رسالة من غي دو موباسان

Chère madame,

Vous désirez que je vous donne des détails sur moi. Vous avez tort, ils ne vous plairont guère. Je vous ai déjà dit que je n’étais point fait pour séduire les femmes, hormis celles qui sont uniquement des sensuelles et des corrompues.

Quant aux autres, elles ont assez de moi au bout de quinze jours au plus.

Que voulez-vous. Vous avez toutes les croyances, disons toutes les crédulités, et moi pas une. Je suis le plus désillusionnant et le plus désillusionné des hommes ; le moins sentimental et le moins poétique.

Je range l’amour parmi les religions, et les religions parmi les plus grandes bêtises où soit tombée l’humanité.

Vous êtes choquée, madame ?

J’admire éperdument Schopenhauer et sa théorie de l’amour me semble la seule acceptable. La nature, qui veut des êtres, a mis l’appât du sentiment autour du piège de la reproduction.

Pardon, ce que j’écris là est inconvenant, mais tant pis. Oh ! vous êtes indignée, je sais. Je continue.

Quand je rencontre deux amants, la stupidité de leur erreur m’irrite.

« Je t’aime, je t’adore, mon cœur, mon âme, ma vie, etc., etc. »

Et tout cela uniquement parce qu’ils sont d’un sexe différent. N’est-il pas plus simple de dire :

« J’ai tous les instincts de ma race, de ma nature et de ma qualité d’homme. Donc, j’aime la femme, j’obéis à une loi de mon corps, à une loi qui gouverne aussi les bêtes : mais je suis un être supérieur à ces bêtes, au lieu de faire simplement comme elles, je cherche, j’imagine, je perfectionne tous les raffinements sensuels. »

Je suis un corrompu des civilisations ; et je ne le cache pas. J’aime, j’adore la beauté sous tous ses aspects. J’ai des sens que je cherche sans cesse à aiguiser et tous, je suis un gourmand enthousiaste, un gourmand solitaire qui mange pour manger, pour sentir les exquises sensations des nourritures saines, pour percevoir les saveurs diverses, les arômes légers, les parfums fugitifs d’aimer.

Les sentiments sont des rêves dont les sensations sont les réalités.

Vous dites que j’ai le sentiment de la nature ? Cela tient je crois à ce que je suis un peu faune. Oui, je suis faune et je le suis de la tête aux pieds. Je passe des mois seul à la campagne, la nuit, sur l’eau, tout seul, toute la nuit, le jour, dans les bois ou dans les vignes, sous le soleil furieux et tout seul, tout le jour.

La mélancolie de la terre ne m’attriste jamais : je suis une espèce d’instrument à sensations que font résonner les aurores, les midis, les crépuscules, les nuits et autre chose encore. Je vis seul, fort bien, pendant des semaines sans aucun besoin d’affection. Mais j’aime la chair des femmes, du même amour que j’aime l’herbe, les rivières, la mer.

Je vous répète que je suis un faune. De là vient peut-être l’exaspération où me jette la société, les réunions du monde, la médiocrité des conversations, la laideur des costumes, la fausseté des attitudes.

Dans un salon, je souffre dans tous mes instincts, dans toutes mes idées, dans toutes mes sensibilités, dans toute ma raison.

Mes pensées naturelles choquent la manière de voir, reçue, habituelle, respectable et publique !

Toute réunion d’hommes m’est odieuse. Un bal me donne de la tristesse pour huit jours. Je n’ai jamais vu une course de chevaux, ni même une revue, ni une Fête Nationale. J’ai horreur de tout ce qui est fade, timoré, inexpressif.

Aussi, madame, je préférerais ne point vous rencontrer dans un bal de l’Opéra ! Quant à Venise, c’est de la poésie ; et vous savez que je ne l’aime guère. Et puis nous voyez-vous partant pour un pays quelconque, sans nous connaître ? Pour quoi faire ? Si nous allions nous déplaire souverainement dès la première minute. C’est possible après tout !

Et puis j’imagine que vous me connaissez plus que vous ne dites, que vous me faites poser ; et vous voyez que je m’y prête : et je me demande toujours si vous n’êtes point quelque ami farceur ! J’ai fait tant de farces que l’on peut bien m’en faire. Celle-ci, du reste, serait bonne ; mais je ne crains nullement le ridicule, l’opinion publique m’étant totalement indifférente.

Vous voulez que nous causions ? Soit. Où ? Choisissez. D’abord enlevez-moi si cela vous convient. Je n’appellerai pas « au secours ». Ensuite, pourquoi ne viendriez-vous pas tout simplement chez moi à l’heure et au jour qui vous conviendront puisque je ne puis aller chez vous. Je n’ai point de fauteuil mécanique pour triompher des volontés rebelles. Bien des femmes me viennent voir dont je n’ai jamais abusé, croyez-le.

Voulez-vous encore que, moi, je vous enlève pour passer un après-midi dans un petit appartement que je possède à la campagne solitaire. A la campagne ! Au mois de janvier ! Oui, Madame, pourquoi pas.

J’attends votre décision.

Serez-vous à la première de Nana ? Moi qui ne vais jamais aux premières, j’assisterai à celle-là. Ce sera, je crois, jeudi. Enfin, madame, ordonnez.

Parlez-moi donc un peu de vous, un peu beaucoup même. Ces curiosités de femmes sont singulières. Pourquoi voulez-vous me voir, je ressemble à tout le monde ; et je ne suis pas un causeur.

Je baise le bout de vos doigts.


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