera à ses enfants une fois à destination, elle-même en boira un peu. Elle poursuit son chemin dans la terrible poussière d'une sécheresse africaine.

Nous sommes blasés, nous dans notre monde -- ce monde si menacé. Nous sommes les champions de l'ironie et du cynisme. Nous hésitons devant l'usage de certains mots et de certaines idées, tant ceux-ci sont usés jusqu'à la corde. Mais pourquoi ne pas réhabiliter certains mots qui ont perdu leur pouvoir d'expression ?

Nous possédons une mine -- un trésor -- de littérature, qui remonte aux Égyptiens, aux Grecs et aux Romains. Tout est là, cette profusion littéraire, prête à être sans cesse redécouverte par quiconque a la chance de tomber dessus. Un trésor. Imaginez qu'il n'ait jamais existé. Comme nous serions vides, pauvres !

Nous avons reçu en partage un legs de langues, de poèmes, d'histoires, et il n'est pas du genre à risquer de s'épuiser. Il est là, toujours.

Nous disposons d'un héritage d'histoires, de contes, transmis par les anciens conteurs -- nous connaissons les noms de certains, mais pas de tous. Cette lignée de conteurs remonte à une clairière au milieu de la forêt où brûle un grand feu et où les anciens shamans dansent en chantant, car notre patrimoine d'histoires est né dans le feu, la magie, le monde des esprits. Et c'est encore là qu'il est conservé aujourd'hui.

Interrogez n'importe quel conteur moderne, et il vous dira qu'il y a toujours un moment où il est touché par le feu de ce qu'il nous plaît d'appeler l'inspiration, l'enthousiasme, et cela remonte à la naissance de notre espèce, au feu, à la glace et aux grands vents qui nous ont modelés, nous et notre monde.

Le conteur est au fond de chacun de nous, le "faiseur d'histoires" se cache toujours en nous. Supposons que notre monde soit rongé par la guerre, par les horreurs que nous pouvons tous imaginer facilement. Supposons que des inondations submergent nos agglomérations, que le niveau des mers monte... Le conteur sera toujours là, car ce sont nos imaginaires qui nous modèlent, nous font vivre, nous créent, pour le meilleur et pour le pire. Ce sont nos histoires, le conteur de nos histoires, qui nous récréent -- qui nous recréent -- quand nous sommes déchirés, meurtris et même détruits. C'est le conteur, le faiseur de rêves, le faiseur de mythes, qui est notre phénix, ce que nous sommes au meilleur de nous-mêmes au plus fort de notre créativité.

Cette pauvre jeune femme qui chemine dans la poussière en rêvant d'une éducation pour ses enfants, croyons-nous être mieux qu'elle -- nous qui sommes gavés de nourriture, avec nos placards pleins de vêtements, et qui étouffons sous le superflu ?

C'est, j'en suis convaincue, cette jeune fille et les femmes qui parlaient de livres et d'éducation alors qu'elles n'avaient pas mangé depuis trois jours qui peuvent encore nous définir aujourd'hui.

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Comment ne pas gagner le Prix Nobel, par Doris Lessing. Discours de réception du Prix Nobel de Littérature 2007, traduit par Isabelle D. Philippe pour La Fondation Nobel, 2007​
 
Discours de réception du prix Nobel

Hemingway: "Un écrivain devrait toujours essayer de faire quelque chose qui n'a jamais été fait"

En 1954, Hemingway reçoit le prix Nobel de littérature. Dans son discours de remerciements, il expose sa vision de l'écrivain.

"Messieurs les Membres de l'Académie suédoise, Mesdames, Messieurs,
Comme je n'ai aucune facilité pour faire des discours, ni le don de l'éloquence, ni le sens de la rhétorique, je désire simplement remercier de ce prix ceux qui gèrent la donation généreuse d'Alfred Nobel.

Tout écrivain, sachant quels grands écrivains n'ont pas reçu ce prix, ne peut l'accepter qu'avec humilité. Il est inutile de dresser la liste de ces écrivains. Chacun des assistants peut dresser sa propre liste selon ses connaissances et sa conscience. Je ne saurais demander à l'ambassadeur de mon pays de lire un discours dans lequel un écrivain dirait tout ce qui est dans son coeur. Ce qu'un homme veut dire n'est pas toujours immédiatement perceptible dans ce qu'il écrit et, pour ce qui est de cela, il a quelquefois de la chance ; mais, à la fin, ce qu'il veut dire deviendra tout à fait clair et c'est cela, et le degré d'alchimie qu'il possède, qui déterminera s'il durera ou sera oublié.

La vie d'un écrivain, en mettant les choses au mieux, est une vie solitaire. Les groupements d'écrivains pallient la solitude, mais je doute qu'ils améliorent son style. Son importance grandit aux yeux du public lorsqu'il renonce à sa solitude, mais souvent son oeuvre en souffre.

Car il oeuvre dans la solitude et, s'il est assez bon écrivain pour cela, il doit chaque jour affronter l'éternité, ou son absence.

Chacun de ses livres devrait être, pour un véritable écrivain, un nouveau commencement, un départ une fois de plus vers quelque chose qui est hors d'atteinte. Il devrait toujours essayer de faire quelque chose qui n'a jamais encore été fait, ou que d'autres ont essayé de faire, mais en vain. Alors, quelquefois, avec beaucoup de chance, il réussira.

Comme il serait simple d'écrire s'il fallait seulement écrire autrement ce qui a déjà été bien écrit. C'est parce que nous avons eu de si grands écrivains dans le passé qu'un écrivain est maintenant obligé d'aller très loin par-delà l'endroit qu'il peut normalement atteindre, là où personne ne peut plus l'aider.

J'ai parlé trop longtemps pour un écrivain. Un écrivain devrait écrire ce qu'il a à dire au lieu de parler. De nouveau je vous remercie."

* Lu par l'ambassadeur des Etats-Unis en Suède, le 10 décembre 1954. Traduction R. Asselineau​
 
نص خطاب Jean-Marie Gustave Le Clézio قي حفل تسلم جائزة نوبل 2008

http://nobelprize.org/nobel_prizes/literature/laureates/2008/clezio_thumb.jpg
Jean-Marie Gustave Le Clézio

The Nobel Prize in Literature 2008
Conférence Nobel

Le 7 décembre 2008

Dans la forêt des paradoxes


Pourquoi écrit-on ? J'imagine que chacun a sa réponse à cette simple question. Il y a les prédispositions, le milieu, les circonstances. Les incapacités aussi. Si l'on écrit, cela veut dire que l'on n'agit pas. Que l'on se sent en difficulté devant la réalité, que l'on choisit un autre moyen de réaction, une autre façon de communiquer, une distance, un temps de réflexion.

Si j'examine les circonstances qui m'ont amené à écrire – je ne le fais pas par complaisance, mais par souci d'exactitude – je vois bien qu'au point de départ de tout cela, pour moi, il y a la guerre. La guerre, non pas comme un grand moment bouleversant où l'on vit des heures historiques, par exemple la campagne de France relatée des deux côtés du champ de bataille de Valmy, par Goethe du côté allemand et par mon ancêtre François du côté de l'armée révolutionnaire. Ce doit être exaltant, pathétique. Non, la guerre pour moi, c'est celle que vivaient les civils, et surtout les enfants très jeunes. Pas un instant elle ne m'a paru un moment historique. Nous avions faim, nous avions peur, nous avions froid, c'est tout. Je me souviens d'avoir vu passer sous ma fenêtre les troupes du maréchal Rommel remontant les Alpes à la recherche d'un passage vers le nord de l'Italie et l'Autriche. Cela ne m'a pas laissé un souvenir très marquant. En revanche, dans les années qui ont suivi la guerre, je me souviens d'avoir manqué de tout, et particulièrement de quoi écrire et de quoi lire. Faute de papier et de plume à encre, j'ai dessiné et j'ai écrit mes premiers mots sur l'envers des carnets de rationnement, en me servant d'un crayon de charpentier bleu et rouge. Il m'en est resté un certain goût pour les supports rêches et pour les crayons ordinaires. Faute de livres pour enfants, j'ai lu les dictionnaires de ma grand-mère. C'étaient de merveilleux portiques pour partir à la reconnaissance du monde, pour vagabonder et rêver devant les planches d'illustrations, les cartes, les listes de mots inconnus. Le premier livre que j'ai écrit, à l'âge de six ou sept ans, du reste s'intitulait Le Globe à mariner. Suivi tout de suite par la biographie d'un roi imaginaire appelé Daniel III – peut-être était-il de Suède ? Et par un récit raconté par une mouette. C'était une période de réclusion. Les enfants n'avaient guère la liberté d'aller jouer dehors, car les terrains et les jardins autour de chez ma grand-mère avaient été minés. Au hasard des promenades, je me souviens d'avoir longé un enclos de barbelés au bord de la mer, sur lequel un écriteau en français et en allemand menaçait les intrus d'une interdiction accompagnée d'une tête de mort.

Je peux comprendre que c'était un contexte où l'on avait le désir de s'enfuir – donc de rêver et d'écrire ces rêves. En outre, ma grand-mère maternelle était une extraordinaire conteuse, qui réservait aux longues heures d'après-midi le temps des histoires. Ses contes étaient toujours très imaginatifs, et mettaient en scène une forêt – peut-être africaine, ou peut-être la forêt mauricienne de Macchabée – dont le personnage principal était un singe doué de malice, qui se sortait toujours des situations les plus périlleuses. Par la suite, j'ai fait un voyage et un séjour en Afrique, où j'ai découvert la forêt véritable, à peu près dépourvue d'animaux. Mais un D.O. du village d'Obudu, à la frontière des Camerouns, m'a fait écouter le crépitement des gorilles sur une colline voisine, en train de frapper leurs poitrines. De ce voyage, de ce séjour (au Nigéria où mon père était médecin de brousse) j'ai rapporté non pas la matière de romans futurs, mais une sorte de seconde personnalité, à la fois rêveuse et fascinée par le réel, qui m'a accompagné toute ma vie – et qui a été la dimension contradictoire, l'étrangeté moi-même que j'ai ressentie parfois jusqu à la souffrance. La lenteur de la vie est telle qu'il m'aura fallu la durée de la majeure partie de cette existence pour comprendre ce que cela signifie.

Les livres sont entrés dans ma vie un peu plus tard. C'était sous la forme de plusieurs bibliothèques que mon père avait réussi à réunir et qui provenaient de la dispersion de son héritage lorsqu'il avait été expulsé de sa maison natale à Moka (Ile Maurice). C'est alors que j'ai compris cette vérité qui n'apparaît pas immédiatement aux enfants, à savoir que les livres sont un trésor plus précieux que les biens immeubles ou que les comptes en banque. C'est dans ces volumes, la plupart anciens et reliés, que j'ai découvert les grands textes de la littérature universelle, le Don Quijote illustré par Tony Johannot, La vida de Lazarillo de Tormes ; The Ingoldsby Legends, Gulliver's Travels ; les grands romans inspirés de Victor Hugo, Quatre-vingt Treize, Les Travailleurs de la Mer, ou L'Homme qui rit. Les Contes drolatiques de Balzac, aussi. Mais les livres qui m'ont le plus marqué, ce sont les collections de récits de voyage, pour la plupart consacrés à l'Inde, à l'Afrique et aux îles Masacareignes, ainsi que les grands textes d'exploration, de Dumont d'Urville ou de l'Abbé Rochon, de Bougainville, de ****, et bien sûr le Livre des Merveilles de Marco Polo. Dans la vie médiocre d'une petite bourgade de province endormie au soleil, après les années de liberté en Afrique, ces livres m'ont donné le goût de l'aventure, ils m'ont permis de pressentir la grandeur du monde réel, de l'explorer par l'instinct et par les sens plutôt que par les connaissances. D'une certaine façon ils m'ont permis de ressentir très tôt la nature contradictoire de la vie d' enfant, qui garde un refuge où il peut oublier la violence et la compétition, et prendre son plaisir à regarder la vie extérieure par le carré de sa fenêtre.

Dans les instants qui ont précédé l'annonce, pour moi très étonnante, de la distinction que m'octroyait l'Académie de Suède, j'étais en train de relire un petit livre de Stig Dagerman que j'aime particulièrement : la collection de textes politiques intitulée Essäer och texter (La Dictature du Chagrin). Ce n'était par hasard que je me replongeais dans la lecture de ce livre caustique et amer. Je devais me rendre en Suède pour y recevoir le prix que l'association des amis de Dagerman m'avait donné l'été passé, afin de rendre visite aux lieux de l'enfance de cet écrivain. J'ai toujours été sensible à l'écriture de Dagerman, à ce mélange de tendresse juvénile, de naïveté et de sarcasme. À son idéalisme. À la clairvoyance avec laquelle il juge son époque troublée de l'après-guerre, pour lui le temps de la maturité, pour moi celui de mon enfance. Une phrase en particulier m'a arrêté, et m'a semblée s'adresser à moi dans cet instant précis – alors que je venais de publier un roman intitulé Ritournelle de la Faim. Cette phrase, ou plutôt ce passage, le voici : « Comment est-il possible par exemple de se comporter, d'un côté comme si rien au monde n'avait plus d'importance que la littérature, alors que de l'autre il est impossible de ne pas voir alentour que les gens luttent contre la faim et sont obligés de considérer que le plus important pour eux, c'est ce qu'ils gagnent à la fin du mois ? Car il (l'écrivain) bute sur un nouveau paradoxe : lui qui ne voulait écrire que pour ceux qui ont faim découvre que seuls ceux qui ont assez à manger ont loisir de s'apercevoir de son existence. » (L'écrivain et la conscience)

Cette « forêt de paradoxes », comme l'a nommé Stig Dagerman, c'est justement le domaine de l'écriture, le lieu dont l'artiste ne doit pas chercher à s'échapper, mais bien au contraire dans lequel il doit « camper » pour en reconnaître chaque détail, pour explorer chaque sentier, pour donner son nom à chaque arbre. Ce n'est pas toujours un séjour agréable. Lui qui se croyait à l'abri, elle qui se confiait à sa page comme à une amie intime et indulgente, les voici confrontés au réel, non pas seulement comme observateurs, mais comme des acteurs. Il leur faut choisir leur camp, prendre des distances. Cicéron, Rabelais, Condorcet, Rousseau, Madame de Staël, ou bien plus récemment Soljenitsyne ou Hwang Seok-yong, Abdelatif Laâbi ou Milan Kundera ont eu à prendre la route de l'exil. Pour moi qui ai toujours connu – sauf durant la brève période de la guerre – la possibilité de mouvement, l'interdiction de vivre dans le lieu qu'on a choisi est aussi inacceptable que la privation de liberté.

Mais cette liberté de bouger comme un privilège a pour conséquence le paradoxe. Voyez l'arbre aux épines hérissées au sein de la forêt qu'habite l'écrivain : cet homme, cette femme occupés à écrire, à inventer leurs songes, ne sont-ils pas les membres d'une très heureuse et réduite happy few ? Imaginons une situation extrême, terrifiante – celle-là même que vit le plus grand nombre sur notre planète. Celle qu'ont vécue jadis, au temps d'Aristote ou au temps de Tolstoï, les inqualifiables – les serfs, serviteurs, vilains de l'Europe au Moyen-Âge, ou peuples razziés au temps des Lumières sur la côte d'Afrique, vendus à Gorée, à El Mina, à Zanzibar. Et aujourd'hui même, à l'heure que je vous parle, tous ceux qui n'ont pas droit à la parole, qui sont de l'autre côté du langage. C'est la pensée pessimiste de Dagerman qui m'envahit plutôt que le constat militant de Gramsci ou le pari désabusé de Sartre. Que la littérature soit le luxe d'une classe dominante, qu'elle se nourrisse d'idées et d'images étrangères au plus grand nombre, cela est à l'origine du malaise que chacun de nous éprouve – je m'adresse à ceux qui lisent et écrivent. L'on pourrait être tenté de porter cette parole à ceux qui en sont exclus, les inviter généreusement au banquet de la culture. Pourquoi est-ce si difficile ? Les peuples sans écriture, comme les anthropologues se sont plu à les nommer, sont parvenus à inventer une commun- ication totale, au moyen des chants et des mythes. Pourquoi est-ce devenu aujourd'hui impossible dans notre société industrialisée ? Faut-il réinventer la culture ? Faut-il revenir à une communication immédiate, directe ? On serait tenté de croire que le cinéma joue ce rôle aujourd'hui, ou bien la chanson populaire, rythmée, rimée, dansée. Le jazz peut-être, ou sous d'autres cieux, le calypso, le maloya, le sega

Le paradoxe ne date pas d'hier. François Rabelais, le plus grand écrivain de langue française, partit jadis en guerre contre le pédantisme des gens de la Sorbonne en jetant à leur face les mots saisis dans la langue populaire. Parlait-il pour ceux qui ont faim ? Débordements, ivresses, ripailles. Il mettait en mots l'extraordinaire appétit de ceux qui se nourrissaient de la maigreur des paysans et des ouvriers, pour le temps d'une mascarade, d'un monde à l'envers. Le paradoxe de la révolution, comme l'épique chevauchée du chevalier à la triste figure, vit dans la conscience de l'écrivain. S'il y a une vertu indispensable à sa plume, c'est qu'elle ne doive jamais servir à la louange des puissants, fût-ce du plus léger chatouillis. Et pourtant, même dans la pratique de cette vertu, l'artiste ne doit pas se sentir lavé de tout soupçon. Sa révolte, son refus, ses imprécations restent d'un certain côté de la barrière, du côté de la langue des puissants. Quelques mots, quelques phrases s'échappent. Mais le reste ? Un long palimpseste, un atermoiement élégant et distant. L'humour, parfois, qui n'est pas la politesse du désespoir mais la désespérance des imparfaits, la plage où le courant tumultueux de l'injustice les abandonne.

Alors, pourquoi écrire ? L'écrivain, depuis quelque temps déjà, n'a plus l'outrecuidance de croire qu'il va changer le monde, qu'il va accoucher par ses nouvelles et ses romans un modèle de vie meilleur. Plus simplement, il se veut témoin. Voyez cet autre arbre dans la forêt des paradoxes. L'écrivain se veut témoin, alors qu'il n'est, la plupart du temps, qu'un simple voyeur.

Témoin, il arrive que l'artiste le soit : Dante dans La Divina Commedia, Shakespeare dans The Tempest – et Césaire dans la magnifique reprise de cette pièce, appelée Une Tempête, dans laquelle Caliban, à cheval sur un baril de poudre, menace d'emmener avec lui dans la mort ses maîtres détestés. Témoin, il l'est parfois de façon irrécusable, comme Euclides da Cunha dans Os Sertões, ou comme Primo Levi. L'absurde du monde est dans Der Prozess (ou dans les films de Chaplin), son imperfection dans La Naissance du jour de Colette, sa fantasmagorie dans la chanson irlandaise que Joyce a mise en scène dans Finnegans Wake. Sa beauté brille d'un éclat irrésistible dans The Snow Leopard de Peter Matthiessen ou dans A Sand County Almanach d'Aldo Leopold. Sa méchanceté dans Sanctuary de William Faulkner, ou dans Première neige de Lao She. Sa fragilité d'enfance dans Ormen (Le Serpent) de Dagerman.

L'écrivain n'est jamais un meilleur témoin que lorsqu'il est un témoin malgré lui, à son corps défendant. Le paradoxe, c'est que ce dont il témoigne n'est pas ce qu'il a vu, ni même ce qu'il a inventé. L'amertume, parfois le désespoir, viennent de ce qu'il n'est pas présent au réquisitoire. Tolstoï nous fait voir le malheur que l'armée napoléonienne inflige à la Russie, et pourtant rien n'est changé dans le cours de l'histoire. Mme de Duras écrit Ourika, Harriet Beecher Stowe Uncle Tom's Cabin, mais ce sont les peuples esclaves qui changent leur propre destin, qui se révoltent et fondent contre l'injustice les résistances marronnes, au Brésil, en Guyane, aux Antilles, et la première république noire en Haïti.

Agir, c'est ce que l'écrivain voudrait par-dessus tout. Agir, plutôt que témoigner. Ecrire, imaginer, rêver, pour que ses mots, ses inventions et ses rêves interviennent dans la réalité, changent les esprits et les cœurs, ouvrent un monde meilleur. Et cependant, à cet instant même, une voix lui souffle que cela ne se pourra pas, que les mots sont des mots que le vent de la société emporte, que les rêves ne sont que des chimères. De quel droit se vouloir meilleur ? Est-ce vraiment à l'écrivain de chercher des issues ? N'est-il pas dans la position du garde champêtre dans la pièce du Knock ou Le Triomphe de la médecine, qui voudrait empêcher un tremblement de terre ? Comment l'écrivain pourrait-il agir, alors qu'il ne sait que se souvenir ?

La solitude sera son lot. Elle l'a toujours été. Enfant, il était cet être fragile, inquiet, réceptif excessivement, cette fille que décrit Colette, qui ne peut que regarder ses parents se déchirer, ses grands yeux noirs agrandis par une sorte d'attention douloureuse. La solitude est aimante aux écrivains, c'est dans sa compagnie qu'ils trouvent l'essence du bonheur. C'est un bonheur contradictoire, mélange de douleur et de délectation, un triomphe derisoire, un mal sourd et omniprésent, à la manière d'une petite musique obsédante. L'écrivain est l'être qui cultive le mieux cette plante vénéneuse et nécessaire , qui ne croît que sur le sol de sa propre incapacité. Il voulait parler pour tous, pour tous les temps : le voilà, la voici dans sa chambre, devant le miroir trop blanc de la page vide, sous l'abat-jour qui distille une lumière secrète. Devant l'écran trop vif de son ordinateur, à écouter le bruit de ses doigts qui clic-claquent sur les touches. C'est cela, sa forêt. L'écrivain en connaît trop bien chaque sente. Si parfois quelque chose s'en échappe, comme un oiseau levé par un chien à l'aube, c'est sous son regard éberlué – c'était au hasard, c'était malgré lui, malgré elle.

Mais je ne voudrais pas me complaire dans une attitude négative. La littérature – c'est là que je voulais en venir – n'est pas une survivance archaïque à laquelle devrait se substituer logiquement les arts de l'audiovisuel, et particulièrement le cinéma. Elle est une voie complexe, difficile, mais que je crois encore plus nécessaire aujourd'hui qu'au temps de Byron ou de Victor Hugo.

Il y a deux raisons à cette nécessité :
D'abord, parce que la littérature est faite de langage. C'est le sens premier du mot : lettres, c'est-à-dire ce qui est écrit. En France, le mot roman désigne ces écrits en prose qui utilisaient pour la première fois depuis le Moyen Age la langue nouvelle que chacun parlait, la langue romane. La nouvelle vient aussi de cette idée de la nouveauté. A peu près à la même époque, en France l'on a cessé d'utiliser le mot rimeur (de rime) pour parler de poésie et de poètes – du verbe grec poiein, créer. L'écrivain, le poète, le romancier, sont des créateurs . Cela ne veut pas dire qu'ils inventent le langage, cela veut dire qu'ils l'utilisent pour créer de la beauté, de la pensée, de l'image. C'est pourquoi l'on ne saurait se passer d'eux. Le langage est l'invention la plus extraordinaire de l'humanité, celle qui précède tout, partage tout. Sans le langage, pas de sciences, pas de technique, pas de lois, pas d'art, pas d'amour. Mais cette invention, sans l'apport des locuteurs, devient virtuelle. Elle peut s'anémier, se réduire, disparaître. Les écrivains, dans une certaine mesure, en sont les gardiens. Quand ils écrivent leurs romans, leurs poèmes, leur théâtre, ils font vivre le langage. Ils n'utilisent pas les mots, mais au contraire ils sont au service du langage. Ils le célèbrent, l'aiguisent, le transforment, parce que le langage est vivant par eux, à travers eux et accompagne les transformations sociales ou économiques de leur epoque.

Lorsque, au siècle dernier, les théories racistes se sont fait jour, l'on a évoqué les différences fondamentales entre les cultures. Dans une sorte de hiérarchie absurde, l'on a fait correspondre la réussite économique des puissances coloniales avec une soi-disant supériorité culturelle. Ces théories, comme une pulsion fiévreuse et malsaine, de temps à autre ressurgissent ça et là pour justifier le néo-colonialisme ou l'impérialisme. Certains peuples seraient à la traîne, n'auraient pas acquis droit de cité (de parole) du fait de leur retard économique, ou de leur archaïsme technologique. Mais s'est-on avisé que tous les peuples du monde, où qu'ils soient, et quel que soit leur degré de développement, utilisent le langage ? Et chacun de ces langages est ce même ensemble logique, complexe, architecturé, analytique, qui permet d'exprimer le monde – capable de dire la science ou d'inventer les mythes.

Ayant défendu l'existence de cet être ambigu et un peu archaïque qu'est l'écrivain, je voudrais dire la deuxième raison de l'existence de la littérature, car celle-ci touche davantage au beau métier de l'édition.

L'on parle beaucoup de mondialisation aujourd'hui. On oublie que le phénomène a commencé en Europe à la Renaissance, avec le début de l'ère coloniale. La mondialisation n'est pas une mauvaise chose en soi. La communication rend le progrès plus rapide, en médecine, ou en sciences. Peut-être que la généralisation de l'information rendra les conflits plus difficiles. S'il y avait eu internet, il est possible que Hitler n'eût pas réussi son complot mafieux – le ridicule l'eût peut-être empêché de naître.

Nous vivons, paraît-il, à l'ère de l'internet et de la communication virtuelle. Cela est bien, mais que valent ces stupéfiantes inventions sans l'enseignement de la langue écrite et sans les livres ? Fournir en écrans à cristaux liquides la plus grande partie de l'humanité relève de l'utopie. Alors ne sommes-nous pas en train de créer une nouvelle élite, de tracer une nouvelle ligne qui divise le monde entre ceux qui ont accès à la communication et au savoir et ceux qui restent les exclus du partage ? De grands peuples, de grandes civilisations ont disparu faute de l'avoir compris. Certes de grandes cultures, que l'on dit minoritaires, ont su résister jusqu'à aujourd'hui, grâce à la transmission orale des savoirs et des mythes. Il est indispensable, il est bénéfique de reconnaître l'apport de ces cultures. Mais que nous le voulions ou non, même si nous ne sommes pas encore à l‘âge du réel, nous ne vivons plus à l'âge du mythe. Il n‘est pas possible de fonder le respect d'autrui et l'égalité sans donner à chaque enfant le bienfait de l'ecriture.

Aujourd'hui, au lendemain de la décolonisation, la littérature est un des moyens pour les hommes et les femmes de notre temps d'exprimer leur identité, de revendiquer leur droit à la parole, et d'être entendus dans leur diversité. Sans leur voix, sans leur appel, nous vivrions dans un monde silencieux.

La culture à l'échelle mondiale est notre affaire à tous. Mais elle est surtout la responsabilité des lecteurs, c'est-à-dire celle des éditeurs. Il est vrai qu'il est injuste qu'un Indien du grand Nord Canadien, pour pouvoir être entendu, ait à écrire dans la langue des conquérants – en Français, ou en Anglais. Il est vrai qu'il est illusoire de croire que la langue créole de Maurice ou des Antilles pourra atteindre la même facilité d'écoute que les cinq ou six langues qui règnent aujourd'hui en maîtresses absolues sur les médias. Mais si, par la traduction, le monde peut les entendre, quelque chose de nouveau et d'optimiste est en train de se produire. La culture, je le disais, est notre bien commun, à toute l'humanité. Mais pour que cela soit vrai, il faudrait que les mêmes moyens soient donnés à chacun, d'accéder à la culture. Pour cela, le livre est, dans tout son archaïsme, l'outil idéal. Il est pratique, maniable, économique. Il ne demande aucune prouesse technologique particulière, et peut se conserver sous tous les climats. Son seul défaut – et là je m'adresse particulièrement aux éditeurs – est d'être encore difficile d'accès pour beaucoup de pays. A Maurice le prix d'un roman ou d'un recueil de poèmes correspond à une part importante du budget d'une famille. En Afrique, en Asie du Sud-Est, au Mexique, en Océanie, le livre reste un luxe inaccessible. Ce mal n'est pas sans remède. La coédition avec les pays en voie de développement, la création de fonds pour les bibliothèques de prêt ou les bibliobus, et d'une façon générale une attention accrue apportée à l'égard des demandes et des écritures dans les langues dites minoritaires – très majoritaires en nombre parfois – permettrait à la littérature de continuer d'être ce merveilleux moyen de se connaître soi-même, de découvrir l'autre, d'entendre dans toute la richesse de ses thèmes et de ses modulations le concert de l'humanité.

Il me plaît assez de parler encore de la forêt. C'est sans doute pour cela que la petite phrase de Stig Dagerman résonne dans ma mémoire, pour cela que je veux la lire et la relire, m'en pénétrer. Il y a quelque chose de désespéré en elle, et au même instant de jubilatoire, parce que c'est dans l'amertume que se trouve la part de vérité que chacun cherche. Enfant, je rêvais de cette forêt. Elle m'épouvantait et m'attirait à la fois – je suppose que le petit Poucet, ou Hansel devaient ressentir la même émotion, quand elle se refermait sur eux avec tous ses dangers et toutes ses merveilles. La forêt est un monde sans repères. La touffeur des arbres, l'obscurité qui y règnent peuvent vous perdre. L'on pourrait dire la même chose du désert, ou de la haute mer, lorsque chaque dune, chaque colline s'écarte pour montrer une autre colline, une autre vague parfaitement identiques. Je me souviens de la première fois que j'ai ressenti ce que peut être la littérature – Dans The Call of the Wild, de Jack London, précisément, l'un des personnages, perdu dans la neige, sent le froid l'envahir peu à peu alors que le cercle des loups se referme autour de lui. Il regarde sa main déjà engourdie, et s'efforce de bouger chaque doigt l'un après l'autre. Cette découverte pour l'enfant que j'étais avait quelque chose de magique. Cela s'appelait la conscience de soi.

Je dois à la forêt une de mes plus grandes émotions littéraires de mon âge adulte. Cela se passe il y a une trentaine d'années, dans une région d'Amérique centrale appelée El Tapón de Darien, le Bouchon, parce que c'est là que s'interrompait alors (et je crois savoir que depuis la situation n'a pas changé) la route Panaméricaine qui devait relier les deux Amériques, de l'Alaska à la pointe de la Terre de Feu. L'isthme de Panama, dans cette partie, est couvert d'une forêt de pluie extrêmement dense, dans laquelle il n'est possible de voyager qu'en remontant le cours des fleuves en pirogue. Cette forêt est habitée par une population amérindienne, divisée en deux groupes, les Emberas et les Waunanas, tous deux appartenant à la famille linguistique Ge-Pano-Karib. Etant venu là par hasard, je me suis trouvé fasciné par ce peuple au point d'y faire plusieurs séjours assez longs, pendant environ trois ans. Pendant tout ce temps, je n'ai rien fait d'autre que d'aller à l'aventure, de maison en maison – car ce peuple refusait alors de se grouper en villages – et d'apprendre à vivre selon un rythme entièrement différent de ce que j'avais connu jusque là. Comme toutes les vraies forêts, cette forêt était particulièrement hostile. Il fallait faire l'inventaire de tous les dangers, et aussi de tous les moyens de survie qu'elle comportait. Je dois dire que dans l'ensemble, les Emberas ont été très patients avec moi. Ma maladresse les faisait rire, et je crois que dans une certaine mesure, je leur ai rendu en distraction un peu de ce qu'ils m'ont appris en sagesse. Je n'écrivais pas beaucoup. La forêt n'est pas un milieu idéal pour cela. L'humidité détrempe le papier, la chaleur dessèche les crayons à bille. Rien de ce qui marche à l'électricité ne dure très longtemps. J'arrivais là avec la conviction que l'écriture était un privilège, et qu'il me resterait toujours pour résister à tous les problèmes de l'existence. Une protection, en quelque sorte, une espèce de vitre virtuelle que je pouvais remonter à ma guise pour m'abriter des intempéries.

Ayant assimilé le système de communisme primordial que pratiquent les Amérindiens, ainsi que leur profond dégoût pour l'autorité, et leur tendance à une anarchie naturelle, je pouvais imaginer que l'art, en tant qu'expression individuelle, ne pouvait avoir cours dans la forêt. D'ailleurs, rien chez ces gens qui pût ressembler à ce que l'on appelle l'art dans notre société de consommation. Au lieu de tableaux, les hommes et les femmes peignent leur corps, et répugnent de façon générale à construire rien de durable. Puis j'ai eu accès aux mythes. Lorsqu'on parle de mythes, dans notre monde de livres écrits, l'on semble parler de quelque chose de très lointain, soit dans le temps, soit dans l'espace. Je croyais moi aussi à cette distance. Et voilà que les mythes venaient à moi, régulièrement, presque chaque nuit. Près d'un feu de bois construit sur le foyer à trois pierres dans les maisons, dans le ballet des moustiques et des papillons de nuit, la voix des conteurs et des conteuses mettait en mouvement ces histoires, ces légendes, ces récits, comme s'ils parlaient de la réalité quotidienne. Le conteur chantait d'une voix aigüe, en frappant sa poitrine, son visage mimait les expressions, les passions, les inquiétudes des personnages. Cela aurait pu être du roman, et non du mythe. Mais une nuit est arrivée une jeune femme. Son nom était Elvira. Dans toute la forêt des Emberas, Elvira était connue pour son art de conter. C'était une aventurière, qui vivait sans homme, sans enfants – on racontait qu'elle était un peu ivrognesse, un peu prostituée, mais je n'en crois rien – et qui allait de maison en maison pour chanter, moyennant un repas, une bouteille d'alcool, parfois un peu d'argent. Bien que je n'aie eu accès à ses contes que par le biais de la traduction – la langue embera comprend une version littéraire beaucoup plus complexe que la langue de chaque jour – j'ai tout de suite compris qu'elle était une grande artiste, dans le meilleur sens qu'on puisse donner à ce mot. Le timbre de sa voix, le rythme de ses mains frappant ses lourds colliers de pièces d'argent sur sa poitrine, et par-dessus tout cet air de possession qui illuminait son visage et son regard, cette sorte d'emportement mesuré et cadencé, avaient un pouvoir sur tous ceux qui étaient présents. A la trame simple des mythes – l'invention du tabac, le couple des jumeaux originels, histoires de dieux et d'humains venues du fond des temps, elle ajoutait sa propre histoire, celle de sa vie errante, ses amours, les trahisons et les souffrances, le bonheur intense de l'amour charnel, l'acide de la jalousie, la peur de vieillir et de mourir. Elle etait la poésie en action, le théâtre antique, en meme temps que le roman le plus contemporain. Elle était tout cela avec feu, avec violence, elle inventait, dans la noirceur de la forêt, parmi le bruit environnant des insectes et des crapauds, le tourbillon des chauves-souris, cette sensation qui n'a pas d'autre nom que la beauté. Comme si elle portait dans son chant la puissance véridique de la nature, et c'était là sans doute le plus grand paradoxe, que ce lieu isolé, cette forêt, la plus éloignée de la sophistication de la littérature, était l'endroit où l'art s'exprimait avec le plus de force et d'authenticité.

Ensuite j'ai quitté ce pays, je n'ai plus jamais revu Elvira, ni aucun des conteurs de la forêt du Darien. Mais il m'est resté beaucoup plus que de la nostalgie, la certitude que la littérature pouvait exister, malgré toute l'usure des conventions et des compromis, malgré l'incapacité dans laquelle les écrivains étaient de changer le monde. Quelque chose de grand et de fort, qui les surpasse, parfois les anime et les transfigure, et leur rend l'harmonie avec la nature. Quelque chose de neuf et de très ancien à la fois, impalpable comme le vent, immatériel comme les nuages, infini comme la mer. Ce quelque chose qui vibre dans la poésie de Jallal Eddine Roumi, par exemple, ou dans l'architecture visionnaire d'Emanuel Swedenborg. Le frisson que l'on éprouve à lire les plus beaux textes de l'humanité, tel le discours que le chef Stealth des Indiens Lumni adressait à la fin du dix-neuvième siècle au Président des Etats-Unis, afin de lui faire don de la terre : « Peut-être sommes nous frères… »

Quelque chose de simple, de vrai, qui n'existe que dans le langage. Une allure, une ruse parfois, une danse grinçante, ou bien de grandes plages de silence. La langue de la moquerie, les interjections, les malédictions, et tout de suite après, la langue du paradis.

C'est à elle, Elvira, que j'adresse cet éloge – à elle que je dédie ce Prix que l'Académie de Suède me remet. À elle, et à tous ces écrivains avec qui – ou parfois contre qui j'ai vécu. Aux Africains, Wole Soyinka, Chinua Achebe, Ahmadou Kourouma, Mongo Beti, à Cry the Beloved Country d'Alan Paton, à Chaka de Tomas Mofolo. Au très grand Mauricien Malcolm de Chazal, auteur, entre autres de Judas. Au romancier mauricien hindi Abhimanyu Unnuth, pour Lal passina (Sueur de sang), la romancière urdu Hyder Qurratulain pour l'épopée de Ag ka Darya (River of fire). Au Réunionnais Danyèl Waro, le chanteur de maloyas, l'insoumis, à la poétesse kanak Dewé Gorodé qui a défié le pouvoir colonial jusqu'en prison, à Abdourahman Waberi le révolté. À Juan Rulfo, à Pedro Paramo et aux nouvelles du El llano en llamas, aux photos simples et tragiques qu'il a faites dans la campagne mexicaine. À John Reed pour Insurgent Mexico, à Jean Meyer pour avoir porté la parole d'Aurelio Acevedo et des insurgés Cristeros du Mexique central. À Luis González, auteur de Pueblo en vilo. À John Nichols, qui a écrit sur l'âpre pays dans The Milagro Beanfield War, à Henry Roth, mon voisin de la rue New York à Albuquerque (Nouveau Mexique) pour Call it Sleep. À J.P. Sartre, pour les larmes contenues dans sa pièce Morts sans sépulture. À Wilfrid Owen, au poète mort sur les bords de la Marne en 1914. À J.D. Salinger, parce qu'il a réussi à nous faire entrer dans la peau d'un jeune garçon de quatorze ans nommé Holden Caufield. Aux écrivains des premières nations de l'Amérique, le Sioux Sherman Alexie, le Navajo Scott Momaday, pour The Names. A Rita Mestokosho, poétesse innue de Mingan (Province de Québec) qui fait parler les arbres et les animaux. À José Maria Arguedas, à Octavio Paz, à Miguel Angel Asturias. Aux poètes des oasis de Oualata, de Chinguetti. Aux grands imaginatifs que furent Alphonse Allais et Raymond Queneau. À Georges Perec pour Quel petit vélo à guidon chromé au fond de la cour ? Aux Antillais Edouard Glissant et Patrick Chamoiseau, au Haitien René Depestre, à Schwartz-Bart pour Le Dernier des justes. Au poète mexicain Homero Aridjis qui nous glisse dans la vie d'une tortue lyre, et qui parle des fleuves orangés des papillons monarques coulant dans les rues de son village, à Contepec. À Vénus Koury Ghata qui parle du Liban comme d'un amant tragique et invincible. À Khalil Jibran. À Rimbaud. À Emile Nelligan. À Réjean Ducharme, pour la vie.

À l'enfant inconnu que j'ai rencontré un jour, au bord du fleuve Tuira, dans la forêt du Darién. Dans la nuit, assis sur le plancher d'une boutique, éclairé par la flamme d'une lampe à kérosène, il lit un livre et écrit, penché en avant, sans prêter attention à ce qui l'entoure, sans se soucier de l'inconfort, du bruit, de la promiscuité, de la vie âpre et violente qui se déroule à côté de lui. Cet enfant assis en tailleur sur le plancher de cette boutique, au cœur de la forêt, en train de lire tout seul à la flamme de la lampe, n'est pas là par hasard. Il ressemble comme un frère à cet autre enfant dont je parle au commencement de ces pages, qui s'essaie à écrire avec un crayon de charpentier au verso des carnets de rationnement, dans les sombres années de l'après-guerre. Il nous rappelle les deux grandes urgences de l'histoire humaine, auxquelles nous sommes hélas loin d'avoir répondu. L'éradication de la faim, et l'alphabétisation.

Dans tout son pessimisme, la phrase de Stig Dagerman sur le paradoxe fondamental de l'écrivain, insatisfait de ne pouvoir s'adresser à ceux qui ont faim – de nourriture et de savoir – touche à la plus grande vérité. L'alphabétisation et la lutte contre la famine sont liées, étroitement interdépendantes. L'une ne saurait réussir sans l'autre. Toutes deux demandent – exigent aujourd'hui notre action. Que dans ce troisième millénaire qui vient de commencer, sur notre terre commune, aucun enfant, quel que soit son sexe, sa langue ou sa religion, ne soit abandonné à la faim ou à l'ignorance, laissé à l'écart du festin. Cet enfant porte en lui l'avenir de notre race humaine. À lui la royauté, comme l'a écrit il y a très longtemps le Grec Héraclite.

J.M.G. Le Clézio , Bretagne, 4 novembre 2008
 
كلمة مأدبة نوبل للشاعر سان جون بيرس: شعر
ترجمة: علي اللواتي

شعر

الكلمة التي ألقاها سان جون بيرس خلال مأدبة نوبل في 10 ديسمبر 1960

لقد قبلت، عن الشعر، التحية المرفوعة إليه هنا، وها أنذا أسارع بردها عليه.
ليست الحظوة، دائماً للشعر، ذلك أن التباعد مستمر، فيما يبدو، وبين العمل الشعري ونشاط مجتمع تستعبده الضرورات المادية. إنه انفصال يقبله الشاعر ولا يطلبه، وهو الوضع الذي يكون للعالم بدون التطبيقات العملية للعلم.
ولكن المقصود تكريمه هنا هو الفكر الخالص عند الشاعر والعالم. فعسى أن لا يعتبرا هنا على الأقل، كأخوين عدوّين. لأن التساؤل واحد، ذاك الذي يطرحانه فوق هاوية واحدة، ولا اختلاف بينها إلاّ في طرق البحث.
عندما نعي مدى مأساة العلم الحديث المكتشف لحدوده العقلانية حتى في مطلق الواقع الرياضي، عندما نرى في الفيزياء، مذهبين كبيرين يقرر أحدهما مبدأ نسبية عام، والآخر، مبدأ "كمياً" للشك واللاحتمية يحدّ إلى الأبد من دقة القياسات الفيزيائية، عندما نسمع أكبر مجدد علمي في هذا القرن، رائد الكونيات الحديثة وصاحب أشمل تصور تأليفي ذهني بلغة المعادلات، يدعو الحدس لنجدة العقل ويعلن أن «الخيال هو التربة الحقيقية لانبثاق نبتة العلم»، ذاهباً إلى حدّ المطالبة بأن يُعترف للعالم «برؤية فنية حقيقية»؛ أليس من الحق بعد ذلك كله أن تُعتبر الأداة الشعرية في مثل مشروعية الأداة المنطقية؟
والحقيقة أن كل إبداع للفكر هو أولاً "شعري" بالمعنى الأصلي للكلمة، وفي تعادل الأشكال الحسية والروحية، نجد أن لسعي العالم وعمل الشاعر في الأصل وظيفة واحدة. فأي من الفكر الإستدلالي واللمح الشعري أبعد مدى. وأي الأكمهين المتلمسين طريقهما في هذا الليل الأول، الحامل أدوات العلم أو ذاك الذي لا يهتدي بسوى ومضات الحدس، أيهما يعود من ذلك الليل قبل الآخر، محمّلاً بأكثر التماعات عابرة؟ إن الإجابة لا تهم. فالسر الغامض واحد ومغامرة الفكر الشعري لا تقل في شيء عن الإنفتاحات المأسوية للعلم الحديث. ولئن أذهلت نظرية امتداد الكون بعض الفلكيين، فإن لا نهائية ذات الإنسان –ذلك الكون- لا تقل امتداداً. فحيثما امتدت حدود العلم إلى أبعد مدى، وعلى طول قوس هذه الحدود سنسمع الحركة الدائبة لزمرة الشاعر خلف فريستها. لأن الشعر ليس «الواقع المطلق» كما قيل، بل هو أقرب رغبة فيه وأعمق إدراك له، إلى ذلك الحدّ الأقصى من الإتفاق حيث يبدو الواقع في القصيد مشكلاً لذاته.
إن الشاعر ليتقلد سلطة متجاوزة للواقع، لا يمكن أن تكون للعلم، وذلك بفضل الفكر التشابهي والرمزي، والإشراقة البعيدة للصورة الوسيطة ومن خلال توافقاتها اللاعبة على سلسلات لا تنتهي من التفاعلات والتداعيات الغريبة، وأخيراً بفضل أناقة لغة تحمل في انسيابها حركة الكينونة ذاتها. فهل توجد لدى الإنسان جدلية أعمق وقعاً من تلك، وأصدق تعبيراً عن الإنسان؟ وعندما يهجر الفلاسفة مجال الميتافيزيقا، يحدث أن يعوّض الشاعر، هناك، الفيلسوف. حينئذ يبدو جلياً أن الشعر، لا الفلسفة هو «الإبن الحقيقي للاندهاش» حسب عبارة الفيلسوف القديم، الذي كان أكثر الناس اشتباهاً في أمر الشعر.

ولكن الشعر أكثر من طريقة للمعرفة، إنه أولاً أسلوب حياة وحياة شاملة. لقد وُجد الشاعر في إنسان الكهوف، وسيوجد في إنسان العصور الذرية، لأنه بعض من الإنسان، لا يُطرح. فمن الضرورة الشعرية، وهي ضرورة روحية، وُلدت الأديان ذاتها، وبنعمة الشعر تحيا أبداً شرارة الألوهية في الصوان البشري. وعندما تنهار الميثولوجيات، تجد القداسة لها في الشعر ملاذاً، وربما قوة جديدة. وحتى في مجال الإجتماع الإنساني والمشاغل البشرية الأوّلية، عندما تخلي حاملات الخبز في الموكب القديم مكانها لحاملات المشاعل فمن اتقاد الخيال الشعري يشتعل دائماً حماس الشعوب المندفع بحثاً عن الوضوح.
الشعر فخر الإنسان السائر تحت عبئه من الأبديّة! فخر الإنسان السائر تحت عبئه من الإنسانية، عندما يبتدأ من أجله عهد فلسفة إنسانية جديدة، عهد كونية حقيقية واكتمال نفسي... والشعر الحديث ينخرط، وفاءً لوظيفته الخاصة بتعمق سرّ الإنسان، في مشروع ترمي سيرورته إلى تحقيق تكاملية الإنسان. فلا عرافة في هذا الشعر كما لا جمالية محض فيه. ولا هو فن المُحَنّط أو المنحرف، وليس تربية لآلئ اصطناعية، ولا يتجر بالأوثان أو الشعارات، ما كان ليكتفي بأي عيد موسيقي. إنه يتحالف، في سبله، مع الجمال، كأعلى ما يكون التحالف، دون أن يتخذ منه غايته أو يجعل منه فريسته الوحيدة. إن الشعر يرفض فصل الفن عن الحياة، والحب عن المعرفة، وهو فعل واندفاع، وقوة وتجديد، دأبه توسيع الحدود؛ إن الحب موقده، والتمرد شريعته، وموضعه في كل مكان، في الآتي. ولا يرضى أبداً أن يكون رفضاً أو غياباً.
ومع ذلك، فالشعر لا يأمل في شيء من فوائد العصر. ولأنه مرتبط بقدره الخاص، ومتحلل من كل انتماء مذهبي، فهو يرى في ذاته معادل الحياة نفسها التي لا ترى ضرورة في تبرير ذاتها. وإن الشعر ليعانق، في الحاضر، بضمة واحدة، كمقطع قصيد كبير، الماضي والمستقبل؛ يعانق، الإنساني وما فوق الإنساني، وكل الفضاء الكوكبي مع الفضاء الكوني. وليس الغموض المنكَر عليه من طبيعته الخاصة فتلك من شأنها الإيضاح، وإنما هو الليل الذي يكتشفه والذي من واجبه اكتشافهُ، ليل النفس ذاتها، وليل السر الغامض حيث يعوم الكائن البشري. ولقد رفضت عبارة الشعر الغموض دوماً، وهي لا تقل دقّة وجهداً عن عبارة العلم.
وهكذا نبقى مع الشاعر، بفضل التصاقه التام بما هو موجود، على صلة بديمومة الوجود ووحدته، فهو يؤمن بقانون تناغم شامل يحكم عالم الأشياء بأكمله، ولا شيء يحدث داخله يتجاوز بطبيعته حجم الإنسان. وما انقلابات التاريخ الأشد سوءً إلا إيقاعات فصلية داخل دورة أوسع، من التسلسلات والتغييرات. وإن جنّيات الجحيم الغاضبات، اللائي يعبرن المسرح بمشاعلهن العالية. لا يضئن سوى لحظة عابرة في انسياب موضوع الرواية الطويل. والحضارات التي تبلغ النضج لا تموت من أوجاع خريف واحد، وأقصى ما تفعله أن تتحول. فالجمود وحده هو المهدد بالخطر، والشاعر من يخرق، من أجلنا، ديدن الأشياء المعتادة.
وهكذا أيضاً، يجد الشاعر نفسه مرتبطاً رغم أنفه بالحدث التاريخي، ولا شيء غريب عليه من مأساة عصره. فليحدِّثْ الجميع، بكل جلاء، عن طعم العيش في هذا الزمان الشديد؛ لأن الأوان عظيم وجديد، ذاك الذي نستدرك فيه أنفسنا. ولمن عسانا نتنازل عن شرف العيش في عصرنا.
"لا ترهب" ذاك ما يقوله التاريخ، وهو يرفع يوماً قناعه العنيف راسماً بيده المرفوعة تلك الحركة المتسامحة للآلهة الآسيوية في ذروة رقصتها المحطمة –«لا ترهب، ولا تشك لأن في الشك عقماً وفي الخوف عبودية. والأحرى بك أن تنصت إلى هذا الخفق الموقّع الذي تمنحه يدي العالية المجدّدة، للعبارة الإنسانية الكبيرة الدائمة التكوّن. فليس صحيحاً أنه بوسع الحياة إنكار ذاتها ولا شيء حيّ يصدر عن عدم ولا بعدم يُشغف. ولكن لا شيء أيضاً، يحافظ على شكل واتزان تحت دفق الوجود اللاّمنقطع. ليست المأساة في التحوّل ذاته بل مأساة العصر الحقيقية في التباعد الدائب الإتساع بين الإنسان الوجودي والإنسان المطلق. فهل أن الإنسان المستنير على هذا المنحدر، ستغلّفه العتمة على المنحدر الآخر؟ وهل نضجُه، قسراً، داخل مجتمع لا تواصل فيه، إلاّ نضجاً زائفاً؟...»

فعلى الشاعر الموحّد الوجدان أن يشهد بيننا على ازدواجية قدر الإنسان. وإن في ذلك لمرآة أصفى أديماً تُرفع أمام الذات لاختيار حظوظها الروحية، ودعوةً في خضم هذا العصر ذاته، إلى وضع إنساني أجدر بالإنسان الأصلي. وإن في ذلك، أخيراً، لإشراكاً أكثر جرأة للروح الجماعية في دورة الطاقة الروحية في العالم... فهل يكفي، في مواجهة الطاقة الذريّة، مصباح الشاعر الطيني للإيفاء بقصده؟ -نعم، إنه لكاف إذا ما تذكر الإنسان الطين. وحسب الشاعر أن يكون ضمير عصره المبكّت.


*المصدر: سان جون بيرس، آناباز منفي وقصائد أخرى، ترجمة وتقديم على اللواتي، الدار العربية للكتاب، الطبعة الأولى، 1985، صص 129-132




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Your Majesties, Your Royal Highnesses, Your Excellencies, Ladies and Gentlemen.

J'ai accepté pour la poésie l'hommage qui lui est ici rendu, et que j'ai hâte de lui restituer.

La poésie, sans vous, ne serait pas souvent à l'honneur. C'est que la dissociation semble s'accroître entre l'œuvre poétique et l'activité d'une société soumise aux servitudes matérielles. Ecart accepté, non recherché par le poète, et qui serait le même pour le savant sans les applications pratiques de la science.

Mais du savant comme du poète, c'est la pensée désintéressée que l'on entend honorer ici. Qu'ici du moins ils ne soient plus considérés comme des frères ennemis. Car l'interrogation est la même qu'ils tiennent sur un même abîme, et seuls leurs modes d'investigation différent.

Quand on mesure le drame de la science moderne découvrant jusque dans l'absolu mathématique ses limites rationnelles; quand on voit, en physique, deux grandes doctrines maîtresses poser, l'une un principe général de relativité, l'autre un principe quantique d'incertitude et d'indéterminisme qui limiterait à jamais l'exactitude même des mesures physique; quand on a entendu le plus grand novateur scientifique de ce siècle, initiateur de la cosmologie moderne et répondant de la plus vaste synthèse intellectuelle en termes d'équations, invoquer l'intuition au secours de la raison et proclamer que «l'imagination est le vrai terrain de germination scientifique», allant même jusqu'à réclamer pour le savant le bénéfice d'une véritable «vision artistique» - n'est on pas en droit de tenir l'instrument poétique pour aussi légitime que l'instrument logique?

Au vrai, toute création de l'esprit est d'abord «poétique» au sens propre du mot; et dans l'équivalence des formes sensibles et spirituelles, une même fonction s'exerce, initialement, pour l'entreprise du savant et pour celle du poète. De la pensée discursive ou de l'ellipse poétique, qui va plus loin et de plus loin? Et de cette nuit originelle où tâtonnent deux aveugles-nés, l'un équipé de l'outillage scientifique, l'autre assisté des seules fulgurations de l'intuition, qui donc plus tôt remonte, et plus chargé de brève phosphorescence. La réponse n'importe. Le mystère est commun. Et la grande aventure de l'esprit poétique ne le cède en rien aux ouvertures dramatiques de la science moderne. Des astronomes ont pu s'affoler d'une théorie de l'univers en expansion; il n'est pas moins d'expansion dans l'infini moral de l'homme - cet univers. Aussi loin que la science recule ses frontières, et sur tout l'arc étendu de ces frontières, on entendra courir encore la meute chasseresse du poète. Car si la poésie n'est pas, comme on l'a dit, «le réel absolu», elle en est bien la plus proche convoitise et la plus proche appréhension, à cette limite extrême de complicité où le réel dans le poème semble s'informer lui-même. Par la pensée analogique et symbolique, par l'illumination lointaine de l'image médiatrice, et par le jeu de ses correspondances, sur mille chaînes de réactions et d'associations étrangères, par la grâce enfin d'un langage où se transmet le mouvement même de l'Etre, le poète s'investit d'une surréalité qui ne peut être celle de la science. Est-il chez l'homme plus saisissante dialectique et qui de l'homme engage plus? Lorsque les philosophes eux-mêmes désertent le seuil métaphysique, il advient au poète de relever là le métaphysicien; et c'est la poésie, alors, non la philosophie, qui se révèle la vraie «fille de l'étonnement», selon l'expression du philosophe antique à qui elle fut le plus suspecte.

Mais plus que mode de connaissance, la poésie est d'abord mode de vie - et de vie intégrale. Le poète existait dans l'homme des cavernes, il existera dans l'homme des âges atomiques parce qu'il est part irréductible de l'homme. De l'exigence poétique, exigence spirituelle, sont nées les religions elles-mêmes, et par la grâce poétique, l'étincelle du divin vit à jamais dans le silex humain. Quand les mythologies s'effondrent, c'est dans la poésie que trouve refuge le divin; peut-être même son relais. Et jusque dans l'ordre social et l'immédiat humain, quand les Porteuses de pain de l'antique cortège cèdent le pas aux Porteuses de flambeaux, c'est à l'imagination poétique que s'allume encore la haute passion des peuples en quête de clarté.

Fierté de l'homme en marche sous sa charge d'éternité ! Fierté de l'homme en marche sous son fardeau d'humanité, quand pour lui s'ouvre un humanisme nouveau, d'universalité réelle et d'intégralité psychique ... Fidèle à son office, qui est l'approfondissement même du mystère de l'homme, la poésie moderne s'engage dans une entreprise dont la poursuite intéresse la pleine intégration de l'homme. Il n'est rien de pythique dans une telle poésie. Rien non plus de purement esthétique. Elle n'est point art d'embaumeur ni de décorateur. Elle n'élève point des perles de culture, ne trafique point de simulacres ni d'emblèmes, et d'aucune fête musicale elle ne saurait se contenter. Elle s'allie, dans ses voies, la Beauté, suprême alliance, mais n'en fait point sa fin ni sa seule pâture. Se refusant à dissocier l'art de la vie, ni de l'amour la connaissance, elle est action, elle est passion, elle est puissance, et novation toujours qui déplace les bornes. L'amour est son foyer, l'insoumission sa loi, et son lieu est partout, dans l'anticipation. Elle ne se veut jamais absence ni refus. Elle n'attend rien pourtant des avantages du siècle. Attachée à son propre destin, et libre de toute idéologie, elle se connaît égale à la vie même, qui n'a d'elle-même à justifier. Et c'est d'une même étreinte, comme une seule grande strophe vivante, qu'elle embrasse au présent tout le passé et l'avenir, l'humain avec le surhumain, et tout l'espace planétaire avec l'espace universel. L'obscurité qu'on lui reproche ne tient pas à sa nature propre, qui est d'éclairer, mais à la nuit même qu'elle explore; celle de l'âme elle-même et du mystère où baigne l'être humain. Son expression toujours s'est interdit l'obscur, et cette expression n'est pas moins exigeante que celle de la science.

Ainsi, par son adhésion totale à ce qui est, le poète tient pour nous liaison avec la permanence et l'unité de l'Être. Et sa leçon est d'optimisme. Une même loi d'harmonie régit pour lui le monde entier des choses. Rien n'y peut advenir qui par nature excède la mesure de l'homme. Les pires bouleversements de l'histoire ne sont que rythmes saisonniers dans un plus vaste cycle d'enchaînements et de renouvellements. Et les Furies qui traversent la scène, torche haute, n'éclairent qu'un instant du très long thème en cours. Les civilisations mûrissantes ne meurent point des affres d'un automne, elles ne font que muer. L'inertie seule est menaçante. Poète est celui-là qui rompt pour nous l'accoutumance. Et c'est ainsi que le poète se trouve aussi lié, malgré lui, à l'événement historique. Et rien du drame de son temps ne lui est étranger. Qu' à tous il dise clairement le goût de vivre ce temps fort! Car l'heure est grande et neuve, où se saisir à neuf. Et à qui donc céderions-nous l'honneur de notre temps? ...

«Ne crains pas», dit l'Histoire, levant un jour son masque de violence - et de sa main levée elle fait ce geste conciliant de la Divinité asiatique au plus fort de sa danse destructrice. «Ne crains pas, ni ne doute - car le doute est stérile et la crainte est servile. Ecoute plutôt ce battement rythmique que ma main haute imprime, novatrice, à la grande phrase humaine en voie toujours de création. Il n'est pas vrai que la vie puisse se renier elle-même. Il n'est rien de vivant qui de néant procède, ni de néant s'éprenne. Mais rien non plus ne garde forme ni mesure, sous l'incessant afflux de l'Etre. La tragédie n'est pas dans la métamorphose elle-même. Le vrai drame du siècle est dans l'écart qu'on laisse croître entre l'homme temporel et l'homme intemporel. L'homme éclairé sur un versant va-t-il s'obscurcir sur l'autre. Et sa maturation forcée, dans une communauté sans communion, ne sera-t-elle que fausse maturité? ...»

Au poète indivis d'attester parmi nous la double vocation de l'homme. Et c'est hausser devant l'esprit un miroir plus sensible à ses chances spirituelles. C'est évoquer dans le siècle même une condition humaine plus digne de l'homme originel. C'est associer enfin plus largement l'âme collective à la circulation de l'énergie spirituelle dans le monde ... Face à l'énergie nucléaire, la lampe d'argile du poète suffira-t-elle à son propos? Oui, si d'argile se souvient l'homme.

Et c'est assez, pour le poète, d'être la mauvaise conscience de son temps​
 
« حقيبة أبي »
نص محاضرة نوبل

أورهان باموك

Orhan Pamuk
La valise de mon papa


نص المحاضرة باللغة الفرنسية

nobelprize.org/nobel_prizes/.../pamuk-lecture_fr.pdf


قبل وفاته بعامين، أعطاني أبي حقيبة صغيرة مملوءة بكتابات له ومخطوطات وقصاصات مختلفة ودفاتر. قال لي بلا مقدمات، ومتذرعاً بمزاجه المرح الساخر المألوف، بأنه يريدني أن أقرأ ما في الحقيبة بعد رحيله، ويقصد بعد موته. «إلقِ نظرة عليها فقط»، قالها وهو محرج قليلا، «لترى إن كان فيها ما ينفع، لعلك تختار منها ما يستحق النشر بعد موتي من مختارات». كنا في غرفة مكتبي، تحيط بنا الكتب. تحرك أبي داخل المكتب مرتبكا وهو يبحث عن تحديد مكان يضع فيه حقيبته، متحركا هنا وهناك. كشخص يتوق للتخلص من عبء شديد الخصوصية ومؤلم يثقل كاهله. ثم ترك الحقيبة بهدوء في ركن لا يلفت الانتباه. ما أن انقضت تلك اللحظةالمحرجة التي لا تنسى ، حتى استعدنا معاً دورينا المألوفين وشخصيتينا المرحتين الساخرتين اللتين لا تحملان الحياة على محمل الجد كثيراً، الأمر الذي أراح كلانا. أخذنا نثرثر كالمعتاد عن الطقس، وأمور الحياة التافهة، ومشكلات تركيا السياسية التي لا تنتهي وعن شئون أبي التجارية التي كثيراً ما انتهت بالفشل، من غير أن يثير ذلك فينا الكثير من الشجن.
أتذكر أنني، بعد انصراف أبي، بقيت بضعة أيام أدور حول حقيبته من غير أن ألمسها. كنت أعرف هذه الحقيبة الجلدية الصغيرة السوداء معرفة جيدة، منذ طفولتي، وأعرف قفلها وزواياها المدورة. فقد كان أبي يحملها معه في أسفاره القصيرة، أو عندما ينقل شيئاً من مستنداته فيها من البيت إلى مكان العمل. أتذكر هذه الحقيبة منذ أن كنت طفلا ، وحينما كان يعود أبي من رحلة ما، كنت أفتح حقيبته الصغيرة تلك، أفتش بين أشيائه ، مستمتعا بعطر الكولونيا، والبلاد الأجنبية. كانت هذه الحقيبة صديقا مألوفا له فيها. فهذه الحقيبة تذكرني بقوة بطفولتي ، بماضي، لكن الآن لم يعد يمكنني حتي لمسها. لماذا؟ من المؤكد أن ذلك كان بسبب الوطأة غير المفهومة لمحتوياته، والطريقة المحرجة التي قدمها بها أبي.
سأتحدث الآن عن وطأة هذا العبء ومعناه. إنه معنى يتخلل كل ما يفعله شخص يختلي في غرفة بنفسه، ويجلس أمام طاولة أو ينزوي في مكان ما، ليعبّر عن نفسه بالورقة والقلم، عنيت بذلك أن يكتب الأدب. نعم، فحين لمست حقيبة أبي بقيت عاجزاً عن فتحها، بل تعمدت عدم الاقتراب منها. لكنني كنت أعرف أيضا بعض الدفاتر التي فيها، أو كان منظرها مألوفا لدي. حيث سبق ورأيت أبي وهو يكتب شيئاً ما في بعض منها. لم تكن محتويات الحقيبة، إذاً، شيئاً أحس بوطأته للمرة الأولى. كان لأبي مكتبة كبيرة ، ففي شبابه ، في نهايات الأربعينات ، أراد أن يكون شاعرا اسطنبوليا، وترجم فاليري إلي التركية، لكنه لم يرد أن يعيش تلك الحياة التي تأتي مع كتابة الشعر في بلد فقير به القليل من القراء. كان جدي لأبي رجل أعمال ثرياً, فعاش أبي حياة رخية في طفولته وسنين شبابه الأولي، ولم يشأ أن يتحمل الصعاب في سبيل الأدب، في سبيل الكتابة. لقد أحب الحياة بكل مباهجها كنت أدرك ذلك جيدا.
الهاجس الأول الذي منعني من الاقتراب من محتويات حقيبة أبي كان بالطبع خشيتي من ألا يروقني ما سأقرأه. ولأن أبي كان يعرف ذلك أيضاً، فقد احتاط للأمر وتصرف بطريقة من لا يحمل الأمر على محمل الجد. أسفت لرؤية ذلك، أنا الذي قضيت ربع قرن من حياتي في الكتابة. لكنني لم أرغب حتى بالحنق على أبي بسبب عدم حمله الأدب على محمل الجد... خشيتي الحقيقية، أو ما هربت حتى من الاعتراف به، هو احتمال أن أكتشف أن أبي كاتب جيد. هذا هو السبب الحقيقي وراء عجزي عن الاقتراب من حقيبة أبي وفتحها. وكنت، فوق ذلك، أخفي هذا السبب عن نفسي. ذلك لأنه إذا انكشفت الحقيبة عن أدب حقيقي وعظيم، سيتعيّن عليّ القبول بوجود شخص آخر داخل أبي، مختلف عنه كل الاختلاف. إنه شيء مخيف، لأنني حتى في عمري المتقدم هذا، أريد لأبي أن يبقى أبي وحسب، وليس كاتباً.
فقد شعرت، وأنا أضيف كلمة بعد كلمة على الصفحة البيضاء أمامي، والأيام والشهور والسنوات تمضي، وأنا جالس أمام طاولتي، بأنني أبني لنفسي عالماً جديداً، وأكشف عن شخص آخر في داخلي، كمن يبني جسراً أو قبةً، لبنة بعد لبنة. فحين أتحدث عن الكتابة، ما يأتي أولا لذهني ليس رواية ، أو قصيدة ، أو تراث أدبي ، بل شخص يعزل نفسه في حجرة ، يجلس إلي طاولة ، وفي توحده ، يتوجه للداخل : بين ظلال النفس ، يشيٌد عالما جديدا من الكلمات. هذا الرجل أو تلك المرأة قد يستخدم آلة طباعة ، أو يستفيد من راحة استخدام كمبيوتر ، أو يكتب بقلم علي الورق ، كما فعلت مدة 30 عاما. بينما يكتب، قد يشرب الشاي أو القهوة، قد يدخن سجائر. ومن وقت لآخر قد يقوم عن طاولته كي يلقي نظرة عبر النافذة علي الأطفال الذين يلعبون في الشارع، ولو كان محظوظا ، علي الأشجار والمنظر العام، أو يمكنه أن يحملق في حائط أسود. قد يكتب قصائد، مسرحيات، أو روايات، كما أفعل أنا. كل هذه الاختلافات تأتي بعد المهمة الأساسية ، وهي الاتجاه بصبر نحو الداخل. أن تكتب هو أن توجٌه هذه النظرة الداخلية نحو الكلمات، أن تدرس العالم الذي تتراجع إليه في ذاتك، أن تفعل ذلك بصبر، وعناد، ومتعة. بينما أجلس إلي طاولتي، لأيام، وشهو ، وسنوات ـ مضيفا ببطء كلمات جديدة في الصفحة الفارغة ـ أشعر كما لو كنت أخلق عالما جديدا، كما لو كنت أبث الحياة في ذلك الشخص الآخر داخلي، بنفس الطريقة التي قد يبني بها شخص ما جسرا أو قبة، حجرا بعد حجر. الأحجار التي نستخدمها نحن الكتٌاب هي الكلمات. بينما نحملهم بين أيدينا، مستشعرين الطرق التي تربط كل منها بالأخري، ناظرين لهم من علي بعد أحيانا، وأحيانا نكاد نداعبهم بأصابعنا أو بأطراف أقلامن ، نزنهم، نغيٌر أماكنهم، عاما بعد عام، بصبر وأمل، نخلق عوالم جديدة. إن سر الكتابة ـ في رأيي ـ ليس في الإلهام الذي لا يعرف أحد من أين يمكن أن يأتي، بل في العناد والصبر. يبدو لي ذلك التعبير التركي الجميل، « أن تحفر بئرا بإبرة»، وكأنه وجد ليصف عمل الكاتب. من بين الحكايات القديمة ، يروقني صبر "فرحات"، الذي يحفر بين الجبال من أجل حبيبته وأفهم ذلك. ففي روايتي «اسمي الأحمر» تحدثت عن فناني المنمنمات الفرس القدماء الذين رسموا الحصان نفسه بتفان وإخلاص، طيلة سنوات، فحفظوه عن ظهر قلب، حتى باتوا قادرين على رسم حصان جميل وعيونهم مغمضة.
لو كان للكاتب أن يحكي قصته الخاصة يحكيها ببطء، كما لو كانت قصة عن أناس آخرين لو كان له أن يستشعر مد القصة يتعالي داخله، لو كان له أن يجلس إلي طاولة ويمنح نفسه بصبر لفنه لحرفته من المؤكد أنه قد حاز قبل ذلك علي بعض الأمل. عرائس الشعر أو الملهمات اللواتي يزورن البعض بانتظام، ونادرا ما يزورن البعض الآخر، هن حوادي من يملؤهم الأمل، الواثقين من أنفسهم. فقط عندما تصبح وحدة الكاتب أشد ما تكون، حين يشتد شك الكاتب في جهوده، في أحلامه وصبواته، وفي قيمة كتاباته نفسها. حين يشعر أن قصته ليست سوي قصته هو، في لحظات مثل هذه تختار عرائس الشعر أن يكشفن له عن قصص، وصور، وأحلام ترسم ذلك العالم الذي ود أن يبنيه. لو فكرت الآن في الكتب التي خصصت حياتي كلها لها، تدهشني كثيرا تلك اللحظات التي أشعر فيها كما لو كانت الجمل، والأحلام، والصفحات التي ارتفعت بي لذري السعادة لم تأت من خيالي الخاص، وكأن قوة أخري قد عثرت عليهم ومنحتني إياهم بسخاء وأريحية.
أعرف أنني كنت بذلك أتحدث عن مهنة الكتابة، أي عن حياتي أنا. إذ يروقني أن أري نفسي كجزء من تقليد يجمع كتٌابا بصرف النظر عن مكانهم في العالم، في الشرق، أو في الغرب يفصلون أنفسهم عن المجتمع، ويغلقون أبواب غرفهم علي أنفسهم ، مع كتبهم. نقطة بداية الأدب الصادق هو الشخص الذي يعزل نفسه مع كتبه في حجرته. لكن بمجرد أن نعزل أنفسنا ، نكتشف سريعا أننا لسنا وحدنا كما تخيلنا. نحن في صحبة كلمات هؤلاء الذين أتوا قبلنا ، قصص الآخرين ، كتب الآخرين ، كلمات الآخرين ، ذلك الشيء الذي نطلق عليه اسم التقاليد والمواضعات الأدبية. أعتقد أن الأدب هو أثمن ما راكمته البشرية في مسعاها كي تفهم ذاتها. المجتمعات، والقبائل، والشعوب تصبح أكثر ذكاء وثراء وتقدما حين يعطون آذانا صاغية لكلمات كتابهم المكروبين. وكما نعرف جميعا، حرق الكتب، وإهانة الكتاب هما علامتان علي حلول أزمنة سوداء، تتسم بالسفه. لكن الأدب لم يكن أبدا مجرد شأن قومي. فالكاتب الذي يعزل نفسه في غرفة ويذهب في رحلة داخل ذاته أولا، سوف يكتشف، عبر السنين، حكم الأدب الأزلي: يتعين عليه أن يمتلك المهارة الكافية لأن يحكي حكاياته الخاصة كما لو كانت حكايات أناس آخرين، وأن يحكي قصص الآخرين، كما لو كانت قصصه الخاصة، فهذا هو الأدب.
لقد كنت خائفاً من فتح حقيبة أبي وقراءة دفاتره، لمعرفتي بأنه لم يورط نفسه أبداً في الأزمات مثلي، وبأنه يحب، ليس الوحدة، بل الأصدقاء والصالونات والجموع والمرح ومخالطة الناس. لكنني فكرت، بعد ذلك، باحتمال آخر: من المحتمل أن هذه الأفكار، أي تأملاتي عن الصبر والمعاناة، لا تعدو كونها أحكاماً مسبقة استنبطتها من تجربتي الخاصة في الحياة والكتابة. فثمة كثير من الكتّاب اللامعين ممن كتبوا وسط محيط عائلي واجتماعي ومباهج الحياة وبريقها. فضلاً عن أن أبي سبق، في فترة من فترات طفولتي، وضاق ذرعاً برتابة الحياة الأسرية، فغادرنا إلى باريس حيث ملأ دفاتر كثيرة في غرف الفنادق مثل الكثير من الكتّاب. كنت أعرف أن بعضاً من تلك الدفاتر موجود في الحقيبة، لأن أبي كان قد بدأ يحدّثني عن تلك المرحلة من حياته في السنوات القليلة التي سبقت استلامي لحقيبته. في طفولتي أيضاً كان يحدثني عن المرحلة المذكورة، لكنه كان يتكتم على هشاشته ورغبته في أن يصبح شاعراً أو كاتباً. وأزمات البحث عن ملامحه الخاصة التي راودته في غرف الفنادق. بات يحدثني، في سنواته الأخيرة، عن رؤيته لسارتر بكثرة على أرصفة باريس، وعما قرأه من كتب أو ما شاهده من أفلام بصدق وحماسة من ينقل إليك أخباراً في غاية الأهمية. لن أنسى أبداً أنني مدين جزئياً، في احترافي الكتابة، لأب كان يتحدث في البيت عن كتّاب العالم أكثر مما يتحدث عن الباشوات أو رجال الدين. ربما كان عليّ أن أقرأ دفاتر أبي وأنا أفكر بذلك، وأتذكر مدى مديونيتي لمكتبته الكبيرة. كان عليّ أن أنتبه إلى رغبة أبي ـ في الفترة التي كان يشاركنا فيها الحياة ـ في الاختلاء في غرفة وإقامة علاقة حميمة مع الأفكار والكتب، مثلي تماماً، من غير أن أهتم كثيراً بالقيمة الأدبية لما يكتب. ولكن هذا بالضبط ما كنت عاجزاً عنه. شعرت بذلك وأنا أنظر بقلق إلى الحقيبة التي تركها لي. كان أبي يضطجع أحياناً على الأريكة المنتصبة أمام مكتبته ويضع جانباً الكتاب أو المجلة اللذين يحملهما، ويغرق في أفكاره وتأملاته لبرهة طويلة، ويظهر على وجهه تعبير يختلف كل الاختلاف عما أراه في الحياة اليومية المألوفة التي تمضي في الممازحات والتعليقات الساخرة والمشاحنات الصغيرة. في عينيه نظرة من يتوغل في أعماق دخيلته. كنت أفهم من تعبير وجهه هذا، أن أبي غير مرتاح فينتابني قلق، وبخاصة في طفولتي وشبابي المبكر. اليوم، وبعد انقضاء سنوات، أعرف بأن ذلك الشعور بالضيق الذي لاحظته عند أبي، هو أحد الحوافز الأساسية التي تصنع كاتباً.
إن القدوة الكبيرة الأولى للكاتب الحر المستقل الذي يقرأ الكتب باستمتاع ويناقش أفكار غيره وهو يصغي إلى صوت ضميره فقط، ويبني أفكاره وعالمه الخاصين في حواره المتواصل مع الكتب، إنما هو مونتانييه الذي هو نقطة انطلاق الأدب الحديث. كان أبي يعيد قراءة مونتانييه المرة بعد المرة، وينصحني بقراءته. أريد أن أرى نفسي بوصفي جزءاً من التراث الأدبي للكتاب الذين ينفصلون عن الجماعة، ويختلون في غرفة مع الكتب، وقد وجدوا في كل بقاع الأرض بمشارقها ومغاربها. حيث يبدأ الأدب الحقيقي ـ بالنسبة إليّ ـ حيثما وجد أشخاص اختلوا في غرفة مع كتبهم. الكاتب الذي اختلى بكتبه في غرفة، وانطلق في البداية في رحلة داخلية، سوف يكتشف ـ مع مرور السنوات ـ القاعدة التي لا غنى عنها لجودة الأدب: الأدب هو موهبة أن نحكي حكايتنا الخاصة، كما لو كانت تخص آخرين، وأن نحكي حكايات الآخرين كما لو كانت حكايتنا الخاصة. ولكي ننجح في ذلك، فإننا ننطلق من حكايات الآخرين وكتبهم.
كان أبي يملك مكتبةً من ألف وخمسمئة كتاب، قادرة على تلبية ما يزيد على حاجة كاتب. ربما لم أكن قد انتهيت من قراءة كل تلك الكتب في الثانية والعشرين من عمري، لكنني كنت أعرفها جميعاً. كنت أعرف أيها مهم وأيها خفيف وسهل القراءة وأيها كلاسيكي وأيها مما لا يمكن للتراث العالمي أن يستغني عنه وأيها شاهد على التاريخ المحلي، سيطويه النسيان لكنه مسلّ، وأيها لكاتب فرنسي منحه أبي اهتماماً كبيراً. أما عن مكاني في العالم في الحياة ، كما في الأدب ، كان شعوري الأساسي هو أنني "لم أكن في المركز". في مركز العالم ، كانت ثمة حياة أكثر ثراء وأكثر تشويقا من حياتي، وفي اسطنبول بأكملها، في تركيا بأكملها، كنت خارجه. أشعر اليوم أنني أشترك في هذا الشعور مع أغلب الناس في العالم. وبنفس الطريقة، كان هناك عالم للأدب، وكان مركزه، أيضا، بعيدا جدا عني. في الواقع ما كان في ذهني هو الأدب الغربي، وليس العالمي، وكنا نحن الأتراك خارجه. كانت مكتبة أبي دليلا علي ذلك. في أحد أطرافها، كانت كتب اسطنبول أدبنا، عالمنا المحلي، بكل تفاصيله المحبوبة. وفي الطرف الآخر كانت الكتب الآتية من ذلك العالم الآخر، الأوربي، الذي لا يحمل عالمنا أي ملامح تشابه معه، وقد أعطانا عدم التشابه هذا ألما وأملا. أن تكتب، أن تقرأ. كان مثل مغادرة عالم كي تجد عزاء في آخرية العالم الآخر، الغريب، العجائبي. شعرت بأن أبي كان يقرأ الروايات كي يهرب من حياته، ويفر نحو الغرب كما سأفعل لاحقا. كما بدا لي أن الكتب كانت في تلك الأيام أشياء نلتقطها كي نهرب من ثقافتنا، التي وجدناها ناقصة تماما. لم تكن القراءة هي الطريقة الوحيدة التي تركنا بها حيواتنا الاسطنبولية وسافرنا للغرب، فعلنا ذلك عن طريقة الكتابة أيضا. كي يملأ تلك الدفاتر، ذهب أبي لباريس، أغلق باب غرفته علي نفسه، ثم عاد بكتاباته إلي تركيا.
إن عالمي هو مزيج من عالم محلي وطني وآخر غربي. بدءاً من عقد السبعينات، بدأت بدوري أكوّن لنفسي مكتبة طموحة. لم أكن قد قررت بعد، بصورة نهائية، أن أحترف الكتابة. كنت قد بدأت أدرك بأنني لن أصبح رساماً، كما قلت ذلك في كتابي: «اسطنبول»، لكنني لم أكن أعرف بالضبط أي طريق ستتبعها حياتي. كنت من جهة أشعر في داخلي بفضول عارم نحو كل شيء، ونهم مفرط التفاؤل للقراءة والتعلم، وأحس، من جهة أخرى، بأن حياتي ستكون "منقوصة" بطريقة ما، وبأنني لن أحيا كالآخرين. كان هذا الشعور يعود جزئياً إلى فكرة الوجود بعيداً عن المركز، بالطريقة نفسها التي كنت أحس بها وأنا أنظر إلى مكتبة أبي، وجزئياً إلى الشعور بأننا نعيش في ريف العالم، وهو شعور دفعتنا اسطنبول جميعاً إلى الإحساس به في تلك السنوات. ثمة هاجس آخر من هواجس الحياة المنقوصة، يتعلق طبعاً بمعرفتي المفرطة بأنني أعيش في بلد لا يمنح مبدعيه، رسامين كانوا أو أدباء، الكثير من الاهتمام، ولا يمنحهم الكثير من الأمل. الشعور الأساسي الذي كان ينتابني، في تلك الفترة، بصدد موقعي في العالم، هو هذا الشعور بالهامشية أو الوجود خارج المركز، سواء في الأدب أو في الحياة الواقعية. كنت أدرك بوجود حياة أكثر غنى وجاذبية في مركز العالم، مقارنة بالحياة التي نعيش، وبأنني خارج تلك الحياة، ومعي في ذلك كل سكان اسطنبول وتركيا. وأفكر اليوم بأنني أتقاسم هذا الشعور مع غالبية كبيرة من سكان العالم. بالطريقة نفسها، عرفت أن ثمة أدباً عالمياً له مركز بعيد جداً عني. كان في ذهني، في الواقع، الأدب الغربي، لا الأدب العالمي. ونحن الأتراك كنا خارج هذا أيضاً. تؤكد هذه الحقيقة مكتبة أبي أيضاً. ففي جانب منها كان عالمنا المحلي ممثلاً بكتب اسطنبول وأدبها، هذا العالم الذي أحببته بكثير من تفاصيله، ولا أملك القدرة على التخلي عن حبه؛ وفي الجانب الآخر كتب عالم الغرب الذي لا يشبه في شيء عالمنا، ويمنحنا اختلافه الألم والأمل معاً. كانت الكتابة والقراءة تبدوان لي بمثابة خروج من أحد هذين العالمين، بحثاً عن العزاء في اختلاف الآخر وغرابته وخروجه على المألوف.
كنت أشعر، في بعض الأحيان، بأن أبي يقرأ الروايات في محاولة منه للهروب من العالم الذي يحيا فيه إلى الغرب، تماماً كما سأفعل أنا في ما بعد. أو أن الكتب بدت لي في تلك الفترة، كوسائل نلجأ إليها لتلافي هذا النوع من الشعور بالنقص ذي الطابع الثقافي. ليست القراءة وحدها، بل بدت الكتابة أيضاً نوعاً من السفر من استانبول إلى الغرب. سافر أبي إلى باريس، وأغلق على نفسه باب غرفته في الفندق، ليتسنى له ملء كثير من دفاتر الحقيبة، ثم عاد بما كتبه إلى تركيا. انتبهت إلى ما يسببه ذلك لي من ضيق وأنا أنظر إلى حقيبة أبي. بعد ربع قرن سلختها من عمري في غرفة أغلقتها على نفسي، لكي أبقى واقفاً على قدمي ككاتب في تركيا، بدأت أتمرد، وأنا أنظر إلى حقيبة أبي، على واقع أن الكتابة بحرية وكما تنبع من ذاتنا، هي عمل يتوجب القيام به خفية عن المجتمع والدولة والشعب. وربما لهذا السبب، بصورة خاصة، شعرت بالحنق على أبي، لأنه لم يحمل الكتابة على محمل الجد بقدر ما فعلت. الواقع أنني شعرت بالحنق عليه لأنه لم يعش حياة كحياتي، ولم يجازف بأصغر صدام من أجل أي شيء كان، وعاش بسعادة في قلب المجتمع وهو يضحك مع أصدقائه وأحبائه. لكنني أدركت، من جهة أخرى، بأن كلمة «الحسد» هي أكثر تعبيراً عن مشاعري من كلمة «الحنق»، وهذا ما سبب لي ضيقاً أكثر.
بينما أحملق في حقيبة والدي، بدا لي أن في تلك الحقيبة ما يثير داخلي ذلك الشعور باللاطمأنينة. بعد أن عملت في غرفة مدة 25 عاما كي أستمر في الحياة ككاتب في تركيا، أحنقني أن أري أبي يخبئ أفكاره الذاتية داخل حقيبة، أن يتصرف كما لو كانت الكتابة عملا يجب أن نفعله في الخفاء، بعيدا عن عيون المجتمع، والدولة، والناس. ربما هذا هو السبب الأساسي الذي شعرت بسببه بالغضب من والدي لأنه لم يأخذ الأدب علي نفس القدر من الجدية التي أعطيتها له
في الحقيقة كنت غاضبا من أبي لأنه لم يعش حياة مثل حياتي، لأنه لم يتعارك أبدا مع حياته، وقضاها سعيدا، ضاحكا بين أصدقائه وأحبابه. لكن جزءا مني كان يعرف أن باستطاعتي القول أنني لم أكن "غاضبا" بقدر ما كنت "غيورا" . إن الكلمة الأخيرة كانت أكثر دقة، وأن هذا، أيضا، أثار قلقي. يحدث هذا حين أسأل نفسي ، بصوتي الغاضب ، المستهزئ ، كما العادة: "ما هي السعادة؟" هل السعادة هي أن أفكر أنني عشت حياة عميقة في وحدة تلك الغرفة؟ أم أنها تكمن في أن تعيش حياة مريحة في المجتمع؟ مؤمنا بالأشياء نفسها التي يؤمن بها الجميع، أو في التظاهر بذلك؟ هل من السعادة، أو نقيضها، أن تمر بالحياة وأنت تكتب في الخفاء؟ بينما تبدو ظاهريا منسجما مع كل ما يحيط بك؟ لكن هذه أسئلة ناتجة ـ بوضوح ـ عن حالة مزاجية سيئة. من أين أتيت بتلك الفكرة القائلة بأن مقياس الحياة الجيدة هو السعادة؟ الناس، الجرائد، الجميع، يتصرفون كما لو كان مقياس الحياة الأهم هو السعادة. ألا يوحي هذا وحده أنه ربما كان من الجدير بالفعل محاولة تحديد إن كان النقيض التام هو الصحيح؟ فعلي أي حال، لقد فر والدي من عائلته مرات عديدة. إلى أي حد عرفته؟ ولأي درجة يمكنني القول أنني فهمت لاطمأنينته؟
هذا إذن ما كان يعتمل داخلي حين فتحت حقيبة أبي للمرة الأولي. هل كان لأبي سر ما، تعاسة ما لم أعرف عنها شيئا، شيء لم يستطع احتماله سوي بالتخلص منه بالكتابة؟ بمجرد أن فتحت الحقيبة، تذكرت رائحة السفر التي تميٌزها، تعرفت علي عدة دفاتر. وأدركت أن أبي كان قد أراني بعضها منذ سنوات. لكن بدون أن نقضي وقتا طويلا في ذلك. معظم الدفاتر التي كانت قد أصبحت بين يدي الآن ملأها حين تركنا وذهب، كشاب، لباريس. وفي حين أنني، ككتٌاب كثيرين أحببت كتٌاب قرأت سيرهم وددت لو أعرف ما الذي كتبه أبي، وكيف كان يفكر حين كان في سني. لم يستغرق الأمر وقتا طويلا كي أدرك أنني لن أجد شيئا من هذا هنا. الأمر الذي أثار هواجسي وأقلقني أكثر من أي أمر آخر، كان حين أصادف، هنا وهناك في دفاتر أبي، صوتا يشبه الصوت الذي يتخذه الكتٌاب. ليس هذا صوت أبي، أخبرت نفسي. لم يكن أصيلا، أو علي الأقل لا ينتمي للشخص الذي عرفته كأبي. تحت خوفي من أن أبي لم يكن أبي حين يكتب، كان يوجد خوف أعمق: الخوف من ألا أكون أصيلا داخلي، من ألا أجد شيئا ذا قيمة في كتابات أبي، زاد ذلك خوفي من أن أكتشف أن أبي تأثر أكثر من اللازم بكتاب آخرين، ذلك الخوف الذي رمي بي في هوة يأس استولي عليٌّ تماما حين كنت صغيرا، واضعا حياتي، كينونتي، رغبتي في الكتابة، وعملي موضع التساؤل. خلال العشر سنوات الأولي من حياتي ككاتب، شعرت بشدة بهذه الهواجس، وحتي بينما كنت أدفعها عني ، كنت أحيانا ما أخشي أنه ، يوما ما ، سوف يتعين عليٌّ الاعتراف بالهزيمة كما فعلت مع الرسم، ومسلما لذلك الشعور باللاطمأنينة، أتوقف عن كتابة الرواية، أيضا.
بهذه الأفكار سرت نحو الحقيبة ـ التي لم تكن قد راوحت المكان الذي تركها أبي فيه ـ مستعينا بكل قوة إرادتي، تصفحت بعض المخطوطات والدفاتر. ما الذي كتب عنه أبي؟ أتذكر بعض المناظر من نوافذ فنادق باريسية، بعض القصائد، تناقضات، تحليلات. بينما أكتب يداخلني شعور شخص خرج توا من حادثة سير، ويجاهد كي يتذكر كيف حدثت، بينما يخاف في نفس الوقت عاقبة تذكٌر ما هو أكثر من اللازم. حين كنت طفلا، وأبي وأمي علي وشك العراك ـ حين يهويان إلي قاع واحدة من فترات صمت مميتة ـ كان أبي يدير علي الفور مؤشر الراديو، كي يغيٌر الجو، فالموسيقي كانت تساعدنا علي نسيان كل شيء أسرع
دعوني أغيٌر الجو بقليل من الكلمات العذبة، التي أرجو أن تؤدي عمل الموسيقى. كما تعرفون، السؤال الذي كثيرا ما يوجٌه لنا نحن الكتاب، السؤال المفض ، هو: لماذا نكتب؟ أكتب لأن عندي احتياج داخلي للكتابة! أكتب لأنني لا أستطيع القيام بأي عمل آخر مما يفعله الناس. أكتب لأنني أريد قراءة كتب مثل التي أكتبها. أكتب لأنني غاضب منكم كلكم ، غاضب من الجميع. أكتب لأنني أحب الجلوس في غرفة طيلة اليوم أكتب. أكتب لأنني لا يمكنني المشاركة في الحياة الحقيقية سوي بتغييرها. أكتب لأنني أريد الآخرين، كلنا جميعا، العالم بأسره، أن يعرفوا أي نوع من الحياة نعيشها، ونواصل عيشها، في اسطنبول، في تركيا. أكتب لأنني أحب رائحة الورق، والقلم، والحبر. أكتب لأنني أؤمن بالأدب، بفن الرواية، أكثر من إيماني بأي شيء آخر. أكتب لأنها عادة، هوي. أكتب لأنني أخشي أن يطويني النسيان. أكتب لأنني أحب المجد والاهتمام اللذين تجلبهما الكتابة. أكتب كي أكون وحدي. ربما أكتب كي أفهم لم أنا غاضب جدا جدا منك كلكم، غاضبإلى أقصى حد منكم جميعا. أكتب لأنني أحب أن يقرأني الآخرون. أكتب لأنني بمجرد أن أبدأ رواية، أو مقالة، أو صفحة، أريد أن أنهيها. أكتب لأن الجميع ينتظرون مني أن أكتب. أكتب لأن لدي إيمان طفولي بخلود المكتبات ، وبالطريقة التي تستقر بها كتبي فوق الرفوف. أكتب لأنه من المثير تحويل كل جمال وثراء العالم إلي كلمات. أكتب، لا كي أحكي قصة، بل كي أنظم قصة. أكتب لأنني آمل أن أفر من شعور الشؤم بأنه ثمة مكان عليٌّ الذهاب إليه لكن ـ كما في حلم ـ لا يمكنني الوصول إليه. أكتب لأنني لم اكن سعيدا تماما أبدا. أكتب كي أكون سعيدا.
بعد أسبوع من تركه للحقيبة أتي لمكتبي، أتي أبي لمكتبي كي يزوروني زيارة أخري. كالعادة، أحضر معه قالبا من الشكولاته (نسي أن عمري كان 48 عاما). كالعادة، تحدثنا عن، وضحكنا علي، الحياة، السياسة، والنميمة العائلية. أتت لحظة نظر فيها أبي إلي الركن الذي ترك فيه حقيبته، ورأي أنني حركتها من مكانها. نظرنا لأحدنا الآخر في العين مباشرة. تبع ذلك صمت مقبض. لم أخبره أنني فتحت الحقيبة، وحاولت قراءة محتوياتها: حولت نظري عنه بدلا عن إخباره. لكنه فهم. بالضبط كما فهمت أنه فهم. بالضبط كما فهم أنني فهمت أنه فهم. غير أن كل هذا الفهم لم يذهب لمدي أبعد مما يمكن أن يذهبه في لحظات قصيرة. لأن أبي كان رجلا سعيدا، طيب المعشر، مؤمنا بنفسه. ابتسم لي كما يفعل دائما. وبينما يغادر البيت، كرر كل الأشياء الجميلة، المشجعة، التي يقولها لي باستمرار، كأب. وكالعادة، راقبته يغادر. مغبطا إياه سعادته، طبعه الخالي من الهموم، غير القابل للتعكر. لكنني أتذكر أنه في ذلك اليوم شعرت داخلي بومضة من المتعة جعلتني أخجل من نفسي. كانت نابعة من فكرة أنني ربما لم أكن مستريحا مع الحياة مثله، أنني ربما لم اعش حياة سعيدة أو خالية من الهموم مثله، لكنني كرستها للكتابة ـ لقد فهمتهم. خجلت من أن أفكر علي هذا النحو علي حساب أبي. من بين كل الناس، أبي، الذي لم يكن، أبد ، مصدرا لآلامي. الذي تركني حرا. كل هذا يجب أن يذكرنا بأن الكتابة والأدب متصلان في النهاية بنقص في مراكز حيواتنا، ولشعورنا بالسعادة والذنب.
لكن في قصتي تناسق ذكرني فورا بشيء آخر في ذلك اليوم، والذي جلب عليٌّ شعورا أعمق بالذنب. قبل ثلاثة وعشرين سنة من ترك أبي حقيبته لي، وبعد أربع سنوات من قراري، في سن الثانية والعشرين، بأن أصبح روائيا ، هاجرا كل شيء آخر، عازلا نفسي في غرفة، كنت قد انتهيت من روايتي الأولي: (جودت بك وأولاده). بيدين مرتعشتين أعطيت أبي نسخة مكتوبة علي الآلة الكاتبة من الرواية التي لم تكن قد نشرت بعد ، كي يقراها ويخبرني برأيه. لم يكن ذلك ببساطة لأنني كان لدي ثقة في ذائقته وفي فكره: كان رأيه هاما جدا بالنسبة لي لأنه، علي عكس والدتي، لم يعارض رغبتي في أن أصبح كاتبا. في ذلك الوقت، لم يكن أبي معنا، كان بعيدا. انتظرت عودته بنفاد صبر. حين رجع بعد أسبوعين، جريت نحو الباب كي أفتحه. لم يقل أبي شيئا، لكنه أخذني ـ علي الفور ـ بين ذراعيه، علي نحو أخبرني أنها راقته كثيرا. لبرهة، سقطنا في ذلك الصمت غير المريح الذي كثيرا ما يصاحب لحظات المشاعر الغامرة. ثم، حين هدأنا وبدأنا نتكلم، استعان والدي بلغة مثقلة بالبلاغة، للتعبير عن ثقته فيٌّ، وفي روايتي الأولي: قال لي في ذلك اليوم أنني سأفوز بالجائزة التي أنا حاضر هنا الآن ـ بسعادة كبيرة ـ كي أتسلمها. قال ذلك ليس لأنه كان يحاول إثبات أن الرواية أعجبته، ولا كي يجعل من هذه الجائزة هدفا: قالها كأب تركي، يقدم دعما لأبنه، يشجعه، قائلا: "سوف تصبح باشا في يوم من الأيام!" لسنوات، كلما رآني، كان يشجعني بنفس الكلمات
توفي أبي في ديسمبر 2002.
اليوم ، بينما أقف هنا أمام الأكاديمية السويدية والأعضاء البارزين الذين منحوني هذه الجائزة العظيمة ـ هذا الشرف العظيم ـ وضيوفهم البارزين، أتمني، بحرارة، لو كان بيننا.
 

Orhan Pamuk

La valise de mon papa



Deux ans avant sa mort, mon père m'a remis une petite valise remplie de ses propres écrits, ses manuscrits et ses cahiers. En prenant son habituel air sarcastique, il m'a dit qu'il voulait
que je les lise après lui, c'est-à-dire après sa mort.

« Jette un coup d'œil », a-t-il dit, un peu gêné, « peut-être y a-t-il quelque chose de publiable. Tu pourras choisir ».

On était dans mon bureau, entourés de livres. Mon père s'est promené dans le bureau en regardant autour de lui, comme quelqu'un qui cherche à se débarrasser d'une valise lourde et encombrante, sans savoir où la poser. Finalement, il l'a posée discrètement, sans bruit, dans un coin. Une fois passé ce moment un peu honteux mais inoubliable, nous avons repris la légèreté tranquille de nos rôles habituels, nos personnalités sarcastiques et désinvoltes. Comme d'habitude, nous avons parlé de choses sans importance, de la vie, des inépuisables sujets politiques de la Turquie, de tous ses projets inaboutis, d'affaires sans conséquences.

Je me souviens d'avoir tourné autour de cette valise pendant quelques jours après son départ, sans la toucher. Je connaissais depuis mon enfance cette petite valise de marocain noir, sa serrure, ses renforts cabossés. Mon père s'en servait pour ses voyages de courte durée, et parfois aussi pour transporter des documents de chez lui à son travail. Je me rappelais avoir, enfant, ouvert cette valise et fouillé dans ses affaires, d'où montait une odeur délicieuse d'eau de Cologne et de pays étrangers. Cette valise représentait pour moi beaucoup de choses familières ou fascinantes, de mon passé, et de mes souvenirs d'enfance ; pourtant, je ne parvenais pas à la toucher. Pourquoi ? Sans doute à cause du poids énorme et mystérieux qu'elle semblait renfermer.

Je vais parler maintenant du sens de ce poids : c'est le sens du travail de l'homme qui s'enferme dans une chambre, qui, assis à une table ou dans un coin, s'exprime par le moyen du papier et d'un stylo, c'est-à-dire le sens de la littérature.

Je n'arrivais pas à prendre et à ouvrir la valise de mon père, mais je connaissais certains des cahiers qui s'y trouvaient.
J'avais déjà vu mon père écrire dessus. Ce n'étais pas la première fois que je ressentais tout le poids contenu dans cette valise. Mon père avait une grande bibliothèque ; dans sa jeunesse, à la fin des années quarante, il avait voulu devenir poète, à Istanbul, il avait traduit Valéry en turc, mais n'avait pas voulu s'exposer aux difficultés d'une vie consacrée à la poésie dans un pays pauvre, où les lecteurs étaient bien peu nombreux. Son père – mon grand-père – était un riche entrepreneur, mon père avait eu une enfance facile, il ne voulait pas se fatiguer pour la littérature. Il aimait la vie et ses agréments, et je le comprenais.

Ce qui me retenait tout d'abord de m'approcher de la valise de mon père, c'était la crainte de ne pas aimer ce qu'il avait écrit. Il s'en doutait sûrement, et avait d'ailleurs pris les devant en affectant une espèce de désinvolture à l'égard de cette valise. Cette attitude m'affligeait, moi qui écrivais depuis vingt-cinq ans, mais je ne voulais en tenir rigueur à mon père de ne pas prendre la littérature suffisamment au sérieux… Ma vrai crainte, la chose qui m'effrayait vraiment, c'était la possibilité que mon père eût été un bon écrivain. C'est en fait cette peur qui m'empêchait d'ouvrir la valise de mon père. E
je n'arrivais même pas à m'avouer cette vraie raison. Car si de sa valise était sortie une grande œuvre, j'aurais dû reconnaître l'existence d'un autre homme, totalement différent, à l'intérieur de mon père. C'était quelque chose d'effrayant. Même à mon âge déjà avancé, je tenais à ce que mon père ne fût que mon père, et non un écrivain.

Pour moi, être écrivain, c'est découvrir patiemment, au fil des années, la seconde personne, cachée, qui vit en nous, et un monde qui secrète notre seconde vie : l'écriture m'évoque en premier lieu, non pas les romans, la poésie, la tradition littéraire, mais l'homme qui, enfermé dans une chambre, se replie sur lui-même, seul avec les mots, et jette, ce faisant, les fondations d'un nouveau monde. Cet homme, ou cette femme, peut utiliser une machine à écrire, s'aider d'un ordinateur, ou bien, comme moi, peut passer trente ans à écrire au stylo et sur du papier. En écrivant, il peut fumer, boire du café ou du thé. De temps en temps il peut jeter un coup d'œil dehors, par la fenêtre, sur les enfants qui s'amusent dans la rue – s'il a cette chance, sur des arbres, un paysage – ou bien sur un mur aveugle. Il peut écrire de la poésie, du théâtre ou comme moi des romans. Toutes ces variations sont secondaires par rapport à l'acte essentiel de s'asseoir à une table, et de se plonger en soi-même. Ecrire, c'est traduire en mots ce regard intérieur, passer à l'intérieur de soi, et jouir du bonheur d'explorer patiemment, et obstinément, un monde nouveau.
Au fur et à mesure qu'assis à ma table, j'ajoutais mot après mot sur des feuilles blanches, et que passaient les jours, les mois, les années, je me sentais bâtir ce nouveau monde, comme on bâtit un pont, ou une voûte, et découvrir en moi comme une autre personne. Les mots pour nous, écrivains, sont les pierres dont nous nous bâtissons. C'est en les maniant, en les évaluant les uns par rapport aux autres, en jaugeant parfois de loin, parfois au contraire en les pesant et en les caressant du bout des doigts et du stylo que nous les mettons chacun à sa place, pour construire à longueur d'année, sans perdre espoir, obstinément, patiemment.

Pour moi le secret du métier d'écrivain réside non pas dans une inspiration d'origine inconnue mais sur l'obstination et la patience. Une jolie expression turque « creuser un puits avec une aiguille », me semble avoir été inventée pour nous autres écrivains. J'aime et je comprends la patience de Farhad qui selon la légende perça les montagnes pour l'amour de Shirine. En parlant dans Mon Nom est Rouge, des miniaturistes Persans qui à force de dessiner toujours le même cheval, pendant des années, finissent par le mémoriser au point de pouvoir l'exécuter les yeux fermés, je savais que je parlais aussi du métier d'écrivain, et de ma propre vie. Il me semble que, pour être en mesure de narrer sa propre vie comme l'histoire des autres, et de puiser en lui-même ce don de raconter, l'écrivain doit lui-même, avec optimisme, faire le don de toutes ces années à son art et à son métier. La muse, qui ne rend visite qu'à certains, et jamais aux autres, est sensible à cette confiance, à cet optimisme, et c'est quand l'écrivain se sent le plus seul, quand il doute le plus de la valeur de ses efforts, de ses rêves et de ce qu'il a écrit – c'est-à-dire quand il croit que son histoire n'est rien d'autre que son histoire, que la muse vient lui offrir les histoires, les images et les rêves qui le monde où il vit et le monde qu'il veut bâtir. Le sentiment le plus bouleversant pour moi dans ce métier d'écrivain auquel j'ai donné toute ma vie, a été de penser parfois que certaines phrases, certaines pages qui m'ont rendu infiniment heureux m'étaient révélées par la grâce d'une puissance extérieure.

J'avais peur d'ouvrir la valise de mon père et de lire ses cahiers parce que je savais qu'il ne se serait jamais exposé aux difficultés que j'ai eu moi-même à affronter. Il aimait non la solitude, mais les amis, les pièces bondées, les plaisanteries en société. Mais ensuite, je fis un autre raisonnement : la patience, l'ascétisme, toutes ces conceptions que j'avais échafaudées pouvaient n'être que mes propres préjugés, liés à mon expérience personnelle et à ma vie d'écrivain. Les auteurs géniaux ne manquaient pas, qui écrivirent au milieu d'une vie brillante, bruyante, avec une existence sociale ou familiale heureuse et intense. De plus, notre père nous avait abandonnés, enfants, pour fuir justement la médiocrité de sa vie familiale. Il était parti à Paris, où il avait, comme beaucoup d'autres, rempli des cahiers dans des chambres d'hôtel. Je savais que dans la valise se trouvait une partie de ces cahiers, car pendant les années qui précédèrent la remise de cette valise, mon père avait commencé à me parler de cette période de sa vie. Dans notre enfance aussi il parlait de ces années-là, mais sans évoquer sa propre fragilité, ni son désir de devenir poète, ni ses angoisses existentielles dans des chambres d'hôtel. Il racontait comment il voyait souvent Sartre sur les trottoirs de Paris, il parlait des livres qu'il avait lus et des films qu'il avait vus avec un enthousiasme naïf, comme quelqu'un qui apporte des nouvelles importantes. Je ne pouvais certainement pas me dissimuler ce que ma destinée d'écrivain devait au fait que mon père parlait bien plus souvent des grands auteurs de la littérature mondiale que de nos pachas ou auteurs religieux. Peut-être fallait-il plutôt, au lieu d'attacher trop d'importance à la valeur littéraire de ses écrits, aborder les cahiers de mon père en considérant tout ce que je devais aux livres de sa bibliothèque, en me rappelant que mon père, quand il vivait avec nous, n'aspirait lui aussi, comme moi, qu'à se retrouver seul dans une chambre, pour se frotter à la foule de ses rêves.

Cependant, en contemplant avec inquiétude cette valise fermée, je me sentais justement incapable de cela-même. Mon père avait coutume, parfois, de s'allonger sur le sofa à l'entrée de sa bibliothèque, de poser le magazine ou le livre qu'il était en train de lire, et de suivre longuement le cours de ses pensées. Sur son visage apparaissait alors une nouvelle expression, différente de celle qu'il avait en famille, au milieu des plaisanteries, des disputes ou des taquineries – un regard tourné vers l'intérieur. J'en avais déduit dès mon enfance et ma première jeunesse que mon père était un homme inquiet, et je m'en inquiétais. Je sais maintenant, tant d'années après, que cette inquiétude est l'une des raisons qui font d'un homme un écrivain. Pour devenir écrivain, il faut avoir, avant la patience et le goût des privations, un instinct de fuir la foule, la société, la vie ordinaire, les choses quotidiennes partagées par tout le monde, et de s'enfermer dans une chambre. Nous, écrivains, avons besoin de la patience et de l'espérance pour rechercher les fondements, en nous-mêmes, du monde que nous créons, mais le besoin de nous enfermer dans une chambre, une chambre pleine de livres, est la première chose qui nous motive. Celui qui marque le début de la littérature moderne, le premier grand exemple d'écrivain libre et de lecteur affranchi des contraintes et des préjugés, qui a le premier discuté les mots des autres sans rien écouter que sa propre conscience, qui a fondé son monde sur son dialogue avec les autres livres, est évidemment Montaigne. Montaigne est un des écrivains à la lecture desquels mon père revenait sans cesse et m'incitait toujours. Je veux me considérer comme appartenant à cette tradition d'écrivains qui, que ce soit en Orient ou en Occident, se démarquent de la société, quelle qu'elle soit, où ils vivent, pour s'enfermer dans une chambre pleine de livres. Pour moi , l'homme dans sa bibliothèque est le lieu où se fonde la vraie littérature.

Pour autant, notre solitude dans cette chambre où nous nous enfermons n'est pas si grande que nous le croyons. Nous sommes environnés des mots, des histoires des autres, de leurs livres, de tout ce que nous appelons la tradition littéraire. Je crois que la littérature est la somme la plus précieuse que l'humanité s'est donnée pour se comprendre.
Les sociétés humaines, les tribus et les nations deviennent intelligentes, s'enrichissent et s'élèvent dans la mesure où ils prennent au sérieux leur littérature, où ils écoutent leurs écrivains, et comme nous le savons tous, les bûchers de livres, les persécutions contre les écrivains présagent pour les nations de périodes noires et obscures. La littérature n'est jamais seulement un sujet national ; l'écrivain qui s'enferme dans une chambre avec ses livres, et qui initie avant tout un voyage intérieur va y découvrir au cours des années cette règle essentielle : la littérature est l'art de savoir parler de notre histoire comme de l'histoire des autres et de l'histoire des autres comme de notre propre histoire. Pour arriver à ce but, nous commençons par lire les histoires et les livres des autres.

Mon père avait une bonne bibliothèque de quelque mille-cinq-cents livres qui aurait largement suffi à un écrivain. Quand j'avais vingt-deux ans, je n'avais peut-être pas lu tous les livres qui étaient dans sa bibliothèque, mais je les connaissais tous un par un, je savais lesquels étaient importants, lesquels étaient légers et faciles à lire, lesquels étaient des Classiques et des monuments incontournables, lesquels étaient des témoins, voués à l'oubli mais amusants, d'une histoire locale, et lesquels étaient les livres d'un écrivain français auxquels mon père tenait beaucoup. Parfois je contemplais de loin cette bibliothèque. J'imaginais que moi-même, un jour, j'allais, dans une autre maison, posséder une bibliothèque semblable et même meilleure, que j'allais me bâtir un monde avec des livres. Regardée de loin, la bibliothèque de mon père m'apparaissait parfois comme une image de tout l'univers. Mais c'était un monde que nous observions à partir d'un angle étroit, depuis Istanbul, et le contenu de la bibliothèque en témoignait aussi. Et mon père avait constitué cette bibliothèque à partir des livres qu'il avait acheté pendant ses voyages à l'étranger, surtout à Paris et en Amérique, de ceux qu'il avait achetés dans sa jeunesse chez les bouquinistes d'Istanbul qui vendaient de la littérature étrangère dans les années quarante et cinquante, et de ceux qu'il avait continué d'acquérir dans des librairies que je connais moi aussi. Mon monde est un mélange de local et de mondial, de national et d'occidental. A partir des années soixante-dix, moi aussi j'ai eu la prétention de me constituer une bibliothèque personnelle, avant même d'avoir vraiment décidé de devenir écrivain ; comme j'en parle dans mon livre Istanbul, je savais déjà que je ne deviendrais pas peintre non plus, mais je ne savais pas exactement quelle voie ma vie allait prendre. J'avais d'une part une curiosité insatiable et universelle, et une soif d'apprendre excessive et naïve.
D'autre part je sentais que ma vie était vouée à rester insatisfaite, privée de certaines choses qui sont données aux autres. Ce sentiment relevait en partie de celui d'être loin du centre, en province, qui nous gagnait à force de vivre à Istanbul ou rien qu'à regarder la bibliothèque de mon père.
Mon autre souci était que j'habitais en Turquie, dans un pays qui n'attache pas grande importance à ses artistes, qu'ils pratiquent la peinture ou la littérature, et les laisse vivre sans espoir. Dans les années soixante-dix, lorsque j'achetais, avec l'argent que mon père me donnait, des livres d'occasion, poussiéreux et usés, chez des bouquinistes d'Istanbul, comme par une ambition dérisoire de suppléer ce que la vie ne m'apportait pas, l'aspect misérable des vendeurs, dans les cours des mosquées, au pied des ruines, au coin des rues, la décrépitude et la pauvreté sordide de tous ces endroits désespérants, m'influençaient autant que le contenu des livres eux-mêmes.

Quant à ma place dans l'univers, mon sentiment était que de toute façon, j'étais à l'écart, et bien loin de tout centre, que ce soit dans la vie ou dans la littérature. Au centre du monde existait une vie plus riche et plus passionante que celle que nous vivions, et moi j'en étais exclu, à l'instar de tous mes compatriotes. Aujourd'hui, je pense que je partageais ce sentiment avec la presque totalité du monde. De la même façon, il y avait une littérature mondiale, dont le centre se trouvait très loin de moi. Mais ce à quoi je pensais, était non pas la littérature mondiale mais la littérature occidentale. Et nous les Turcs en étions bien sûr exclus aussi, comme le confirmait la bibliothèque de mon père. D'une part il y avait les livres et la littérature d'Istanbul, notre monde restreint dont j'affectionne depuis toujours et encore aujourd'hui les détails, et il y avait les livres du monde occidental, tout différents, qui nous donnaient autant de peine que d'espoir.
Ecrire et lire étaient en quelque sorte une façon de sortir d'un monde et de trouver une consolation par l'intermédiaire de la différence, de l'étrangeté et des créations géniales de l'autre.
Je sentais que mon père aussi lisait parfois pour échapper à son monde et fuir vers l'Occident, tout comme je l'ai fait moi-même plus tard. Il me paraissait aussi qu'à cette époque-là , les livres nous servaient à nous défaire du sentiment d'infériorité culturelle ; le fait de lire, mais aussi d'écrire nous rapprochait de l'Occident et en nous faisant partager quelque chose. Mon père, pour remplir tous ces cahiers dans cette valise était allé s'enfermer dans une chambre d'hôtel à Paris, et avait rapporté en Turquie ce qu'il avait écrit. Je sentais, en regardant la valise de mon père que moi aussi, j'étais concerné, et cela me terrifiait. Après vingt-cinq années passées, pour être écrivain en Turquie, dans la solitude d'une chambre, je me révoltais en regardant la valise de mon père contre le fait que le métier d'écrivain, le fait d'écrire sincèrement suppose qu'on l'exerce en cachette de la société, de l'Etat et de la Nation. C 'est peut-être là mon principal ressentiment contre mon père : de n'avoir pas autant que moi pris le métier d'écrivain au sérieux. En fait, je lui en voulais de n'avoir pas mené la vie qui est la mienne, d'avoir choisi de vivre dans la société, avec ses amis, les gens qu'il aimait, sans s'exposer au moindre conflit pour quoi que ce soit. Mais en même temps, je savais ce que ces reproches recouvraient de jalousie, et que ce mot aurait été le plus exact pour décrire mon énervement. Je me demandais, comme une obsession, « qu'est-ce que le bonheur ? ». Est-ce croire vivre une vie profonde dans la solitude d'une chambre, ou est-ce vivre une vie facile au sein de la société, en croyant les mêmes choses que tout le monde ou en faisant semblant d'y croire. Est-ce qu'écrire en cachette de tous, dans son coin, tout en ayant l'air de vivre en harmonie avec tout le monde, était le bonheur, ou le malheur ? C'étaient-là des questions trop irritantes, trop brûlantes pour moi. De plus, d'où avais-je tiré que le bonheur fût le critère d'une vie réussie ? Les gens, les journaux, tout le monde se comportait comme si la vie se mesurait essentiellement au bonheur qu'elle offrait, et cela seul justifiait sans doute qu'on pût envisager le contraire. D'ailleurs, connaissant bien mon père, et cette façon qu'il avait eu de nous abandonner et de nous fuir constamment, j'étais aussi bien à même de percevoir son inquiétude profonde.

Voilà ce qui m'a fait ouvrir finalement la valise de mon père. Peut-être y avait-il dans sa vie un secret, un malheur trop important pour qu'il ait pu le supporter sans l'écrire. Dès que j'ai ouvert la valise, je me suis souvenu de l'odeur de son sac de voyage, et je me suis aperçu que je connaissais certains de ses cahiers, que mon père m'avait montré des années plus tôt, sans y attacher d'importance. La plupart de ceux que j'ai feuilletés un par un dataient des années où mon père, jeune encore, nous avait souvent quittés pour se rendre à Paris. Mais ce que j'aurais souhaité, moi, comme les écrivains que j'aime et dont je lis les livres, c'était apprendre ce que mon père avait pu penser et écrire au même âge que moi.
Rapidement, j'ai compris que je n'allais pas faire cette expérience. J'étais gêné aussi par la voix d'écrivain que je percevais ça et là dans ces cahiers. Je me disais que cette voix n'était pas celle de mon père, qu'elle n'était pas authentique, ou bien que cette voix n'appartenait pas à la personne que je connaissais comme mon père. Il y avait ici une crainte plus grave que la simple inquiétude de découvrir que mon père cessait, en écrivant, d'être mon père : ma propre peur de ne pas réussir à être authentique l'emportait sur celle de ne pas apprécier ses écrits à lui, et de constater même qu'il était excessivement influencé par d'autres écrivains, et elle se transformait en une crise d'authenticité qui m'obligeait à m'interroger, comme dans ma jeunesse, sur mon existence entière, sur ma vie, mon envie d'écrire, et ce que j'ai écrit moi-même. Pendant les dix premières années où j'ai écrit des romans, j'éprouvais cette crainte avec acuité, elle m'accablait presque ; tout comme j'avais renoncé à peindre, j'avais peur que cette inquiétude me fasse renoncer à écrire.

Je vous ai déjà parlé des deux sentiments que cette valise – que j'ai depuis refermée et rangée – avaient suscités en moi : le sentiment de provincialité, et le souci d'authenticité. Bien évidemment, ce n'était pas la première fois que j'éprouvais profondément ces sentiments d'inquiétude. J'avais moi-même en lisant et en écrivant exploré, découvert et approfondi pendant des années ces sentiments à ma table de travail, dans toute leur ampleur, avec leurs conséquences, leurs interconnections, leurs intrications et la diversité de leurs nuances. Bien sûr, je les avais éprouvés maintes fois, surtout dans ma jeunesse, douleurs diffuses, susceptibilités lancinantes, désordres de l'esprit dont la vie et les livres ne cessaient pas de m'affliger. Mais je n'étais parvenu au fond du sentiment d'être provincial, de l'angoisse de n'être pas authentique qu'en écrivant des romans, des livres là-dessus (par exemple Neige ou Istanbul pour le sentiment de provincialité, ou Mon Nom est Rouge et Le Livre noir pour le souci d'authenticité). Pour moi, être écrivain, c'est appuyer sur les blessures secrètes que nous portons en nous, que nous savons que nous portons en nous – les découvrir patiemment, les connaître, les révéler au grand jour, et faire de ces blessures et de nos douleurs une partie de notre écriture et de notre identité.

Etre écrivain, c'est parler des choses que tout le monde sait sans en avoir conscience. La découverte de ce savoir et son partage donnent au lecteur le plaisir de parcourir en s'étonnant un monde familier. Nous prenons sans doute aussi ce plaisir au talent qui exprime par des mots ce que nous connaissons de la réalité. L 'écrivain qui s'enferme dans une chambre et développe son talent pendant des années, et qui essaie de construire un monde en commençant par ses propres blessures secrètes, consciemment ou inconsciemment, montre une confiance profonde en l'humanité. J'ai toujours eu cette confiance en ce que les autres aussi portent aussi ce genre de blessures, en ce que les êtres humains se ressemblent. Toute la littérature véritable repose sur une confiance – d'un optimisme enfantin – selon laquelle les hommes se ressemblent. Quelqu'un qui écrit pendant des années enfermé s'adresse à cette humanité et à un monde sans centre.

Mais comme on peut le comprendre de la valise de mon père et des couleurs fânées de la vie que nous menions à Istanbul, le monde avait un centre bien loin de nous. J'ai beaucoup parlé de ce sentiment tchekhovien de provincialité et de l'angoisse d'authenticité inspiré tous deux par l'expérience de cette vérité fondamentale. Je connais par moi-même que la majorité écrasante de la population mondiale vit avec ces sentiments oppressants en luttant contre le manque de confiance en soi et contre la peur de l'humiliation. Oui, le souci principal de l'humanité est encore la pauvreté, le manque de nourriture, de logement… Mais désormais, les télévisions, les journaux nous ra******* ces problèmes fondamentaux plus rapidement et plus facilement que la littérature. Si ce que la littérature doit raconter et explorer aujourd'hui c'est le problème principal de l'humanité, la peur de l'exclusion et de se sentir sans importance, le sentimment de ne rien valoir, les atteintes à l'amour propre éprouvées par les sociétés, les fragilités, la crainte de l'humiliation, les colères de tout ordre, les susceptibilités, et les vantardises nationales… Je peux comprendre ces paranoïas, qui sont le plus souvent exprimées dans un langage irrationnel et excessivement sensible, chaque fois que je fixe l'obscurité qui est en moi. Nous témoignons de ce que les grandes foules, les sociétés et les nations constituant le monde en dehors de l'Occident, auxquelles je m'identifie facilement, sont imprégnées de peurs qui frisent parfois la stupidité, à cause de cette peur d'être humilié et de cette susceptibilité.
Je sais en même temps que les nations, les Etats dans le monde occidental, auquel je peux tout aussi facilement m'identifier, sont parfois imbus d'un orgueil (vanité d'avoir produit la Renaissance, les Lumières, la Modernité, la société d'abondance) qui frise tout autant la stupidité.

En conséquence, non seulement mon père, mais nous tous surestimons l'idée selon laquelle le monde aurait un centre. Cependant, ce qui nous tient enfermés dans une chambre pendant des années pour écrire est une confiance contraire ; c'est une foi en ce qu'un jour, ce que nous avons écrit sera lu et compris car les hommes se ressemblent partout dans le monde. Mais, je le sais par moi-même et par ce que mon père a écrit, ceci est d'un optimisme inquiet, blessé, inspiré par la peur d'être en marge, en dehors. J'ai senti maintes fois en moi-même les sentiments d'amour et de haine que Dostoïevski a éprouvés toute sa vie à l'égard de l'Occident.
Mais ce que j'ai vraiment appris de lui, ma vraie source d'optimisme, c'est le monde complètement différent que ce grand écrivain a fondé en partant de sa relation d'amour et de haine avec l'Occident mais en la dépassant.

Tous les écrivains qui ont consacré leur vie à ce métier savent cette réalité : les motifs qui nous ont amenés à écrire et le monde que nous avons construit à force d'écrire pendant des années avec espoir se posent finalement dans des lieux différents. De la table où nous étions assis avec notre chagrin ou notre colère, nous sommes arrivés à un monde entièrement différent, au-delà de ce chagrin et de cette colère. N'était-il pas possible que mon père, lui aussi, eût atteint un tel monde ? Ce monde auquel on arrive au bout d'un long voyage, nous inspire un sentiment de miracle, tout comme une île qui apparaît peu à peu devant nous, dans
toutes ses couleurs, lorsque le brouillard se lève sur la mer.
Ou bien cela ressemble à ce qu'ont ressenti les voyageurs occidentaux à l'approche d'Istanbul, par la mer, quand elle émerge du brouillard de l'aube. A la fin du long voyage commencé avec espoir et curiosité, il existe une ville, un monde entier avec ses mosquées, ses minarets, ses maisons, ses rues en pente, ses collines, ses ponts. On a envie d'entrer de plain pied dans ce monde, et de s'y perdre, tout comme un bon lecteur se perd dans les pages d'un livre.
Nous étions assis à cette table, en colère, tristes, et nous avons découvert un nouveau monde qui nous a fait oublier ces sentiments.

Contrairement à ce que je ressentais pendant mon enfance et ma jeunesse, le centre du monde pour moi est désormais Istanbul. Non seulement parce que j'y ai passé presque toute ma vie, mais aussi parce que depuis trente-trois ans, j'ai raconté ses rues, ses ponts, ses humains et ces chiens, ses maisons et ses mosquées, ses fontaines, ses héros étonnants, ses magasins, ses petits gens, ses recoins sombres, ses nuits et ses jours, en m'identifiant à chacun tour à tour. A partir d'un certain moment, ce monde que j'ai imaginé échappe aussi à mon contrôle et devient plus réel dans ma tête que la ville dans laquelle je vis. Alors, tous ces hommes et ces rues, ces objets et ces bâtiments commencent en quelque sorte à parler entre eux, à établir entre eux des relations que je ne pouvais pas pressentir, à vivre par eux-mêmes, et non plus dans mon imagination et mes livres. Ce monde que j'ai construit en l'imaginant patiemment, comme on creuse un puits avec une aiguille, m'apparaît alors plus réel que tout.

En regardant sa valise, je me disais que peut-être mon père aussi avait connu ce bonheur réservé aux écrivains qui ont voué tant d'années à leur métier, et que je ne devais pas avoir de préjugés à son égard. Par ailleurs, je lui étais reconnaissant de n'avoir pas été un père ordinaire, distribuant des ordres et des interdictions, qui écrase et punit, et de m'avoir toujours respecté et laissé libre. J'ai parfois cru que mon imagination pouvait fonctionner librement comme celle d'un enfant, parce que je ne connaissais pas la peur de perdre, contrairement à de nombreux amis de mon enfance et de ma jeunesse, et j'ai parfois sincèrement pensé que je pouvais devenir écrivain parce que mon père a voulu devenir lui-même écrivain dans sa jeunesse. Je devais le lire avec tolérance et comprendre ce qu'il avait écrit dans ces chambres d'hôtel.

Avec ces pensées optimistes, j'ai ouvert la valise, qui était restée plusieurs jours là où mon père l'avait laissée, et j'ai lu, en mobilisant toute ma volonté, certains cahiers, certaines pages. Qu'avait-il donc écrit ? Je me souviens de vues d'hôtels parisiens, de quelques poèmes, de paradoxes, de raisonnements… Je me sens maintenant comme quelqu'un qui se rappelle difficilement, après un accident de voiture, ce qui lui est arrivé, et qui rechigne à se souvenir. Lorsque dans mon enfance ma mère et mon père étaient sur le point de commencer une dispute, c'est-à-dire lors de l'un de leurs silences mortels, mon père allumait tout de suite la radio, pour changer l'ambiance, la musique nous faisait oublier plus vite.

Changeons de sujet, et disons quelques mots « en guise de musique ». Comme vous le savez, la question la plus fréquemment posée aux écrivains est la suivante : « Pourquoi écrivez-vous ? » J'écris parce que j'en ai envie. J'écris parce que je ne peux pas faire comme les autres un travail normal.
J'écris pour que des livres comme les miens soient écrits et que je les lise. J'écris parce que je suis très fâché contre vous tous, contre tout le monde. J'écris parce qu'il me plaît de rester enfermé dans une chambre, à longueur de journée.
J'écris parce que je ne peux supporter la réalité qu'en la modifiant. J 'écris pour que le monde entier sache quel genre de vie nous avons vécu, nous vivons moi, les autres, nous tous, à Istanbul, en Turquie. J'écris parce que j'aime l'odeur du papier et de l'encre. J'écris parce que je crois par-dessus tout à la littérature, à l'art du roman. J'écris parce que c'est une habitude et une passion. J'écris parce que j'ai peur d'être oublié. J'écris parce que je me plaîs à la célébrité et à l'intérêt que cela m'apporte. J'écris pour être seul. J'écris dans l'espoir de comprendre pourquoi je suis à ce point fâché avec vous tous, avec tout le monde. J'écris parce qu'il me plaît d'être lu. J'écris en me disant qu'il faut que je finisse ce roman, cette page que j'ai commencée. J'écris en me disant que c'est ce à quoi tout le monde s'attend de ma part. J'écris parce que je crois comme un enfant à l'immortalité des bibliothèques et à la place qu'y tiendront mes livres. J'écris parce que la vie, le monde, tout est incroyablement beau et étonnant. J'écris parce qu'il est plaisant de traduire en mot toute cette beauté et la richesse de la vie. J 'écris non pas pour raconter des histoires, mais pour construire des histoires. J'écris pour échapper au sentiment de ne pouvoir atteindre un lieu où l'on aspire, comme dans les rêves. J'écris parce que je n'arrive pas à être heureux, quoi que je fasse. J'écris pour être heureux.

Une semaine après avoir déposé la valise dans mon bureau, mon père m'a rendu visite à nouveau, avec comme d'habitude un paquet de chocolats (il oubliait que j'avais quarante-huit ans). Comme d'habitude nous avons parlé de la vie, de politique, des potins de famille et nous avons ri. A un moment donné, mon père a posé son regard là où il avait laissé la valise, et il a compris que je l'avais enlevée. Nos regards se sont croisés. Il y a eu un silence embarrassé. Je ne lui ai pas dit que j'avais ouvert la valise et essayé d'en lire le contenu. J'ai fui son regard. Mais il a compris. Et j'ai compris qu'il avait compris. Et il a compris que j'avais compris qu'il avait compris. Ce genre d'intercompréhension ne dure que le temps qu'elle dure. Car mon père était un homme sûr de lui, à l'aise et heureux avec lui-même. Il a ri comme d'habitude, Et en partant, il a encore répété, comme un père, les douces paroles d'encouragement qu'il me disait toujours.

Comme d'habitude, j'ai l'ai regardé sortir en enviant son bonheur, sa tranquillité, mais je me souviens que ce jour-là j'ai senti en moi un tressaillement embarrassant de bonheur. Je ne suis peut-être pas aussi à l'aise que lui, je n'ai pas mené une vie heureuse et sans problèmes comme lui, mais j'avais, comme vous l'avez compris, remis ses écrits à leur place.
J'avais honte d'avoir éprouvé cela envers mon père. De plus mon père loin d'avoir été un centre, m'avait laissé libre de ma vie. Tout cela doit nous rappeler que le fait d'écrire et la littérature sont profondément liés à un manque autour duquel tourne notre vie, au sentiment de bonheur et de culpabilité.

Mais mon histoire a une autre moitié, symétrique, qui m'a inspiré encore plus de culpabilité, et dont je me suis souvenu ce jour-là. Vingt-trois ans auparavant, quand j'avais vingt-deux ans, j'avais décidé de tout abandonner et de devenir romancier, je m'étais enfermé dans une chambre, et quatre ans plus tard, j'avais terminé mon premier roman, Monsieur Djevdet et ses fils, et j'avais remis, les mains tremblantes, une copie dactylographiée du livre qui n'était pas encore publié, à mon père, pour qu'il le lise et me dise ce qu'il en pensait. Obtenir son approbation était pour moi important, non seulement parce que je comptais sur son goût et sur son intelligence, mais aussi parce que contrairement à ma mère, mon père ne s'opposait pas à ce que je devienne écrivain. A cette époque là, mon père n'étais pas avec nous. Il était loin.
J'attendis impatiemment son retour. Quand il est rentré, deux semaines après, j'ai couru lui ouvrir la porte. Mon père n'a rien dit, mais il m'a pris dans ces bras, embrassé d'une façon telle que j'ai compris qu'il avait beaucoup aimé mon livre.
Pendant un certain temps, nous sommes restés silencieux, mal à l'aise, comme il arrive dans des moments de sentimentalité excessive. Lorsqu'un peu plus tard nous nous sommes mis un peu plus à l'aise, et avons commencé à causer, mon père a exprimé, d'une façon excessivement excitée et par des mots exagérés, sa confiance en moi, et en mon premier livre, et il m'a dit que j'allais un jour recevoir ce prix, que j'accepterais aujourd'hui avec beaucoup de bonheur.

Il m'avait dit cela moins par conviction ou avec l'intention de m'assigner un but, que comme un père turc dit à son fils, pour l'encourager « Tu seras un pacha ». Et il a répété ces paroles pendant des années, à chaque fois qu'il me voyait, pour me donner du courage.

Mon père est mort en décembre 2002.

Honorables membres de l'académie suédoise qui m'avez accordé ce grand prix, cet honneur, et vous leurs éminents invités, j'aurais beaucoup aimé que mon père soit parmis nous aujourd'hui.


Traduction de la langue turque par Gilles Authier
 
Nobel Lecture

Orhan Pamuk
My Father's Suitcase



Two years before his death, my father gave me a small suitcase filled with his writings, manuscripts and notebooks. Assuming his usual joking, mocking air, he told me he wanted me to read them after he was gone, by which he meant after he died.

'Just take a look,' he said, looking slightly embarrassed. 'See if there's anything inside that you can use. Maybe after I'm gone you can make a selection and publish it.'

We were in my study, surrounded by books. My father was searching for a place to set down the suitcase, wandering back and forth like a man who wished to rid himself of a painful burden. In the end, he deposited it quietly in an unobtrusive corner. It was a shaming moment that neither of us ever forgot, but once it had passed and we had gone back into our usual roles, taking life lightly, our joking, mocking personas took over and we relaxed. We talked as we always did, about the trivial things of everyday life, and Turkey's neverending political troubles, and my father's mostly failed business ventures, without feeling too much sorrow.

I remember that after my father left, I spent several days walking back and forth past the suitcase without once touching it. I was already familiar with this small, black, leather suitcase, and its lock, and its rounded corners. My father would take it with him on short trips and sometimes use it to carry documents to work. I remembered that when I was a child, and my father came home from a trip, I would open this little suitcase and rummage through his things, savouring the scent of cologne and foreign countries. This suitcase was a familiar friend, a powerful reminder of my childhood, my past, but now I couldn't even touch it. Why? No doubt it was because of the mysterious weight of its *******s.

I am now going to speak of this weight's meaning. It is what a
person creates when he shuts himself up in a room, sits down at a table, and retires to a corner to express his thoughts – that is, the meaning of literature.

When I did touch my father's suitcase, I still could not bring myself to open it, but I did know what was inside some of those notebooks. I had seen my father writing things in a few of them. This was not the first time I had heard of the heavy load inside the suitcase. My father had a large library; in his youth, in the late 1940s, he had wanted to be an Istanbul poet, and had translated Valéry into Turkish, but he had not wanted to live the sort of life that came with writing poetry in a poor country with few readers. My father's father – my grandfather – had been a wealthy business man; my father had led a comfortable life as a child and a young man, and he had no wish to endure hardship for the sake of literature, for writing. He loved life with all its beauties – this I understood.

The first thing that kept me distant from the *******s of my father's suitcase was, of course, the fear that I might not like what I read. Because my father knew this, he had taken the precaution of acting as if he did not take its *******s seriously. After working as a writer for 25 years, it pained me to see this. But I did not even want to be angry at my father for failing to take literature seriously enough ... My real fear, the crucial thing that I did not wish to know or discover, was the possibility that my father might be a good writer. I couldn't open my father's suitcase because I feared this. Even worse, I couldn't even admit this myself openly. If true and great literature emerged from my father's suitcase, I would have to acknowledge that inside my father there existed an entirely different man. This was a frightening possibility. Because even at my advanced age I wanted my father to be only my father – not a writer.

A writer is someone who spends years patiently trying to discover the second being inside him, and the world that makes him who he is: when I speak of writing, what comes first to my mind is not a novel, a poem, or literary tradition, it is a person who shuts himself up in a room, sits down at a table, and alone, turns inward; amid its shadows, he builds a new world with words. This man – or this woman – may use a typewriter, profit from the ease of a computer, or write with a pen on paper, as I have done for 30 years. As he writes, he can drink tea or coffee, or smoke cigarettes. From time to time he may rise from his table to look out through the window at the children playing in the street, and, if he is lucky, at trees and a view, or he can gaze out at a black wall. He can write poems, plays, or novels, as I do. All these differences come after the crucial task of sitting down at the table and patiently turning inwards. To write is to turn this inward gaze into words, to study the world into which that person passes when he retires into himself, and to do so with patience, obstinacy, and joy. As I sit at my table, for days, months, years, slowly adding new words to the empty page, I feel as if I am creating a new world, as if I am bringing into being that other person inside me, in the same way someone might build a bridge or a dome, stone by stone. The stones we writers use are words. As we hold them in our hands, sensing the ways in which each of them is connected to the others, looking at them sometimes from afar, sometimes almost caressing them with our fingers and the tips of our pens, weighing them, moving them around, year in and year out, patiently and hopefully, we create new worlds.

The writer's secret is not inspiration – for it is never clear where it comes from – it is his stubbornness, his patience. That lovely Turkish saying – to dig a well with a needle – seems to me to have been said with writers in mind. In the old stories, I love the patience of Ferhat, who digs through mountains for his love – and I understand it, too. In my novel, My Name is Red, when I wrote about the old Persian miniaturists who had drawn the same horse with the same passion for so many years, memorising each stroke, that they could recreate that beautiful horse even with their eyes closed, I knew I was talking about the writing profession, and my own life. If a writer is to tell his own story – tell it slowly, and as if it were a story about other people – if he is to feel the power of the story rise up inside him, if he is to sit down at a table and patiently give himself over to this art – this craft – he must first have been given some hope. The angel of inspiration (who pays regular visits to some and rarely calls on others) favours the hopeful and the confident, and it is when a writer feels most lonely, when he feels most doubtful about his efforts, his dreams, and the value of his writing – when he thinks his story is only his story – it is at such moments that the angel chooses to reveal to him stories, images and dreams that will draw out the world he wishes to build. If I think back on the books to which I have devoted my entire life, I am most surprised by those moments when I have felt as if the sentences, dreams, and pages that have made me so ecstatically happy have not come from my own imagination – that another power has found them and generously presented them to me.

I was afraid of opening my father's suitcase and reading his notebooks because I knew that he would not tolerate the difficulties I had endured, that it was not solitude he loved but mixing with friends, crowds, salons, jokes, company. But later my thoughts took a different turn. These thoughts, these dreams of renunciation and patience, were prejudices I had derived from my own life and my own experience as a writer. There were plenty of brilliant writers who wrote surrounded by crowds and family life, in the glow of company and happy chatter. In addition, my father had, when we were young, tired of the monotony of family life, and left us to go to Paris, where – like so many writers – he'd sat in his hotel room filling notebooks. I knew, too, that some of those very notebooks were in this suitcase, because during the years before he brought it to me, my father had finally begun to talk to me about that period in his life. He spoke about those years even when I was a child, but he would not mention his vulnerabilities, his dreams of becoming a writer, or the questions of identity that had plagued him in his hotel room. He would tell me instead about all the times he'd seen Sartre on the pavements of Paris, about the books he'd read and the films he'd seen, all with the elated sincerity of someone imparting very important news. When I became a writer, I never forgot that it was partly thanks to the fact that I had a father who would talk of world writers so much more than he spoke of pashas or great religious leaders. So perhaps I had to read my father's notebooks with this in mind, and remembering how indebted I was to his large library. I had to bear in mind that when he was living with us, my father, like me, enjoyed being alone with his books and his thoughts – and not pay too much attention to the literary quality of his writing.

But as I gazed so anxiously at the suitcase my father had bequeathed me, I also felt that this was the very thing I would not be able to do. My father would sometimes stretch out on the divan in front of his books, abandon the book in his hand, or the magazine and drift off into a dream, lose himself for the longest time in his thoughts. When I saw on his face an expression so very different from the one he wore amid the joking, teasing, and bickering of family life – when I saw the first signs of an inward gaze – I would, especially during my childhood and my early youth, understand, with trepidation, that he was dis*******. Now, so many years later, I know that this dis******* is the basic trait that turns a person into a writer. To become a writer, patience and toil are not enough: we must first feel compelled to escape crowds, company, the stuff of ordinary, everyday life, and shut ourselves up in a room. We wish for patience and hope so that we can create a deep world in our writing. But the desire to shut oneself up in a room is what pushes us into action. The precursor of this sort of independent writer – who reads his books to his heart's *******, and who, by listening only to the voice of his own conscience, disputes with other's words, who, by entering into conversation with his books develops his own thoughts, and his own world – was most certainly Montaigne, in the earliest days of modern literature. Montaigne was a writer to whom my father returned often, a writer he recommended to me. I would like to see myself as belonging to the tradition of writers who – wherever they are in the world, in the East or in the West – cut themselves off from society, and shut themselves up with their books in their room. The starting point of true literature is the man who shuts himself up in his room with his books.

But once we shut ourselves away, we soon discover that we are not as alone as we thought. We are in the company of the words of those who came before us, of other people's stories, other people's books, other people's words, the thing we call tradition. I believe literature to be the most valuable hoard that humanity has gathered in its quest to understand itself. Societies, tribes, and peoples grow more intelligent, richer, and more advanced as they pay attention to the troubled words of their authors, and, as we all know, the burning of books and the denigration of writers are both signals that dark and improvident times are upon us. But literature is never just a national concern. The writer who shuts himself up in a room and first goes on a journey inside himself will, over the years, discover literature's eternal rule: he must have the artistry to tell his own stories as if they were other people's stories, and to tell other people's stories as if they were his own, for this is what literature is. But we must first travel through other people's stories and books.

My father had a good library – 1 500 volumes in all – more than enough for a writer. By the age of 22, I had perhaps not read them all, but I was familiar with each book – I knew which were important, which were light but easy to read, which were classics, which an essential part of any education, which were forgettable but amusing accounts of local history, and which French authors my father rated very highly. Sometimes I would look at this library from a distance and imagine that one day, in a different house, I would build my own library, an even better library – build myself a world. When I looked at my father's library from afar, it seemed to me to be a small picture of the real world. But this was a world seen from our own corner, from Istanbul. The library was evidence of this. My father had built his library from his trips abroad, mostly with books from Paris and America, but also with books bought from the shops that sold books in foreign languages in the 40s and 50s and Istanbul's old and new booksellers, whom I also knew. My world is a mixture of the local – the national – and the West. In the 70s, I, too, began, somewhat ambitiously, to build my own library. I had not quite decided to become a writer – as I related in Istanbul, I had come to feel that I would not, after all, become a painter, but I was not sure what path my life would take. There was inside me a relentless curiosity, a hope-driven desire to read and learn, but at the same time I felt that my life was in some way lacking, that I would not be able to live like others. Part of this feeling was connected to what I felt when I gazed at my father's library – to be living far from the centre of things, as all of us who lived in Istanbul in those days were made to feel, that feeling of living in the provinces. There was another reason for feeling anxious and somehow lacking, for I knew only too well that I lived in a country that showed little interest in its artists – be they painters or writers – and that gave them no hope. In the 70s, when I would take the money my father gave me and greedily buy faded, dusty, dog-eared books from Istanbul's old booksellers, I would be as affected by the pitiable state of these second-hand bookstores – and by the despairing dishevelment of the poor, bedraggled booksellers who laid out their wares on roadsides, in mosque courtyards, and in the niches of crumbling walls – as I was by their books.

As for my place in the world – in life, as in literature, my basic feeling was that I was 'not in the centre'. In the centre of the world, there was a life richer and more exciting than our own, and with all of Istanbul, all of Turkey, I was outside it. Today I think that I share this feeling with most people in the world. In the same way, there was a world literature, and its centre, too, was very far away from me. Actually what I had in mind was Western, not world, literature, and we Turks were outside it. My father's library was evidence of this. At one end, there were Istanbul's books – our literature, our local world, in all its beloved detail – and at the other end were the books from this other, Western, world, to which our own bore no resemblance, to which our lack of resemblance gave us both pain and hope. To write, to read, was like leaving one world to find consolation in the other world's otherness, the strange and the wondrous. I felt that my father had read novels to escape his life and flee to the West – just as I would do later. Or it seemed to me that books in those days were things we picked up to escape our own culture, which we found so lacking. It wasn't just by reading that we left our Istanbul lives to travel West – it was by writing, too. To fill those notebooks of his, my father had gone to Paris, shut himself up in his room, and then brought his writings back to Turkey. As I gazed at my father's suitcase, it seemed to me that this was what was causing me disquiet. After working in a room for 25 years to survive as a writer in Turkey, it galled me to see my father hide his deep thoughts inside this suitcase, to act as if writing was work that had to be done in secret, far from the eyes of society, the state, the people. Perhaps this was the main reason why I felt angry at my father for not taking literature as seriously as I did.

Actually I was angry at my father because he had not led a life like mine, because he had never quarrelled with his life, and had spent his life happily laughing with his friends and his loved ones. But part of me knew that I could also say that I was not so much 'angry' as 'jealous', that the second word was more accurate, and this, too, made me uneasy. That would be when I would ask myself in my usual scornful, angry voice: 'What is happiness?' Was happiness thinking that I lived a deep life in that lonely room? Or was happiness leading a comfortable life in society, believing in the same things as everyone else, or acting as if you did? Was it happiness, or unhappiness, to go through life writing in secret, while seeming to be in harmony with all around one? But these were overly ill-tempered questions. Wherever had I got this idea that the measure of a good life was happiness? People, papers, everyone acted as if the most important measure of a life was happiness. Did this alone not suggest that it might be worth trying to find out if the exact opposite was true? After all, my father had run away from his family so many times – how well did I know him, and how well could I say I understood his disquiet?

So this was what was driving me when I first opened my father's suitcase. Did my father have a secret, an unhappiness in his life about which I knew nothing, something he could only endure by pouring it into his writing? As soon as I opened the suitcase, I recalled its scent of travel, recognised several notebooks, and noted that my father had shown them to me years earlier, but without dwelling on them very long. Most of the notebooks I now took into my hands he had filled when he had left us and gone to Paris as a young man. Whereas I, like so many writers I admired – writers whose biographies I had read – wished to know what my father had written, and what he had thought, when he was the age I was now. It did not take me long to realise that I would find nothing like that here. What caused me most disquiet was when, here and there in my father's notebooks, I came upon a writerly voice. This was not my father's voice, I told myself; it wasn't authentic, or at least it did not belong to the man I'd known as my father. Underneath my fear that my father might not have been my father when he wrote, was a deeper fear: the fear that deep inside I was not authentic, that I would find nothing good in my father's writing, this increased my fear of finding my father to have been overly influenced by other writers and plunged me into a despair that had afflicted me so badly when I was young, casting my life, my very being, my desire to write, and my work into question. During my first ten years as a writer, I felt these anxieties more deeply, and even as I fought them off, I would sometimes fear that one day, I would have to admit to defeat – just as I had done with painting – and succumbing to disquiet, give up novel writing, too.

I have already mentioned the two essential feelings that rose up in me as I closed my father's suitcase and put it away: the sense of being marooned in the provinces, and the fear that I lacked authenticity. This was certainly not the first time they had made themselves felt. For years I had, in my reading and my writing, been studying, discovering, deepening these emotions, in all their variety and unintended consequences, their nerve endings, their triggers, and their many colours. Certainly my spirits had been jarred by the confusions, the sensitivities and the fleeting pains that life and books had sprung on me, most often as a young man. But it was only by writing books that I came to a fuller understanding of the problems of authenticity (as in My Name is Red and The Black Book) and the problems of life on the periphery (as in Snow and Istanbul). For me, to be a writer is to acknowledge the secret wounds that we carry inside us, the wounds so secret that we ourselves are barely aware of them, and to patiently explore them, know them, illuminate them, to own these pains and wounds, and to make them a conscious part of our spirits and our writing.

A writer talks of things that everyone knows but does not know they know. To explore this knowledge, and to watch it grow, is a pleasurable thing; the reader is visiting a world at once familiar and miraculous. When a writer shuts himself up in a room for years on end to hone his craft – to create a world – if he uses his secret wounds as his starting point, he is, whether he knows it or not, putting a great faith in humanity. My confidence comes from the belief that all human beings resemble each other, that others carry wounds like mine – that they will therefore understand. All true literature rises from this childish, hopeful certainty that all people resemble each other. When a writer shuts himself up in a room for years on end, with this gesture he suggests a single humanity, a world without a centre.

But as can be seen from my father's suitcase and the pale colours of our lives in Istanbul, the world did have a centre, and it was far away from us. In my books I have described in some detail how this basic fact evoked a Checkovian sense of provinciality, and how, by another route, it led to my questioning my authenticity. I know from experience that the great majority of people on this earth live with these same feelings, and that many suffer from an even deeper sense of insufficiency, lack of security and sense of degradation, than I do. Yes, the greatest dilemmas facing humanity are still landlessness, homelessness, and hunger ... But today our televisions and newspapers tell us about these fundamental problems more quickly and more simply than literature can ever do. What literature needs most to tell and investigate today are humanity's basic fears: the fear of being left outside, and the fear of counting for nothing, and the feelings of worthlessness that come with such fears; the collective humiliations, vulnerabilities, slights, grievances, sensitivities, and imagined insults, and the nationalist boasts and inflations that are their next of kind ... Whenever I am confronted by such sentiments, and by the irrational, overstated language in which they are usually expressed, I know they touch on a darkness inside me. We have often witnessed peoples, societies and nations outside the Western world – and I can identify with them easily – succumbing to fears that sometimes lead them to commit stupidities, all because of their fears of humiliation and their sensitivities. I also know that in the West – a world with which I can identify with the same ease – nations and peoples taking an excessive pride in their wealth, and in their having brought us the Renaissance, the Enlightenment, and Modernism, have, from time to time, succumbed to a self-satisfaction that is almost as stupid.

This means that my father was not the only one, that we all give too much importance to the idea of a world with a centre. Whereas the thing that compels us to shut ourselves up to write in our rooms for years on end is a faith in the opposite; the belief that one day our writings will be read and understood, because people all the world over resemble each other. But this, as I know from my own and my father's writing, is a troubled optimism, scarred by the anger of being consigned to the margins, of being left outside. The love and hate that Dostoyevsky felt towards the West all his life – I have felt this too, on many occasions. But if I have grasped an essential truth, if I have cause for optimism, it is because I have travelled with this great writer through his love-hate relationship with the West, to behold the other world he has built on the other side.

All writers who have devoted their lives to this task know this reality: whatever our original purpose, the world that we create after years and years of hopeful writing, will, in the end, move to other very different places. It will take us far away from the table at which we have worked with sadness or anger, take us to the other side of that sadness and anger, into another world. Could my father have not reached such a world himself? Like the land that slowly begins to take shape, slowly rising from the mist in all its colours like an island after a long sea journey, this other world enchants us. We are as beguiled as the western travellers who voyaged from the south to behold Istanbul rising from the mist. At the end of a journey begun in hope and curiosity, there lies before them a city of mosques and minarets, a medley of houses, streets, hills, bridges, and slopes, an entire world. Seeing it, we wish to enter into this world and lose ourselves inside it, just as we might a book. After sitting down at a table because we felt provincial, excluded, on the margins, angry, or deeply melancholic, we have found an entire world beyond these sentiments.

What I feel now is the opposite of what I felt as a child and a young man: for me the centre of the world is Istanbul. This is not just because I have lived there all my life, but because, for the last 33 years, I have been narrating its streets, its bridges, its people, its dogs, its houses, its mosques, its fountains, its strange heroes, its shops, its famous characters, its dark spots, its days and its nights, making them part of me, embracing them all. A point arrived when this world I had made with my own hands, this world that existed only in my head, was more real to me than the city in which I actually lived. That was when all these people and streets, objects and buildings would seem to begin to talk amongst themselves, and begin to interact in ways I had not anticipated, as if they lived not just in my imagination or my books, but for themselves. This world that I had created like a man digging a well with a needle would then seem truer than all else.

My father might also have discovered this kind of happiness during the years he spent writing, I thought as I gazed at my father's suitcase: I should not prejudge him. I was so grateful to him, after all: he'd never been a commanding, forbidding, overpowering, punishing, ordinary father, but a father who always left me free, always showed me the utmost respect. I had often thought that if I had, from time to time, been able to draw from my imagination, be it in freedom or childishness, it was because, unlike so many of my friends from childhood and youth, I had no fear of my father, and I had sometimes believed very deeply that I had been able to become a writer because my father had, in his youth, wished to be one, too. I had to read him with tolerance – seek to understand what he had written in those hotel rooms.

It was with these hopeful thoughts that I walked over to the suitcase, which was still sitting where my father had left it; using all my willpower, I read through a few manuscripts and notebooks. What had my father written about? I recall a few views from the windows of Parisian hotels, a few poems, paradoxes, analyses ... As I write I feel like someone who has just been in a traffic accident and is struggling to remember how it happened, while at the same time dreading the prospect of remembering too much. When I was a child, and my father and mother were on the brink of a quarrel – when they fell into one of those deadly silences – my father would at once turn on the radio, to change the mood, and the music would help us forget it all faster.

Let me change the mood with a few sweet words that will, I hope, serve as well as that music. As you know, the question we writers are asked most often, the favourite question, is; why do you write? I write because I have an innate need to write! I write because I can't do normal work like other people. I write because I want to read books like the ones I write. I write because I am angry at all of you, angry at everyone. I write because I love sitting in a room all day writing. I write because I can only partake in real life by changing it. I write because I want others, all of us, the whole world, to know what sort of life we lived, and continue to live, in Istanbul, in Turkey. I write because I love the smell of paper, pen, and ink. I write because I believe in literature, in the art of the novel, more than I believe in anything else. I write because it is a habit, a passion. I write because I am afraid of being forgotten. I write because I like the glory and interest that writing brings. I write to be alone. Perhaps I write because I hope to understand why I am so very, very angry at all of you, so very, very angry at everyone. I write because I like to be read. I write because once I have begun a novel, an essay, a page, I want to finish it. I write because everyone expects me to write. I write because I have a childish belief in the immortality of libraries, and in the way my books sit on the ****f. I write because it is exciting to turn all of life's beauties and riches into words. I write not to tell a story, but to compose a story. I write because I wish to escape from the foreboding that there is a place I must go but – just as in a dream – I can't quite get there. I write because I have never managed to be happy. I write to be happy.

A week after he came to my office and left me his suitcase, my father came to pay me another visit; as always, he brought me a bar of chocolate (he had forgotten I was 48 years old). As always, we chatted and laughed about life, politics and family gossip. A moment arrived when my father's eyes went to the corner where he had left his suitcase and saw that I had moved it. We looked each other in the eye. There followed a pressing silence. I did not tell him that I had opened the suitcase and tried to read its *******s; instead I looked away. But he understood. Just as I understood that he had understood. Just as he understood that I had understood that he had understood. But all this understanding only went so far as it can go in a few seconds. Because my father was a happy, easygoing man who had faith in himself: he smiled at me the way he always did. And as he left the house, he repeated all the lovely and encouraging things that he always said to me, like a father.

As always, I watched him leave, envying his happiness, his carefree and unflappable temperament. But I remember that on that day there was also a flash of joy inside me that made me ashamed. It was prompted by the thought that maybe I wasn't as comfortable in life as he was, maybe I had not led as happy or footloose a life as he had, but that I had devoted it to writing – you've understood ... I was ashamed to be thinking such things at my father's expense. Of all people, my father, who had never been the source of my pain – who had left me free. All this should remind us that writing and literature are intimately linked to a lack at the centre of our lives, and to our feelings of happiness and guilt.

But my story has a symmetry that immediately reminded me of something else that day, and that brought me an even deeper sense of guilt. Twenty-three years before my father left me his suitcase, and four years after I had decided, aged 22, to become a novelist, and, abandoning all else, shut myself up in a room, I finished my first novel, Cevdet Bey and Sons; with trembling hands I had given my father a typescript of the still unpublished novel, so that he could read it and tell me what he thought. This was not simply because I had confidence in his taste and his intellect: his opinion was very important to me because he, unlike my mother, had not opposed my wish to become a writer. At that point, my father was not with us, but far away. I waited impatiently for his return. When he arrived two weeks later, I ran to open the door. My father said nothing, but he at once threw his arms around me in a way that told me he had liked it very much. For a while, we were plunged into the sort of awkward silence that so often accompanies moments of great emotion. Then, when we had calmed down and begun to talk, my father resorted to highly charged and exaggerated language to express his confidence in me or my first novel: he told me that one day I would win the prize that I am here to receive with such great happiness.

He said this not because he was trying to convince me of his good opinion, or to set this prize as a goal; he said it like a Turkish father, giving support to his son, encouraging him by saying, 'One day you'll become a pasha!' For years, whenever he saw me, he would encourage me with the same words.

My father died in December 2002.

Today, as I stand before the Swedish Academy and the distinguished members who have awarded me this great prize – this great honour – and their distinguished guests, I dearly wish he could be amongst us.



Translation from Turkish by Maureen Freely
 
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