نقوس المهدي
كاتب
L'animal parlant est certes un animal social, mais il est surtout un être érotique. Les religions le savent, qui font de l'érotisme leur objet et leur essence, pour le meilleur et pour le pire. Seraient-elles des machines à produire de la morale en réprimant le sexe ? Ou bien seraient-elles des sublimations de l'érotisme, qui affleure dans les rituels, se faufile dans les écrits mystiques, et nourrit l'inconscient des fidèles à travers les arts qui le célèbrent, avec et contre les dogmes ? Et à ce titre, sont-elles une ressource psychique et interculturelle à réinterroger dans le malaise de la civilisation en perte de valeurs ?
Aujourd'hui, les modernes occidentaux fatigués de la « sessualité » – biologisée, judiciarisée, starisée, victimisée, banalisée – se ruent pour faire leurs emplettes de « spiritualités », privatisées elles aussi. Tandis que les hiérarchies religieuses se replient sur les fondamentaux, « la base » se fait plus tolérante envers les « gentils », les homos, les femmes... Un nouvel opium du peuple ?
Les sciences de l'homme et de la société ont beau « couper le fil » de cette « Tradition » (selon les vœux de Tocqueville et de Arendt) et désacraliser l'Homo religiosis (du Neandertal, 100000-35000 ans av. J.-C. à l'Homme moderne), elles n'ont en rien aboli la séduction qu'exerce le religieux, cet étrange carrefour où le sexe croise le sens.
D'emblée, dans l'histoire des protohumains, l'excitation sexuelle fait sens et la reproduction humaine se décline en clans, en familles. Énergie et sens sont toujours déjà transcendés par « le refoulement originel » (Freud) en attente de « valeurs ». Dans les grottes, les transes chamaniques, et en surface, les règles élémentaires de la parenté avec l'interdit de l'inceste. Pile et face, jamais l'un sans l'autre. Radicalement asociale, la sexualité sous toutes ses formes est captée, ressaisie par le divin: elle est sacrée. Même sous les voûtes du noir désir, la honte, ce degré zéro du psychisme, et la mort, sa compagne redoutée et défiée, retiennent le plaisir et scandent le geste officiant. L'homme de Lascaux, Chauvet ou Pech-Merl ne se peint pas, il inscrit sa présence par des traits, des nœuds et des « mains négatives ». Il projette ses pulsions dans la courses des chevaux ou mammouths, et dans cette vulve féminine géante surmontée d'une tête de bison.
Sexe
Illustration: Grotte Chauvet, 32000 av. J-C.
Arraché à la société vivante qu'il laisse à la surface, il dessine le secret de sa monstruosité essentielle, il crie, chante, danse et trace en se faisant animal et femme. (Colette l'incrédule vit et écrit cette même monstruosité essentielle qu'elle dit commencer « à la connivence avec la bête »). Et « meurt de ne pas mourir » (Thérèse d'Avila en témoigne, ainsi que les Exercices spirituels d'Ignace de Loyola, rejoignant la passion du Christ par l'application des sens).
Insoutenable tension entre passion et reproduction, l'espace psychique retors de l'Homo sapiens et religiosis, qui n'a rien d'un enchantement, compose avec l'impossible (la mort, la différence sexuelle) et se perpétue en se modulant au long de l'histoire religieuse (chamanisme, polythéismes, monothéismes).
Avec la psychanalyse, qui n'est pas un nihilisme, l'érotisme est devenu le laboratoire d'une constante anthropologique : le besoin de croire, en doublure du désir de savoir. Georges Bataille y avait insisté, en pure perte, devant l'humanité post-totalitaire et post-atomique, déjà embarquée dans cette négation de l'érotisme qu'est le sexe libérable et gérable. Lisez, écoutez, regardez : c'est la sublimation des pulsions qui est érotique, et seule l'épure des fantasmes dans la justesse des symboles et des signes mène la jouissance au sublime : fruitio Dei. Telle est la vérité qui s'élabore dans l'expérience religieuse et se sépare d'elle, des fresques préhistoriques aux messes de Bach, du pinceau de Picasso au divan de Freud. En bord à bord avec l'abjection qui – lorsqu'elle explose en pédophilie ou en lapidation – ne s'explique pas seulement par les excès des institutions, mais révèle les limites et les erreurs intrinsèques à la divine cohabitation avec le sexe.
La sécularisation dénonce à juste titre les abus répressifs et obscurantistes des religions, le sexisme des institutions religieuses, l'emphase sur le désir de « père », et la fascination, la peur, la subordination ou la persécution de la femme et de la mère. Le temps est venu d'ajouter à ce combat un autre, non moins difficile et de longue haleine : la « transvaluation » (Nieztsche) des Traditions, en allant au cœur de cette captation de l'érotisme dans laquelle elles excellent.
Certes, les sociétés à forte survivance matrilinéaire et matrilocale célèbrent des divinités féminines (dans l'hindouisme et le tantrisme) ; on exalte la bipolarité universelle dans des orgies linga-yoni ; le yin-yang du taoïsme donne libre cours aux rites hiérogamiques et infiltre le confucianisme ; et il existe encore des sociétés « sans père ni mari » (les Na) en Chine actuelle. Mais la réalité suprême, le brahmane, est neutre ; le bouddhisme, qui déconseille l'ascèse en s'efforçant de renoncer au désir supposé cause de douleur, se détache de la vie et de l'amour en se montrant radicalement misogyne. La pratique et la maîtrise de l'érotisme religieux sont partout affaire d'hommes.
L'Éternel lui-même se présente comme mâle et père. Pourtant, au début de la Bible, Dieu est masculin et féminin : la Sagesse, dimension féminine et maternelle, protège le trône et l'intimité de Yahvé ; et l'alliance d'Adam avec lui (demouth) confère ainsi une sorte de bisexualité au premier homme (tandis que celle d'Eve, « la vie », dissimulée dans les impérieux pouvoirs des reines bibliques, attendra le féminisme). Très vite, Adam le Terrien (adamah) se voit doté d'une femme issue de sa côte, pour lui faire société et qui le conduit à la faute : bien qu'indispensable « aide » et « vis-à-vis », Eve l'interlocutrice n'est pas moins nékéva , la « trouée». Par la circoncision, Yahvé n'élit que le bébé mâle ; les filles et les femmes restant derrière les rideaux ou au balcon de la synagogue. Ce déséquilibre n'est pas moins cadré par le pacte matrimonial qui élève la sexualité au rang de spiritualité, l'alliance avec Yahvé étant à l'image de l'alliance entre époux. Abritant ainsi un érotisme béni, le couple juif procréatif ouvre la voie à la transformation des passions génitales en amour de la lecture et de l'interprétation : d'exil en exil, « se connaître » équivaut à « se parler » et à « faire l'amour » dans la Aggada, tandis que la spiritualité la plus intériorisée et sexuellement différenciée du Cantique des cantiques s'énonce par la bouche d'une femme, la Sulamite.
Les chrétiens, désignés comme « le peuple qui aime le corps », poursuivront autrement l'analyse de ce nœud érotique qu'est la co-présence de la chair et du sens chez les êtres parlants : le Verbe devenu Chair, « scandale pour les Grecs, folie pour les juifs ». Plus qu'aucune autre religion, le christianisme dévoile l'amour à mort entre le père et le fils, pour le conduire aux prouesses théologiques et aux sublimations artistiques qui ont fait sa gloire. La passion christique dominant, seules les entrailles maternelles de Marie sont sanctifiées, afin qu'à l'ombre de sa virginité le mariage chrétien se construise comme un garde-fou, remède contre le péché de chair. Pourtant, l'égalité entre les sexes est reconnue pour la première fois par saint Paul (I Cor 7, 3-5 donne à la femme autant de droits sur le corps de son mari que du mari sur le sien), mais saint Jérôme, saint Anselme, inspirés par le stoïcisme de Chrysippe et de Sénèque, prescrivent, pour des siècles, que « rien n'est plus honteux que d'aimer sa femme avec autant de passion qu'on ferait d'une adultère ». A contre-courant de cette spiritualité désincarnée, et en s'appuyant sur l'alliance consacrée entre le verbe et la chair, le sexe et le sens – alliance cultivée, occultée, persécutée et indéfectiblement rénovée par des mystiques hommes et femmes, en exclusion interne aux dogmes officiels, et en passant par l'éclosion de la Renaissance et l'explosion baroque –, l'émancipation des femmes pourra aussi s'esquisser et prendre corps, avant de s'accélérer avec les Lumières.
Rien ne prouve qu'une femme doive accéder aux fonctions sacerdotales pour se construire comme un sujet libre et créatif. Ce qui est sûr cependant, c'est que c'est bien l'émergence de l'érotisme féminin qui radicalise de nos jours la crise des institutions religieuses, notamment dans les monothéismes, et continue de menacer en profondeur les fondations de toutes les religions. D'où la montée réactionnelle des intégrismes qu'on observe partout dans le monde. Peut-être parce que, sous prétexte de « protéger » la sacro-sainte « nudité » féminine, c'est la jouissance et la créativité féminines dans l'alliance corps/sens qu'on redoute, envie, emmure et persécute ? Car la liberté est risquée, et beaucoup – femmes comprises – préfèrent se voiler la face, aux sens propre et figuré, et se contenter de rêver qu'une illusoire et provisoire sécurité puisse assurer leur rôle dans la reproduction de l'espèce. Don de Dieu selon le Coran, l'appétit sexuel l'est certainement pour Mahomet, ainsi que pour les hommes polygames à sa suite et dans l'infini érotisme de la grande poésie mystique arabe. Pas pour les femmes, dont le type même de voile est laissé à l'appréciation de l'imam, du père, du frère ou de la famille.
Au contraire, et à contre-courant de ces tendances intégristes, la force civilisationnelle du Dieu Un et Trinitaire chrétien aura été de construire le Sujet dans l'Homme. Associés par la prière à cette paternité symbolique, qui garantit la loi et l'amour dans la Bible et les Évangiles, l'homme et la femme sont appelés à devenir une personne : pathétique cohérence subjective en quête d'universalité et de droits. Force est de constater que ces droits de la personne se présentent aujourd'hui comme le seul modèle universel, susceptible de fédérer l'interculturalité émergente.
La paternité symbolique qui aimante cette singularité partageable serait-elle une nécessité structurelle, ou un transitoire réglage des structures de la parenté en pleine recomposition ? L'érotisme masculin tente de la réinventer aujourd'hui, avec et par-delà les bouffées du libertinage ou de l'homoparentalité. Le post-féminisme lui-même s'y intéresse, rejetant la domination phallocrate, mais préférant semble-t-il l'exquise différence entre les deux sexes à la plate égalité homme-femme. Pendant ce temps, des spécialistes se demandent pourquoi, en revanche, l'Islam ne « fabrique » pas de sujets, mais seulement des communautés »?
La sécularisation ne saurait relever le défi des religions qu'en reprenant, repensant, transvaluant cette face cachée de leur emprise qu'est l'érotisme. La psychanalyse serait-elle la seule à s'en apercevoir ? On ne le lui pardonnera jamais d'oser réécrire le roman de l'érotisme.
JULIA KRISTEVA
L'érotisme, entre chair et sens in Le Point-Références, 28 octobre 2010
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لوحة روميو وجولييت
للفنان فرانك برنارد ديكسي
محمد حجيري
Aujourd'hui, les modernes occidentaux fatigués de la « sessualité » – biologisée, judiciarisée, starisée, victimisée, banalisée – se ruent pour faire leurs emplettes de « spiritualités », privatisées elles aussi. Tandis que les hiérarchies religieuses se replient sur les fondamentaux, « la base » se fait plus tolérante envers les « gentils », les homos, les femmes... Un nouvel opium du peuple ?
Les sciences de l'homme et de la société ont beau « couper le fil » de cette « Tradition » (selon les vœux de Tocqueville et de Arendt) et désacraliser l'Homo religiosis (du Neandertal, 100000-35000 ans av. J.-C. à l'Homme moderne), elles n'ont en rien aboli la séduction qu'exerce le religieux, cet étrange carrefour où le sexe croise le sens.
D'emblée, dans l'histoire des protohumains, l'excitation sexuelle fait sens et la reproduction humaine se décline en clans, en familles. Énergie et sens sont toujours déjà transcendés par « le refoulement originel » (Freud) en attente de « valeurs ». Dans les grottes, les transes chamaniques, et en surface, les règles élémentaires de la parenté avec l'interdit de l'inceste. Pile et face, jamais l'un sans l'autre. Radicalement asociale, la sexualité sous toutes ses formes est captée, ressaisie par le divin: elle est sacrée. Même sous les voûtes du noir désir, la honte, ce degré zéro du psychisme, et la mort, sa compagne redoutée et défiée, retiennent le plaisir et scandent le geste officiant. L'homme de Lascaux, Chauvet ou Pech-Merl ne se peint pas, il inscrit sa présence par des traits, des nœuds et des « mains négatives ». Il projette ses pulsions dans la courses des chevaux ou mammouths, et dans cette vulve féminine géante surmontée d'une tête de bison.
Sexe
Illustration: Grotte Chauvet, 32000 av. J-C.
Arraché à la société vivante qu'il laisse à la surface, il dessine le secret de sa monstruosité essentielle, il crie, chante, danse et trace en se faisant animal et femme. (Colette l'incrédule vit et écrit cette même monstruosité essentielle qu'elle dit commencer « à la connivence avec la bête »). Et « meurt de ne pas mourir » (Thérèse d'Avila en témoigne, ainsi que les Exercices spirituels d'Ignace de Loyola, rejoignant la passion du Christ par l'application des sens).
Insoutenable tension entre passion et reproduction, l'espace psychique retors de l'Homo sapiens et religiosis, qui n'a rien d'un enchantement, compose avec l'impossible (la mort, la différence sexuelle) et se perpétue en se modulant au long de l'histoire religieuse (chamanisme, polythéismes, monothéismes).
Avec la psychanalyse, qui n'est pas un nihilisme, l'érotisme est devenu le laboratoire d'une constante anthropologique : le besoin de croire, en doublure du désir de savoir. Georges Bataille y avait insisté, en pure perte, devant l'humanité post-totalitaire et post-atomique, déjà embarquée dans cette négation de l'érotisme qu'est le sexe libérable et gérable. Lisez, écoutez, regardez : c'est la sublimation des pulsions qui est érotique, et seule l'épure des fantasmes dans la justesse des symboles et des signes mène la jouissance au sublime : fruitio Dei. Telle est la vérité qui s'élabore dans l'expérience religieuse et se sépare d'elle, des fresques préhistoriques aux messes de Bach, du pinceau de Picasso au divan de Freud. En bord à bord avec l'abjection qui – lorsqu'elle explose en pédophilie ou en lapidation – ne s'explique pas seulement par les excès des institutions, mais révèle les limites et les erreurs intrinsèques à la divine cohabitation avec le sexe.
La sécularisation dénonce à juste titre les abus répressifs et obscurantistes des religions, le sexisme des institutions religieuses, l'emphase sur le désir de « père », et la fascination, la peur, la subordination ou la persécution de la femme et de la mère. Le temps est venu d'ajouter à ce combat un autre, non moins difficile et de longue haleine : la « transvaluation » (Nieztsche) des Traditions, en allant au cœur de cette captation de l'érotisme dans laquelle elles excellent.
Certes, les sociétés à forte survivance matrilinéaire et matrilocale célèbrent des divinités féminines (dans l'hindouisme et le tantrisme) ; on exalte la bipolarité universelle dans des orgies linga-yoni ; le yin-yang du taoïsme donne libre cours aux rites hiérogamiques et infiltre le confucianisme ; et il existe encore des sociétés « sans père ni mari » (les Na) en Chine actuelle. Mais la réalité suprême, le brahmane, est neutre ; le bouddhisme, qui déconseille l'ascèse en s'efforçant de renoncer au désir supposé cause de douleur, se détache de la vie et de l'amour en se montrant radicalement misogyne. La pratique et la maîtrise de l'érotisme religieux sont partout affaire d'hommes.
L'Éternel lui-même se présente comme mâle et père. Pourtant, au début de la Bible, Dieu est masculin et féminin : la Sagesse, dimension féminine et maternelle, protège le trône et l'intimité de Yahvé ; et l'alliance d'Adam avec lui (demouth) confère ainsi une sorte de bisexualité au premier homme (tandis que celle d'Eve, « la vie », dissimulée dans les impérieux pouvoirs des reines bibliques, attendra le féminisme). Très vite, Adam le Terrien (adamah) se voit doté d'une femme issue de sa côte, pour lui faire société et qui le conduit à la faute : bien qu'indispensable « aide » et « vis-à-vis », Eve l'interlocutrice n'est pas moins nékéva , la « trouée». Par la circoncision, Yahvé n'élit que le bébé mâle ; les filles et les femmes restant derrière les rideaux ou au balcon de la synagogue. Ce déséquilibre n'est pas moins cadré par le pacte matrimonial qui élève la sexualité au rang de spiritualité, l'alliance avec Yahvé étant à l'image de l'alliance entre époux. Abritant ainsi un érotisme béni, le couple juif procréatif ouvre la voie à la transformation des passions génitales en amour de la lecture et de l'interprétation : d'exil en exil, « se connaître » équivaut à « se parler » et à « faire l'amour » dans la Aggada, tandis que la spiritualité la plus intériorisée et sexuellement différenciée du Cantique des cantiques s'énonce par la bouche d'une femme, la Sulamite.
Les chrétiens, désignés comme « le peuple qui aime le corps », poursuivront autrement l'analyse de ce nœud érotique qu'est la co-présence de la chair et du sens chez les êtres parlants : le Verbe devenu Chair, « scandale pour les Grecs, folie pour les juifs ». Plus qu'aucune autre religion, le christianisme dévoile l'amour à mort entre le père et le fils, pour le conduire aux prouesses théologiques et aux sublimations artistiques qui ont fait sa gloire. La passion christique dominant, seules les entrailles maternelles de Marie sont sanctifiées, afin qu'à l'ombre de sa virginité le mariage chrétien se construise comme un garde-fou, remède contre le péché de chair. Pourtant, l'égalité entre les sexes est reconnue pour la première fois par saint Paul (I Cor 7, 3-5 donne à la femme autant de droits sur le corps de son mari que du mari sur le sien), mais saint Jérôme, saint Anselme, inspirés par le stoïcisme de Chrysippe et de Sénèque, prescrivent, pour des siècles, que « rien n'est plus honteux que d'aimer sa femme avec autant de passion qu'on ferait d'une adultère ». A contre-courant de cette spiritualité désincarnée, et en s'appuyant sur l'alliance consacrée entre le verbe et la chair, le sexe et le sens – alliance cultivée, occultée, persécutée et indéfectiblement rénovée par des mystiques hommes et femmes, en exclusion interne aux dogmes officiels, et en passant par l'éclosion de la Renaissance et l'explosion baroque –, l'émancipation des femmes pourra aussi s'esquisser et prendre corps, avant de s'accélérer avec les Lumières.
Rien ne prouve qu'une femme doive accéder aux fonctions sacerdotales pour se construire comme un sujet libre et créatif. Ce qui est sûr cependant, c'est que c'est bien l'émergence de l'érotisme féminin qui radicalise de nos jours la crise des institutions religieuses, notamment dans les monothéismes, et continue de menacer en profondeur les fondations de toutes les religions. D'où la montée réactionnelle des intégrismes qu'on observe partout dans le monde. Peut-être parce que, sous prétexte de « protéger » la sacro-sainte « nudité » féminine, c'est la jouissance et la créativité féminines dans l'alliance corps/sens qu'on redoute, envie, emmure et persécute ? Car la liberté est risquée, et beaucoup – femmes comprises – préfèrent se voiler la face, aux sens propre et figuré, et se contenter de rêver qu'une illusoire et provisoire sécurité puisse assurer leur rôle dans la reproduction de l'espèce. Don de Dieu selon le Coran, l'appétit sexuel l'est certainement pour Mahomet, ainsi que pour les hommes polygames à sa suite et dans l'infini érotisme de la grande poésie mystique arabe. Pas pour les femmes, dont le type même de voile est laissé à l'appréciation de l'imam, du père, du frère ou de la famille.
Au contraire, et à contre-courant de ces tendances intégristes, la force civilisationnelle du Dieu Un et Trinitaire chrétien aura été de construire le Sujet dans l'Homme. Associés par la prière à cette paternité symbolique, qui garantit la loi et l'amour dans la Bible et les Évangiles, l'homme et la femme sont appelés à devenir une personne : pathétique cohérence subjective en quête d'universalité et de droits. Force est de constater que ces droits de la personne se présentent aujourd'hui comme le seul modèle universel, susceptible de fédérer l'interculturalité émergente.
La paternité symbolique qui aimante cette singularité partageable serait-elle une nécessité structurelle, ou un transitoire réglage des structures de la parenté en pleine recomposition ? L'érotisme masculin tente de la réinventer aujourd'hui, avec et par-delà les bouffées du libertinage ou de l'homoparentalité. Le post-féminisme lui-même s'y intéresse, rejetant la domination phallocrate, mais préférant semble-t-il l'exquise différence entre les deux sexes à la plate égalité homme-femme. Pendant ce temps, des spécialistes se demandent pourquoi, en revanche, l'Islam ne « fabrique » pas de sujets, mais seulement des communautés »?
La sécularisation ne saurait relever le défi des religions qu'en reprenant, repensant, transvaluant cette face cachée de leur emprise qu'est l'érotisme. La psychanalyse serait-elle la seule à s'en apercevoir ? On ne le lui pardonnera jamais d'oser réécrire le roman de l'érotisme.
JULIA KRISTEVA
L'érotisme, entre chair et sens in Le Point-Références, 28 octobre 2010
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لوحة روميو وجولييت
للفنان فرانك برنارد ديكسي
محمد حجيري