رسائل الأدباء ثلاث رسائل من الشاعر عبداللطيف اللعبي إلى زوجته

16septembre 1975

Ma femme aimée,

Moi aussi, je ressens toute la dureté de ton absence ces derniers temps. Tu étais si proche tout au long de ce procès et c’était exaltant de le savoir, de m’en assurer à chaque instant, de prendre tes yeux au moment où ils cherchaient à prendre les miens. Ton visage, tes gestes, ta voix, toute ta stature, oui tes pieds que je contemplais jusqu’à la brûlure. Avoir pu joindre nos mains, avoir pu joindre ce que je ne peux chanter que pour toi, mon amour.

Et maintenant penser à toi, penser à tout ce qui fut et ce qui sera, oui c’est dur, mais c’est aussi prendre conscience encore et toujours davantage que nous participons à une grande aventure et que nous assumons ses épreuves.

Un couple qui passe, le bonheur simple, la vie tout court, ce que disent les chansons, ce que la musique insinue, puis la mémoire de la plénitude, tout cela dans la trame de l’absence. Pour nous, tout a changé. Rien ne pourra être normal, statique, convenu. C’est comme la genèse d’un grand poème dont on reporte sans cesse l’écriture mai qu’on vit inlassablement dans toute sa vigueur, sa force d’éloignance (sic), sa fièvre, sa nouveauté. Et nous savons que ce poème n’est pas intimiste, c’est le poème d’une nouvelle histoire avec ses édifices et ses hommes et ses promesses d’une allégresse rare. Nous acceptons les souffrances de cet enfantement. S’il n’y avait pas cette mobilisation, ce don de nous-mêmes et ceux d’autres et d’autres encore, à quoi bon vivre, être heureux comme on a coutume de l’être, satisfaits de son corps et de son petit empire, collectionnant les idées pur le bon usage et les cérémonies ? e refus, pour mériter la parole, l’amour, notre humanité. C’est très beau de lire chez toi que tu ne « crois pas au malheur individuel », de sentir à quelle hauteur tu te places pour nous retrouver. Ce n’est pas de l’idéalisme, c’est simplement le signe de la présence du futur en toi, en nous.

Ma chérie, il faut comme tu le soulignes toi-même que notre dialogue devienne encore plus total, qu’il pulvérise toutes les limites qu’on nous impose u que les résidus de la femme et de l’homme anciens nous imposaient. Je veux que notre amour fasse émerger encore d’autres continents du cœur et de l’esprit. Nous aurons pour cela à être exigeants et fermes, en même temps qu’attentifs et ouverts. Nous nous transformerons ensemble. Il est vrai que l’initiative devra te revenir le plus souvent, étant donné que tu as maintenant une pratique plus riche que la mienne et parce que tu es confrontée à des problèmes plus complexes, plus concrets. Mais je ne manquerai pas de prendre d’autres initiatives et de discuter avec toi de toutes mes préoccupations.

Désormais, vendredi sera une fête, celle de ton sourire, de ta voix, de tes yeux pers. À toi ma tendresse.
laaabichroniquesexil


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2juin 1976

Jocelyne, mon aimée,

Je réponds sans tarder à ta lettre du 30 mai. « Répondre » n’est pas ce qu’il aurait fallu dire. En fait, j’ai besoin de te parler après avoir lu cette lettre, te parler sans ordre du jour, sans prétexte, sans rien de préconçu. Être là, en face ou près de toi, faire-jaillir les mots-caresses, les mots porteurs d’offrande, invoquer, évoquer tout ce qui nous concerne, continents, humains, forêts en marche, arbres de notre tendresse. Écouter avec toi le silence où germent immédiatement nos mots, où prennent racine nos visions. Écrire comme ce fourmillement de la sève en chacun de nous lorsqu’il devient intenable de ne pas s’abandonner à l’autre, le rejoindre dans son intensité, l’élargir à ses propres confins. Écrire comme un acte d’ensemencement, lorsque terre et soleil se dépassent en tant qu’éléments pour éclater et s’unir dans l’apothéose de la vie féconde. Écrire comme une résurrection du corps et de l’intelligence. Ne pas parler de mon exil avec ses grilles, ses livres et son soleil cadenassé, ses oiseaux irréels et ses nuits carcérales. Je quitterai la douloureuse aphasie, j’ouvrirai enfin ma main pour libérer toutes les étoiles assassinées, les ruisseaux de convergence. Ne pas parler du sang, de la férule des avortements. Je dirai l’espoir heureux. Je veillerai à la beauté de nos aurores. Avec toi, mon aimée. Ainsi côte-à-côte.

J’ai été touché par les attentions des enfants à ton égard. Tu dois être heureuse de découvrir au jour le jour cet amour. Des moments pareils compensent bien des efforts et des irritations. On sent ainsi qu’on a contribué à faire fleurir de nouvelles sensibilités. Je fais confiance à nos enfants. Ils ont tenu bon face à l’épreuve. Et cette expérience sera une grande réserve de force pour eux à l’avenir […]
laaabichroniquesexil

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21novembre 1976

Jocelyne,

suis-je triste ce soir, ce qu’on appelle triste ? Ou bien est-ce ainsi que je traduis cette nostalgie de la grande fête, de tous les exils ? Ce futur-là m’affole, qui ne peut être mesuré, lui ou le parcours de son approche. Le vivrai-je ? Serai-je l’homme de cette fête, épanouissant enfin tous mes dons ?

La nuit est encore descendue. Elle n’est ni aveugle ni sourde. C’est un autre océan du prisonnier, avec sa capacité d’éloignance (sic), ses tempêtes au large de la mémoire et sa terrible rumeur. Je suis là à écouter notre nuit commune pour abolir les digues de solitude, lui arracher mon obole quotidienne de joie. Je ne suis donc pas triste. Un peu poète seulement. Poésie comme présence, comme vigilance, comme vasque lyrique de fraternité. Une petite chance, pas dans le sens de privilège ou d’exclusion. Cette poésie-là est à résurger en chacun de nous. C’est tout.

Qu’est-ce qui me prend de parler ainsi ? Il a suffi que je te regarde dans les yeux, que je rencontre ton sourire pour que mon désert carcéral se repeuple, pour qu’une oasis y surgisse et me baigne de ses fragrances. Parfois, il n’est pas créateur de chercher à comprendre. Il faut prendre ce qui nous est donné, se contenter de vivre l’intensité de cet acte.

Bon, j’atterris. La cellule est toujours là, et les compagnons, les livres, la perspective du dîner et du sommeil. J’étais en train de fumer sans bien m’en rendre compte. L’éclairage est un peu faible, et quelqu’un parle dans la chambre d’à côté. Il ne fait pas trop froid. Une veillée comme d’autres.

Tiens, c’est l’annonce de la dernière prière de la journée. La voix du muezzin est belle. Je ne sais pas si c’est un prisonnier ou s’il s’agit d’un enregistrement. Une autre petite cigarette pour continuer à te tenir compagnie. Et toi, que fais-tu maintenant ? Comme c’est difficile à imaginer. Le plus souvent, je te vois au repos, donc dans des attitudes abstraites si l’on peut dire. J’allais donc te demander quand est-ce que tu penses à moi. C’est arbitraire comme question. Si j’en juge d’après moi, je ne saurais répondre avec exactitude. C’est si riche et si inattendu de penser à toi. […]

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