نقوس المهدي
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Mais quand Sett Boudour vit, au bout de deux jours, que son époux ne revenait pas, au lieu de s'affoler comme toute femme l'eût fait en pareille circonstance, elle trouva dans le malheur une fermeté dont les personnes de son sexe sont d'ordinaire bien dénuées. Elle ne voulut rien dire à personne au sujet de cette disparition, de peur d'être trahie ou mal servie par ses esclaves ; elle enfonça sa douleur dans son âme, et défendit à la jeune suivante qui la servait d'en rien dire. Puis, comme elle savait combien sa ressemblance était parfaite avec Kamaralzamân, elle quitta aussitôt ses habits de femme et prit dans la caisse les effets de Kamaralzamân et commença à s'en vêtir.
Elle mit d'abord une belle robe rayée, bien ajustée à la taille et laissant le cou dégagé ; elle s'entoura d'une ceinture en filigrane d'or où elle passa un poignard à poignée de jade incrustée de rubis ; elle s'enveloppa la tête d'un foulard de soie multicolore qu'elle serra autour de son front avec une triple corde en poil soyeux de jeune chameau et, ces préparatifs faits, elle prit un fouet à la main, se cambra les reins et ordonna à sa jeune esclave de s'habiller des vêtements qu'elle venait elle-même de quitter et de marcher derrière elle. De la sorte tout le monde, en voyant la suivante, pouvait se dire : " C'est Sett Boudour ! " Elle sortit alors de la tente et donna le signal du départ.
Sett Boudour, déguisée de la sorte en Kamaralzamân, se mit à voyager, suivie de son escorte, pendant des jours et des jours, jusqu'à ce qu'elle fût arrivée devant une ville située sur le bord de la mer. Elle fit alors dresser les tentes aux portes de la ville et demanda : " Quelle est cette ville ? " On lui répondit : " C'est la capitale de l'île d'Ebène. " Elle demanda : " Et qui en est le roi ? " On lui répondit : " Il s'appelle le roi Armanos. Elle demanda : " A-t-il des enfants ?" On lui répondit : " Il n'a qu'une fille unique, la plus belle vierge du royaume, et son nom est Haïat-Alnefous...
A ce moment de sa narration, Schahrazade vit apparaître le matin et discrète, se tut.
Mais lorsque fut la deux cent neuvième nuit. Elle dit :
... La plus belle vierge du royaume, et son nom est Haïat-Alnefous. "
Alors Sett Boudour envoya un courrier porteur d'une lettre au roi Armanos, pour lui annoncer son arrivée ; et dans cette lettre elle se faisait toujours passer pour le prince Kamaralzamân, fils du roi Shahramân, il fut heureux de pouvoir faire les honneurs de sa ville au prince Kamaralzamân. Aussitôt, suivi d'un cortège composé des principaux de sa cour, il alla vers les tentes, au-devant de Sett Boudour, et la reçut avec tous les égards et les honneurs qu'il croyait rendre au fils d'un roi ami. Et, malgré les hésitations de Boudour qui essayait de ne pas accepter le logement qu'il lui offrait gracieusement au palais, le roi Armanos la décida à l'accompagner. Et ils firent ensemble leur entrée en ville, solennellement. Et, trois jours durant, des festins magnifiques régalèrent toute la cour, avec une somptuosité extraordinaire.
Alors seulement le roi Armanos se réunit avec Sett Boudour pour lui parler de son voyage et lui demander ce qu'elle comptait faire. Or, ce jour-là, Sett Boudour, toujours sous le déguisement de Kamaralzamân, était allée au hammam du palais, où elle n'avait voulu accepter les services d'aucun masseur. Et elle en était sortie si miraculeusement belle et si brillante, et ses charmes avaient un attrait tellement surnaturel sous cet aspect d'adolescent, que tout le monde, sur son passage, s'arrêtait de respirer et bénissait le Créateur.
Donc le roi Armanos vint s'asseoir à côté de Sett Boudour et causa avec elle pendant un long espace de temps. Et il fut tellement subjugué par ses charmes et son éloquence qu'il lui dit : " Mon fils, en vérité, c'est Allah lui-même qui t'envoie dans mon royaume, pour que tu sois la consolation de mes vieux jours et me tiennes lieu de fils à qui je puisse léguer mon trône ! Veux-tu donc, mon enfant, m'accorder cette consolation, en acceptant de te marier avec ma fille unique Haïat-Alnefous ? Nul au monde n'est aussi digne que toi de ses destinées et de sa beauté ! Elle vient à peine d'être nubile, car le mois dernier elle est entrée dans sa quinzième année. C'est une fleur exquise que j'aimerais te voir respirer ! Accepte la, mon fils, et tout de suite j'abdique en ta faveur le trône dont mon grand âge ne me permet plus de supporter les fatigantes charges ! "
Cette proposition et cette offre généreuse si spontanée jetèrent la princesse Boudour dans un embarras fort gênant. Elle ne sut d'abord que faire pour ne point trahir le trouble qui l'agitait ; et elle baissa les yeux et réfléchit un bon moment, tandis qu'une sueur froide lui glaçait le front. Elle pensa en elle-même : " Si je lui répondais que je suis déjà, en tant que Kamaralzamân, marié avec Sett Boudour, il me répondrait que le Livre permet quatre femmes légitimes ; et si je lui disais la vérité sur mon sexe, il serait capable de me forcer à me marier avec lui ; ou bien encore la nouvelle serait connue de tout le monde et j'en aurais une grande honte ; si je refusais cette offre paternelle, son affection se changerait en haine farouche contre moi, et il serait capable, une fois que j'aurais quitté son palais, de me tendre des embûches pour me faire périr. Il vaut donc mieux accepter la proposition, en laissant s'accomplir la destinée ! Et qui sait ce que l'insondable me cache ? En tous cas, en devenant roi, j'aurai acquis un royaume fort beau pour le céder à Kamaralzamân, à son retour. Mais pour ce qui est de la consommation de l'acte avec la jeune Haïat-Alnefous, mon épouse, il y aurait peut-être moyen, je réfléchirais. "
Donc elle releva la tête et, le visage coloré d'une rougeur que le roi attribua à une modestie et à un embarras compréhensibles chez un adolescent si candide, elle répondit : " Je suis le fils soumis qui répond par l'ouïe et l'obéissance au moindre des souhaits de son roi ! "
A ces paroles, le roi Armanos fut à la limite de l'épanouissement et voulut que la cérémonie du mariage eût lieu le jour même. Il commença par abdiquer le trône en faveur de Kamaralzamân, devant tous ses émirs, ses notables, ses officiers et ses chambellans ; il fit annoncer cet événement à toute la ville par les crieurs publics, et dépêcha des courriers par tout son empire pour annoncer la chose aux populations.
Alors une fête sans précédent fut organisée en un clin d'œil dans la ville et dans le palais, et, au milieu des cris de joies et au son des fifres et des cymbales; fut écrit le contrat de mariage du nouveau roi avec Haïat-Alnefous.
Le soir venu, la vieille reine, entourée de ses suivantes qui poussaient des " lu-lu-lu " de joie, amena la jeune épousée Haïat-Alnefous à Sett Boudour, dans son appartement : car elles la prenaient toujours pour Kamaralzamân. Et Sett Boudour, sous son aspect de roi adolescent, s'avança gentiment vers son épouse et lui releva, pour la première fois, la voilette du visage.
Alors toutes les assistantes, à la vue de ce couple si beau, furent si captivées qu'elles en pâlirent de désir et d'émoi.
La cérémonie terminée, la mère de Haïat-Alnefous et toutes les suivantes, après avoir formulé des milliers de vœux de félicité et après avoir allumé tous les flambeaux, se retirèrent discrètement et laissèrent les nouveaux mariés seuls dans la chambre nuptiale...
A ce moment de sa narration, Schahrazade vit apparaître le matin est discrète se tut.
Mais lorsque fut la deux cent dixième nuit. Elle dit :
... Les nouveaux mariés seuls dans la chambre nuptiale.
Sett Boudour fut charmée de l'aspect plein de fraîcheur de la jeune Haïat-Alnefous, et, d'un coup d'œil rapide, elle la jugea vraiment désirable avec ses grands yeux noirs effarés, son teint limpide, ses petits seins qui se dessinaient enfantins sous la gaze. Et Haïat-Alnefous sourit timidement d'avoir plu à son époux, bien qu'elle tremblât d'émotion contenue et baissât les yeux, osant à peine bouger sous ses voiles et ses pierreries.
Et elle aussi avait pu tout de même remarquer la beauté souveraine de cet adolescent aux joues vierges de poil qui lui paraissait plus parfait que les plus belles filles du palais. Aussi ce ne fut point sans être remuée dans tout son être qu'elle le vit tout doucement s'approcher et s'asseoir à côté d'elle sur le grand matelas étendu sur les tapis.
Sett Boudour prit les petites mains de la fillette dans ses mains et se pencha lentement et la baisa sur la bouche. Et Haïat-Alnefous n'osa pas lui rendre ce baiser si délicieux, mais ferma les yeux complètement et poussa un soupir de félicité profonde. Et Sett Boudour lui prit la tête dans la courbe de ses bras, l'appuya contre sa poitrine et, à mi-voix, lui chanta doucement des vers d'un rythme si berceur que l'enfant peu à peu s'assoupit avec, sur les lèvres, un sourire heureux.
Alors Sett Boudour lui enleva ses voiles et ses ornements, la coucha, et s'étendit près d'elle en la prenant dans ses bras. Et toutes deux s'endormirent ainsi jusqu'au matin.
A peine réveillée, Sett Boudour, qui s'était couchée avec presque tous ses vêtements et même avec son turban, se hâta de faire promptement de sommaires ablutions, vu qu'elle prenait ailleurs des bains nombreux en secret pour ne pas se trahir, s'orna de ses attributs royaux , et alla à la salle de justice recevoir les hommages de toutes la cour, régler les affaires, supprimer les avis, nommer et destituer. Entre autres suppressions qu'elle jugea urgentes, elle abolit les octrois, les douanes et les prisons, et distribua de grandes largesses aux soldats, au peuple et aux mosquées. Aussi l'aimèrent beaucoup tous ses nouveaux sujets et firent des vœux pour sa prospérité et sa longue vie.
Quant au roi Armanos et à son épouse, il se hâtèrent d'aller prendre des nouvelles de leur fille Haïat-Alnefous, et lui demandèrent si son époux avait été bien gentil, et si elle n'était pas trop fatiguée ; car ils ne voulaient pas d'abord l'interroger sur la question la plus importante. Haïat-Alnefous répondit : " Mon époux a été délicieux ! Il m'a baisée sur la bouche, et je me suis endormie dans ses bras, au rythme des chansons ! Ah ! Comme il est gentil ! " Alors Armanos dit : " C'est là tout ce qui s'est passé ma fille ? " Elle répondit : " Mais oui ! " Et la mère demanda : " Alors tu ne t'es même pas complètement déshabillée ? " Elle répondit : " Mais non ! " Alors le père et la mère se regardèrent, mais ne dirent plus rien ; puis il s'en allèrent. Et voilà pour eux !
Quant à Sett Boudour, une fois les affaires terminées, elle rentra dans son appartement retrouver Haïat-Alnefous, et lui demanda : " Que t'ont-ils dit, ma gentille, ton père et ta mère ? " Elle répondit : " Ils m'ont demandé pourquoi je ne m'étais pas déshabillée ! " Boudour répondit : " Qu'à cela ne tienne ! Je vais tout de suite t'y aider ! " Et, pièce par pièce, elle lui enleva tous ses vêtements, y compris la dernière chemise, et la prit toute nue dans ses bras et s'étendit avec elle sur le matelas.
Alors, bien doucement, Boudour déposa un baiser sur les beaux yeux de l'enfant, et lui demanda : " Haïat-Alnefous, mon agneau, dis-moi, aimes-tu beaucoup les hommes ? " Elle répondit : " Je n'en ai jamais vu, excepté, bien entendu les eunuques du palais. Mais il paraît que ce ne sont que des demi-hommes seulement ! Que leur manque-t-il donc pour être complets ? " Boudour répondit : " Juste ce qui te manque à toi, mon oeil ! " Haïat-Alnefous, surprise, répondit : " A moi ? Et que me manque-t-il, par Allah ? " Boudour répondit : " Un doigt ! "
A ces paroles, la petite Haïat-Alnefous, épouvantée, lança un cri étouffé et sortit ses deux mains de dessous la couverture et étendit ses dix doigts en les regardant avec des yeux dilatés par la terreur. Mais Boudour la serra contre elle et la baisa dans les cheveux et lui dit : " Par Allah ! ya Haïat-Alnefous, je plaisantais seulement ! " Et elle continua à la couvrir de baisers jusqu'à ce qu'elle l'eût complètement calmée. Alors elle lui dit : " Ma gentille, embrasse-moi ! " Et Haïat-Alnefous approcha ses lèvres fraîches des lèvres de Boudour, et toutes deux ainsi enlacées, s'endormirent jusqu'au matin.
A ce moment de sa narration Schahrazade vit apparaître le matin et discrète se tut.
Mais lorsque fut la deux cent onzième nuit, elle dit :
...Et toutes deux, ainsi enlacées, s'endormirent jusqu'au matin. Alors Boudour sortit présider aux affaires du royaume ; et le père et la mère de Haïat-Alnefous entrèrent prendre des nouvelles de leur fille.
Le rois Armanos, le premier demanda : " Eh bien, mon enfant, qu'Allah soit béni ! Je te vois encore sous la couverture ! n'es-tu pas trop brisée ? " Elle répondit " Mais pas du tout ! Je me suis bien reposée dans les bras de mon bel époux , qui cette fois m'a mise toute nue et m'a baisée sur tout le corps par petits baisers délicats. Ya Allah ! que c'était délicieux ! J'avais partout des fourmillements nombreux et des frissons ! Pourtant il m'a bien fait peur un moment en me disant qu'il me manquait un doigt ! Mais il plaisantait seulement. Aussi ses caresses m'ont-elles ensuite donné tant de plaisir, et ses mains étaient si douces sur ma peau nue, et ses lèvres sur mes lèvres je les sentais si chaudes et si pleines que je me suis ainsi oubliée jusqu'au matin, me croyant au paradis ! "
Alors la mère lui demanda : " Mais où sont les serviettes ? As-tu beaucoup perdu de ton sang, ma chérie ? " Et la jeune fille, étonnée, répondit : " Je n'ai rien perdu du tout ! "
A ces paroles, le père et la mère, à la limite du désespoir, se frappèrent le visage, en s'écriant : " O notre honte ! ô notre malheur ! pourquoi ton époux nous méprise-t-il, et te dédaigne-t-il à ce point ? "
Puis le roi peu à peu entra dans une grande colère et se retira en criant à son épouse d'une voix assez forte qui fut entendue par la petite : " Si la nuit prochaine Kamaralzamân ne remplit pas son devoir en prenant la virginité de notre fille et en sauvant ainsi notre honneur à tous, je saurai bien châtier son indignité ! Je le chasserai du palais, après l'avoir fait descendre du trône que je lui ai donné, et je ne sais même si je ne lui infligerai pas un châtiment encore plus terrible ! " Ayant dit ces paroles, le roi Armanos sortit de la chambre de sa fille consternée, suivi de son épouse dont le nez s'allongeait jusqu'à ses pieds.
Aussi lorsque, la nuit venue, Sett Boudour fut entrée dans la chambre de Haïat-Alnefous , elle la trouva toute triste, la tête enfouie dans les coussins et secouée de sanglots. Elle s'approcha d'elle et la baisa sur le front, lui essuya les larmes et l'interrogea sur le sujet de sa peine ; et Haïat-Alnefous lui dit d'une voix émue : " O seigneur aimé, mon père veut te reprendre le trône qu'il t'a donné et te renvoyer du palais ; et je ne sais ce qu'il veut encore te faire ! Et tout cela parce que tu ne veux pas prendre ma virginité, et sauver ainsi l'honneur de son nom et de sa race ! Il veut absolument que la chose soit faite cette nuit même ! Et moi je me confie entièrement à ton savoir, et je mets mon corps et toute mon âme entre tes mains ! Mais c'est à toi de décider ce qu'il me faut faire pour cela ! "
A ces paroles, Sett Boudour se dit : C'est le moment ! Je vois bien qu'il n'y a plus moyen de différer ! Je mets ma foi en Allah ! " Et elle dit à la jeune fille : " Mon oeil, m'aimes-tu beaucoup ? " Elle répondit : " Comme le ciel ! " Boudour la baisa sur la bouche et lui demanda : " Combien encore ? " Elle répondit, déjà frissonnante sous le baiser : " Je ne sais pas ! Mais beaucoup ! " Elle lui demanda encore : " Puisque tu m'aimes tant que cela, aurais-tu été heureuse si, au lieu d'être ton époux, j'avais été seulement ton frère ? " L'enfant battit des mains et répondit : " Je serais morte de bonheur ! " Boudour dit : " Et si j'avais été, ma gentille, non pas ton frère, mais ta sœur ; si j'avait été comme toi une jeune fille, au lieu d'être un jeune homme, m'aurais tu autant aimé ? " Haïat-Alnefous dit : " Encore plus, parce que j'aurais été toujours avec toi, j'aurais toujours joué avec toi, couché dans le même lit que toi, sans que nous nous séparions jamais ! " Alors Boudour serra la jeune fille tout contre elle et lui couvrit les yeux de baisers et lui dit : " Eh bien, Haïat-Alnefous, serais-tu capable de garder pour toi seule un secret, et de me donner ainsi une preuve de ton amour ? " La jeune fille s'écria : " Puisque je t'aime, tout m'est facile! "
Alors Boudour prit l'enfant dans ses bras et la tint sous ses lèvres à en perdre toutes deux la respiration, puis elle se leva, toute droite, et dit : " Regarde-moi, Haïat-Alnefous, et sois donc ma sœur ! "
Et, en même temps; d'un geste rapide elle entrouvrit sa robe, depuis le col jusqu'à la ceinture, et fit saillir deux seins éclatants couronnés de leurs roses ; puis elle dit : " Comme toi, ma chérie, je suis femme, tu le vois ! Et si je me suis déguisée en homme, c'est à la suite d'une aventure étrange extrêmement et que je vais te raconter sans retard ! "
Alors elle s'assit de nouveau, prit la jeune fille sur ses genoux et lui narra toute son histoire depuis le commencement jusqu'à la fin. Mais il n'y a point d'utilité à la répéter.
Lorsque la petite Haïat-Alnefous eut entendu cette histoire, elle fut à la limite de l'émerveillement et, comme elle était toujours assise dans le sein de Sett Boudour, elle lui prit le menton dans sa petite main et lui dit : " O ma sœur, quelle vie délicieuse nous allons vivre ensemble en attendant le retour de ton bien-aimé Kamaralzamân ! Fasse Allah hâter son arrivée, afin que notre bonheur soit complet ! " Et Boudour lui dit : " Qu'Allah entende tes vœux, ma chérie, et moi je te donnerai à lui comme seconde épouse, et tous trois nous serons ainsi dans la plus parfaite félicité ! " Puis elles s'embrassèrent longuement et jouèrent ensemble à mille jeux, et Haïat-Alnefous s'étonnait de tous les détails de beauté qu'elle trouvait en Sett Boudour. Elle lui prenait les seins et disait : " O ma sœur, comme tes seins sont beaux ! Regarde ! Ils sont bien plus gros que les miens ! Tu vois comme ils sont petits, les petits miens :! Crois-tu qu'ils grandiront ? " Et elle la détaillait partout et elle l'interrogeait sur les découvertes qu'elle faisait ; et Boudour, entre mille baisers, lui répondait en l'instruisant avec une clarté parfaite, et Haïat-Alnefous s'exclamait : " Ya Allah ! je comprends maintenant ! Imagine-toi que lorsque je demandais aux esclaves : " A quoi sert ceci ? à quoi sert cela ? ils clignaient de l'œil mais ne répondaient pas ! D'autres, à ma grande fureur, claquaient de la langue, mais ne répondaient pas ! Et moi, de rage, je m'égratignais les joues et je criais de plus en plus fort : " Dites-moi à quoi sert cela ? " Alors, à mes cris, ma mère accourait et s'informait, et toutes les esclaves disaient : " Elle crie parce qu'elle veut nous obliger à lui expliquer à quoi sert cela ! " Alors la reine ma mère, à la limite de l'indignation, malgré mes protestations de repentir, mettait nu mon petit cul et me donnait une fessée furieuse en disant : " voilà à quoi sert cela ! " Et moi je finis par être tout à fait persuadée que cela ne servait qu'à recevoir la fessée ; et ainsi de suite pour tout le reste. "
Puis elles continuèrent toutes deux à dire et faire mille folies, si bien qu'avec le matin Haïat-Alnefous n'avait plus rien à apprendre et avait pris conscience du rôle charmant que devait remplir désormais tous ses organes délicats...
A ce moment de sa narration Schahrazade vit apparaître le matin et discrète se tut.
Mais lorsque fut la deux cent douzième nuit, elle dit :
...Conscience du rôle charmant que devaient remplir désormais tous ses organes délicats.
Alors, comme l'heure approchait où le père et la mère allaient entrer, Haïat-Alnefous dit à Boudour : " Ma soeur, que faut-il dire à ma mère qui va me demander de lui montrer le sang de ma virginité ? " Boudour sourit et dit : " La chose est facile ! " Et elle alla en cachette prendre un poulet et l'égorgea et barbouilla de son sang les cuisses de la jeune fille et les serviettes, et lui dit : " Tu n'auras qu'à leur montrer cela ! Car la coutume s'arrête là et ne permet pas de recherches plus profondes; " Elle lui demanda : " Ma sœur, mais pourquoi ne veux-tu pas me l'enlever toi-même, par exemple avec le doigt ? " Boudour répondit : " Mais, mon oeil, parce que je te réserve, comme je te l'ai dit, à Kamaralzamân ! "
Là-dessus, Haïat-Alnefous fut satisfaite tout à fait, et Sett Boudour sortit présider la séance de justice.
Alors entrèrent chez leur fille le roi et la reine, prêts à éclater de fureur, contre elle et contre son époux, si tout n'était pas consommé. Mais à la vue du sang et des cuisses rougies, ils s'épanouirent tous deux et se dilatèrent et ouvrirent toutes les portes de l'appartement. Alors entrèrent toutes les femmes, et éclatèrent les cris de joie et les " lu-lu-lu " de triomphe ; et la mère, à la limite de la fierté, mit sur un coussin de velours les serviettes rougies, et suivie de tout le cortège, fit ainsi le tour du harem. Et tout le monde apprit de la sorte l'heureux événement ; et le roi donna une grande fête et fit immoler, pour les pauvres; un nombre considérable de moutons et de jeunes chameaux.
Quant à la reine et aux invités, elles rentrèrent chez la jeune Haïat-Alnefous et la baisèrent chacune entre les deux yeux, en pleurant, et restèrent avec elle jusqu'au soir, après l'avoir conduite jusqu'au hammam, enveloppées de foulards pour qu'elle ne prît pas froid.
Quant à Sett Boudour elle continua ainsi tous les jours à siéger sur le trône de l'île d'Ebène et à se faire aimer par ses sujets qui la croyaient toujours un homme et faisaient des vœux pour sa longue vie. Mais, le soir venu, elle allait retrouver avec bonheur sa jeune amie Haïat-Alnefous, la prenait dans ses bras et s'étendait avec elle sur le matelas. Et toutes deux, enlacées jusqu'au matin comme un époux avec une épouse, se consolaient par toutes sortes d'ébats et de jeux délicats, en attendant le retour de leur bien-aimé Kamaralzamân. Et voilà pour tous ceux-là !
HISTOIRE DE KAMARALZAMÂN AVEC LA PRINCESSE BOUDOUR
traduction par le Dr J. C. Mardrus
(1868 Le Caire - 1949 Paris) :