A ALFRED DE MUSSET - Paris, 24 juin 1833
Je suis fière aujourd’hui d’avoir écrit quelques pages que vous avez lues, Monsieur, et qui vous ont fait songer un instant. J’avais eu parfois la fatuité de croire qu’il existait entre Hassan et Raymon, entre Frank et Lélia une secrète et douloureuse fraternité. Mais outre le génie qui a présidé à vos créations, ces créations sont par elles-mêmes bien autrement belles que les miennes. Vos types de souffrance morale ont de la jeunesse, de l’avenir. Ces désirs que vous personnifiez arriveront à être la volonté. Le lecteur peut l’espérer et après avoir contemplé d’abord ces grandes pensées avec effroi, il se prend à les comprendre, à les révérer sous la forme dont vous savez les vêtir. Mes figures sont d’une réalité plus saisissable et plus grossière. Elles ont traversé ces temps de prose et de mesquinerie. Don Juan n’est-il pas misérablement travesti sous l’habit de Raymon ? au lieu qu’on le retrouve dans son éclat, dans sa poésie, dans sa grandeur sous les traits que vous lui donnez. Vos peintures appartiennent à la jeunesse de l’âme. Les années, l’oubli, la moquerie, peut-être, ont effacé la vigueur et abâtardi la physionomie des miennes. Si je réponds par de la critique littéraire à des vers si beaux de pensée et de sentiment c’est que je suis bien embarrassée de répondre aux questions du poète qui me les adresse. Je n’ai pas le droit de résoudre la dernière surtout, car je ne puis oublier que le poète a vingt ans, qu’il est assez heureux de douter encore, pour interroger, et que j’aurais bien mauvaise grâce à lui révéler les tristes secrets de mon expérience. Je le prierais bien de jeter les yeux dans quelques jours sur les feuilles de Lélia : mais Lélia est déjà publiée et résumée tout entière dans une strophe de Namouna et je tremblerais d’instruire davantage une âme si jeune et déjà si savante.
Lorsque j’ai eu l’honneur de vous voir je n’ai point osé vous engager à venir chez moi. Je crains encore que la gravité de mon intérieur vous effraie et vous ennuie. Cependant, si dans un jour de fatigue et de dégoût de la vie active vous étiez tenté d’entrer dans la cellule d’une recluse, vous y seriez reçu avec reconnaissance et cordialité.
George Sand
24 juin.
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A HONORE DE BALZAC [Paris, février 1842
Mon ami, je suis bien touchée de votre dédicace et bien
enchantée de votre livre. M. Souverain me l’a fait attendre plusieurs jours, et j’ai passé ces deux dernières nuits à le lire. Je suis fière aussi de cette dédicace, car le livre est une des plus belles choses que vous ayez écrites. Je n’arrive pas à vos conclusions, et il me semble au contraire que vous prouvez tout l’opposé de ce que vous voulez prouver. C’est le propre de toutes les grandes intelligences de sentir si vivement et si naïvement le pour et le contre (ces deux faces de la vérité, que la science sociale et philosophique saura concilier un jour) qu’elles laissent après elles deux sillons lumineux par lesquels les hommes marchent à leur gré, aimant le poète pour des raisons fort diverses et fort bien fondées de part et d’autre.
Il y a longtemps que je rêve de faire sur vous un long article de discussion sérieuse où vous seriez peut-être plus contredit en mille choses que vous ne l’avez jamais été, et où vous seriez cependant placé à une hauteur où personne n’a su vous mettre. Je trouve qu’on ne vous a jamais compris, et il me semble que moi je vous comprends bien. Je ne ferai pourtant jamais ce travail sans votre assentiment, et ne le publierai pas non plus sans vous le soumettre. Juger ses amis malgré eux, ne m’a jamais semblé de bonne foi, ni de bonne amitié.
À laisser à part toute discussion de fond, et à ne voir que le talent vous en avez eu dans ce livre sous une face nouvelle, outre mille choses exquises de noblesse, et de chasteté voluptueuse, il y a une peinture du sentiment maternel, puéril quelquefois (je vous admire trop pour vous cacher rien de mon impression) mais sublime presque toujours. Ainsi je trouve que vous lavez trop ces enfants devant nous, et cependant avec quel art prodigieux et quelle charmante poésie, vous nous faites malgré tout, accepter toutes ces éponges et tous ces savons ! Mais la lettre sur l’enfant malade est si vraie, si énergique, si sublime qu’il faut, mon cher, que vous ayez, suivant nos idées de Leroux, un souvenir d’existence antérieure, où vous auriez été femme et mère. Après tout, vous savez tant de choses que personne ne sait, vous vous assimilez tant de mystères du non moi (n’allez pas rire !) que je trouve en vous la plus victorieuse confirmation du système Pythagoricien de notre philosophe. Vous êtes un moi exceptionnel, infiniment puissant, et doué de la mémoire que les autres pauvres diables de moi ont perdue. Grâce à votre intensité de persistance dans la vie, vous êtes dans un continuel rapport de souvenirs et de sensations avec les séries infinies de non moi que votre moi a parcourues. Faites-nous un poème là-dessus. Je suis sûre qu’en fixant votre attention sur votre passé éternel, vous verrez ce monde des ombres s’animer devant vous, et vous saisirez la vie, là où nous ne voyons que morts et ténèbres. Bonsoir, cher Dom Mar, et merci encore. J’admire celle qui procrée, mais j’adore celle qui meurt d’amour. Voilà tout ce que vous avez prouvé et c’est plus que vous n’avez voulu.
À vous,
George
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A GUSTAVE FLAUBERT [Nohant, 15 août 1875
Mon pauvre cher vieux, j’apprends, aujourd’hui seulement par une lettre de ce cher paresseux de Tourgueniev, le malheur qui frappe ta nièce. Est-ce donc irréparable ? Son mari est tout jeune et intelligent, ne pourra-t-il recommencer, ou prendre un emploi qui lui rendra l’aisance ? Ils n’ont pas d’enfants, il ne leur faut pas des millions pour vivre, jeunes et bien portants qu’ils sont tous deux. Tourgueniev me dit que ton avoir est entamé par cette débâcle. Si ce n’est qu’entamé seulement, tu supporteras cette grave contrariété en philosophe. Tu n’as ni vices à satisfaire, ni ambitions à assouvir. Je suis sûre que tu arrangeras ta vie pour la mettre au niveau de tes ressources. Le plus rude pour toi à supporter, c’est le chagrin de cette jeune femme qui est une fille pour toi. Mais tu lui donneras le courage, et la consolation. C’est le moment d’être au-dessus de tes propres ennuis, pour adoucir ceux des autres. Je suis sûre qu’à l’heure où je t’écris, tu as déjà calmé son esprit et attendri son coeur. Peut-être aussi le désastre n’est-il pas ce qu’il paraît au premier moment. Il se fera une embellie, on trouvera un nouveau chemin car c’est toujours ainsi et la valeur des hommes se mesure à leur énergie, à leurs espérances qui sont toujours un signe de force et d’intelligence. Plus d’un s’est vaillamment relevé. Sois sûr que de meilleurs jours reviendront et dis-le leur sans cesse, parce que c’est vrai.
l ne faut pas que ta santé morale et physique soit ébranlée par cet échec. Pense à guérir ceux que tu aimes et oublie-toi, toi-même. Nous y penserons pour toi et nous souffrirons à ta place ; car je suis vivement affectée de te voir un nouveau sujet de tristesse au milieu de ton spleen. Allons, cher excellent vieux, ranime-toi, fais-nous un beau roman à succès, et pense à ceux qui t’aiment dont ton découragement contriste et déchire le c ?ur. Aime-les, aime-nous et tu retrouveras ta force et ton entrain. Nous t’embrassons tous bien tendrement. N’écris pas si cela t’ennuie, dis-nous seulement, je vas mieux et je vous aime.
G. Sand
Nohant 15 août
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Lettres retrouvées,
A PROSPER MERIMEE
[Paris, 28 mars 1833]
Je ne suis pas diplomate je vous jure. J’ai été bien réellement malade. Pourquoi vous aurais-je engagé à venir, si j’avais eu l’intention de ne pas vous recevoir ? Je n’y vois pas de motif possible. Le lendemain, je ne me suis pas souvenue de vous avoir donné rendez-vous et je ne m’en souviens pas encore. Je crois que vous avez avez rêvé cela. J’en serais bien aise, cela me prouverait que vous rêvez quelquesfois de moi.
Vraiment je n’ose plus vous assigner un jour et une heure. Je vois que c’est le moyen de nous rencontrer un peu moins. Venez quand vous n’aurez rien de mieux à faire. Sommes nous donc si loin l’un de l’autre2, que vous n’osiez risquer quelques pas vers moi ? Vous êtes paresseux, mon ami.
Adresse : Monsieur Prosper Mérimée [Cachet postal : 28 Mars
] 1833
Hotel des beaux arts. R. des petits augustins
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A GUSTAVE VAËZ
Nohant, 4 novembre 1853
Mon cher directeur, je suis très peinée de la maladie de Mr Bouchet, mais très enchantée d’avoir Mr Ferville1 qui est un acteur éminent et qui fera de son rôle un vrai rôle. Je vous dis cela en courant et je vous embrasse au galop, car je suis dans le travail, voulant me tenir prête à partir à votre premier appel. Bonsoir donc, nos tendresses à Bérangère et à vous. - Dites à Ferville que j’ai toujours désiré l’avoir pour interprète et que je l’avais demandé au Gymnase mais que l’affaire n’a pu s’arranger.
Encore bonsoir.
George Sand
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A HENRI HEINE
[Paris, vers 1840 ?]
Ce n’est pas vrai, vous n’avez pas la colique. Vous êtes repris d’amour, cher imbécille de cousin. Si vous ne venez pas du moins ce soir, causer une heure avec nous, je publierai dans tout Paris, j’imprimerai et je signerai de mon nom que vous êtes la plus fichue bête de tout l’Olympe.
À vous de coeur
le cousin George
[Adresse :] Monsieur Henry Heine.
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A ALBERT SIMONNET
[Nohant 2 octobre 1871]
J’espère que tu vas tout à fait bien, mon petit Bébert, et que comme tu nous le dis, tu t’habitues bien à ta nouvelle existence. Ton avenir est dans tes mains et si tu as la santé et la volonté, tout ira bien. J’espère aussi que tu as fait deux visites essentielles, Mr Borie, quand même tu ne serais pas reçu, et le dentiste ; car avec de mauvaises dents tu souffriras toujours et tu auras de nouveaux abcès qui interrompront ton travail et te feront perdre ton emploi.
Ici tout le monde va bien sauf les rhumes chez toi. Mais Edme va mieux et les autres en sont quittes. Fais attention à toi au commencement de l’hiver ; à Paris on a toujours les pieds mouillés. Fais toi faire de bonnes chaussures avec du liège ou du bois dans la semelle. Il y a dans ma maison rue Gay-Lussac n° 5, un cordonnier qui n’est pas cher et qui travaille bien - quand je dis dans ma maison, c’est peut-être celle qui touche, le n° 3. Enfin il a boutique sur la rue et n’est pas difficile à trouver. Fais ton prix d’avance et si tu n’as pas assez d’argent dis à Martine de payer sa note. Martine c’est ma femme de confiance qui demeure au n° 5. Tu n’auras qu’à lui montrer ma lettre pour qu’elle te connaisse. Je tiens beaucoup pour toi à cet article chaussure parce que je sais que c’est grave à Paris, mais qu’avec les pieds secs et chauds, on s’y porte aussi bien qu’ailleurs.
Travaille bien, espère et aime nous toujours comme nous t’aimons.
Ta tante
George Sand
Nohant 2 8bre
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(17467). A SYLVANIE ARNOULD-PLESSY
Nohant 28 juillet
Chère grande fille, J’attends toujours une lettre de Mr Perrin, pour savoir si Villemer passerait cette année. Je viens de lui récrire pour lui demander s’il peut me fixer l’époque, ou tout au moins l’année. En attendant sa réponse, je veux vous embrasser et vous remercier de m’avoir donné de vos nouvelles. Moi je vas bien, mais je ne sors pas du métier de garde malade. Mes deux chères fillettes et leur petite mère viennent d’avoir consécutivement la rougeole qui sévit ici sur tout le monde. Enfin Aurore commence à rire et à sauter dans ma chambre aujourd’hui, et les deux autres sont dehors en grande excursion géologique avec Maurice et Plauchut. Faites-vous toujours de la botanique ? Je n’ai plus le temps d’en faire et pourtant cette année fraîche est bien favorable. Les plantes sont magnifiques, et ce serait le moment d’aller chercher dans la campagne et dans les bois, des graines ou des plants de plantes intéressantes qu’on installerait dans les jardins et qui auraient chance de prospérer avec cet arrosage de tous les jours. Quand vous serez installée tout à fait dans votre abbaye, vous vous ferez, j’en suis sure, un coin de jardin, où comme moi vous cultiverez ces jolies plantes que les jardiniers appellent des mauvaises herbes.
Mais je souhaite que vous preniez gout, le plus tard possible, à cette retraite. Vous avez encore dix ans de force et de génie à dépenser et c’est peut-être votre devoir. Dieu ne doue pas ses créatures pour qu’elles ne fassent rien de ses dons, et le théâtre sérieux est un instrument de civilisation et de moralisation sans lequel la tendance à la barbarie reprendrait plus fort et plus vite. Restez donc encore reine dans votre milieu, vous le devez, je vous assure. Je désire bien qu’on vous satisfasse matériellement parlant et s’il dépendait de moi ce ne serait pas discuté. Mais quoi qu’il arrive, ne quittez pas le champ de bataille avant l’heure. Ce ne serait pas bien. Sur ce sermon que je ne crois pas anti-chrétien je vous embrasse tendrement pour moi et pour tous les miens. Aurore particulièrement vous admire et vous adore et me charge de vous le dire en vous envoyant son portrait et celui de sa petite s ?ur. G. Sand
Je suis fière aujourd’hui d’avoir écrit quelques pages que vous avez lues, Monsieur, et qui vous ont fait songer un instant. J’avais eu parfois la fatuité de croire qu’il existait entre Hassan et Raymon, entre Frank et Lélia une secrète et douloureuse fraternité. Mais outre le génie qui a présidé à vos créations, ces créations sont par elles-mêmes bien autrement belles que les miennes. Vos types de souffrance morale ont de la jeunesse, de l’avenir. Ces désirs que vous personnifiez arriveront à être la volonté. Le lecteur peut l’espérer et après avoir contemplé d’abord ces grandes pensées avec effroi, il se prend à les comprendre, à les révérer sous la forme dont vous savez les vêtir. Mes figures sont d’une réalité plus saisissable et plus grossière. Elles ont traversé ces temps de prose et de mesquinerie. Don Juan n’est-il pas misérablement travesti sous l’habit de Raymon ? au lieu qu’on le retrouve dans son éclat, dans sa poésie, dans sa grandeur sous les traits que vous lui donnez. Vos peintures appartiennent à la jeunesse de l’âme. Les années, l’oubli, la moquerie, peut-être, ont effacé la vigueur et abâtardi la physionomie des miennes. Si je réponds par de la critique littéraire à des vers si beaux de pensée et de sentiment c’est que je suis bien embarrassée de répondre aux questions du poète qui me les adresse. Je n’ai pas le droit de résoudre la dernière surtout, car je ne puis oublier que le poète a vingt ans, qu’il est assez heureux de douter encore, pour interroger, et que j’aurais bien mauvaise grâce à lui révéler les tristes secrets de mon expérience. Je le prierais bien de jeter les yeux dans quelques jours sur les feuilles de Lélia : mais Lélia est déjà publiée et résumée tout entière dans une strophe de Namouna et je tremblerais d’instruire davantage une âme si jeune et déjà si savante.
Lorsque j’ai eu l’honneur de vous voir je n’ai point osé vous engager à venir chez moi. Je crains encore que la gravité de mon intérieur vous effraie et vous ennuie. Cependant, si dans un jour de fatigue et de dégoût de la vie active vous étiez tenté d’entrer dans la cellule d’une recluse, vous y seriez reçu avec reconnaissance et cordialité.
George Sand
24 juin.
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A HONORE DE BALZAC [Paris, février 1842
Mon ami, je suis bien touchée de votre dédicace et bien
enchantée de votre livre. M. Souverain me l’a fait attendre plusieurs jours, et j’ai passé ces deux dernières nuits à le lire. Je suis fière aussi de cette dédicace, car le livre est une des plus belles choses que vous ayez écrites. Je n’arrive pas à vos conclusions, et il me semble au contraire que vous prouvez tout l’opposé de ce que vous voulez prouver. C’est le propre de toutes les grandes intelligences de sentir si vivement et si naïvement le pour et le contre (ces deux faces de la vérité, que la science sociale et philosophique saura concilier un jour) qu’elles laissent après elles deux sillons lumineux par lesquels les hommes marchent à leur gré, aimant le poète pour des raisons fort diverses et fort bien fondées de part et d’autre.
Il y a longtemps que je rêve de faire sur vous un long article de discussion sérieuse où vous seriez peut-être plus contredit en mille choses que vous ne l’avez jamais été, et où vous seriez cependant placé à une hauteur où personne n’a su vous mettre. Je trouve qu’on ne vous a jamais compris, et il me semble que moi je vous comprends bien. Je ne ferai pourtant jamais ce travail sans votre assentiment, et ne le publierai pas non plus sans vous le soumettre. Juger ses amis malgré eux, ne m’a jamais semblé de bonne foi, ni de bonne amitié.
À laisser à part toute discussion de fond, et à ne voir que le talent vous en avez eu dans ce livre sous une face nouvelle, outre mille choses exquises de noblesse, et de chasteté voluptueuse, il y a une peinture du sentiment maternel, puéril quelquefois (je vous admire trop pour vous cacher rien de mon impression) mais sublime presque toujours. Ainsi je trouve que vous lavez trop ces enfants devant nous, et cependant avec quel art prodigieux et quelle charmante poésie, vous nous faites malgré tout, accepter toutes ces éponges et tous ces savons ! Mais la lettre sur l’enfant malade est si vraie, si énergique, si sublime qu’il faut, mon cher, que vous ayez, suivant nos idées de Leroux, un souvenir d’existence antérieure, où vous auriez été femme et mère. Après tout, vous savez tant de choses que personne ne sait, vous vous assimilez tant de mystères du non moi (n’allez pas rire !) que je trouve en vous la plus victorieuse confirmation du système Pythagoricien de notre philosophe. Vous êtes un moi exceptionnel, infiniment puissant, et doué de la mémoire que les autres pauvres diables de moi ont perdue. Grâce à votre intensité de persistance dans la vie, vous êtes dans un continuel rapport de souvenirs et de sensations avec les séries infinies de non moi que votre moi a parcourues. Faites-nous un poème là-dessus. Je suis sûre qu’en fixant votre attention sur votre passé éternel, vous verrez ce monde des ombres s’animer devant vous, et vous saisirez la vie, là où nous ne voyons que morts et ténèbres. Bonsoir, cher Dom Mar, et merci encore. J’admire celle qui procrée, mais j’adore celle qui meurt d’amour. Voilà tout ce que vous avez prouvé et c’est plus que vous n’avez voulu.
À vous,
George
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A GUSTAVE FLAUBERT [Nohant, 15 août 1875
Mon pauvre cher vieux, j’apprends, aujourd’hui seulement par une lettre de ce cher paresseux de Tourgueniev, le malheur qui frappe ta nièce. Est-ce donc irréparable ? Son mari est tout jeune et intelligent, ne pourra-t-il recommencer, ou prendre un emploi qui lui rendra l’aisance ? Ils n’ont pas d’enfants, il ne leur faut pas des millions pour vivre, jeunes et bien portants qu’ils sont tous deux. Tourgueniev me dit que ton avoir est entamé par cette débâcle. Si ce n’est qu’entamé seulement, tu supporteras cette grave contrariété en philosophe. Tu n’as ni vices à satisfaire, ni ambitions à assouvir. Je suis sûre que tu arrangeras ta vie pour la mettre au niveau de tes ressources. Le plus rude pour toi à supporter, c’est le chagrin de cette jeune femme qui est une fille pour toi. Mais tu lui donneras le courage, et la consolation. C’est le moment d’être au-dessus de tes propres ennuis, pour adoucir ceux des autres. Je suis sûre qu’à l’heure où je t’écris, tu as déjà calmé son esprit et attendri son coeur. Peut-être aussi le désastre n’est-il pas ce qu’il paraît au premier moment. Il se fera une embellie, on trouvera un nouveau chemin car c’est toujours ainsi et la valeur des hommes se mesure à leur énergie, à leurs espérances qui sont toujours un signe de force et d’intelligence. Plus d’un s’est vaillamment relevé. Sois sûr que de meilleurs jours reviendront et dis-le leur sans cesse, parce que c’est vrai.
l ne faut pas que ta santé morale et physique soit ébranlée par cet échec. Pense à guérir ceux que tu aimes et oublie-toi, toi-même. Nous y penserons pour toi et nous souffrirons à ta place ; car je suis vivement affectée de te voir un nouveau sujet de tristesse au milieu de ton spleen. Allons, cher excellent vieux, ranime-toi, fais-nous un beau roman à succès, et pense à ceux qui t’aiment dont ton découragement contriste et déchire le c ?ur. Aime-les, aime-nous et tu retrouveras ta force et ton entrain. Nous t’embrassons tous bien tendrement. N’écris pas si cela t’ennuie, dis-nous seulement, je vas mieux et je vous aime.
G. Sand
Nohant 15 août
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Lettres retrouvées,
A PROSPER MERIMEE
[Paris, 28 mars 1833]
Je ne suis pas diplomate je vous jure. J’ai été bien réellement malade. Pourquoi vous aurais-je engagé à venir, si j’avais eu l’intention de ne pas vous recevoir ? Je n’y vois pas de motif possible. Le lendemain, je ne me suis pas souvenue de vous avoir donné rendez-vous et je ne m’en souviens pas encore. Je crois que vous avez avez rêvé cela. J’en serais bien aise, cela me prouverait que vous rêvez quelquesfois de moi.
Vraiment je n’ose plus vous assigner un jour et une heure. Je vois que c’est le moyen de nous rencontrer un peu moins. Venez quand vous n’aurez rien de mieux à faire. Sommes nous donc si loin l’un de l’autre2, que vous n’osiez risquer quelques pas vers moi ? Vous êtes paresseux, mon ami.
Adresse : Monsieur Prosper Mérimée [Cachet postal : 28 Mars
] 1833
Hotel des beaux arts. R. des petits augustins
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A GUSTAVE VAËZ
Nohant, 4 novembre 1853
Mon cher directeur, je suis très peinée de la maladie de Mr Bouchet, mais très enchantée d’avoir Mr Ferville1 qui est un acteur éminent et qui fera de son rôle un vrai rôle. Je vous dis cela en courant et je vous embrasse au galop, car je suis dans le travail, voulant me tenir prête à partir à votre premier appel. Bonsoir donc, nos tendresses à Bérangère et à vous. - Dites à Ferville que j’ai toujours désiré l’avoir pour interprète et que je l’avais demandé au Gymnase mais que l’affaire n’a pu s’arranger.
Encore bonsoir.
George Sand
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A HENRI HEINE
[Paris, vers 1840 ?]
Ce n’est pas vrai, vous n’avez pas la colique. Vous êtes repris d’amour, cher imbécille de cousin. Si vous ne venez pas du moins ce soir, causer une heure avec nous, je publierai dans tout Paris, j’imprimerai et je signerai de mon nom que vous êtes la plus fichue bête de tout l’Olympe.
À vous de coeur
le cousin George
[Adresse :] Monsieur Henry Heine.
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A ALBERT SIMONNET
[Nohant 2 octobre 1871]
J’espère que tu vas tout à fait bien, mon petit Bébert, et que comme tu nous le dis, tu t’habitues bien à ta nouvelle existence. Ton avenir est dans tes mains et si tu as la santé et la volonté, tout ira bien. J’espère aussi que tu as fait deux visites essentielles, Mr Borie, quand même tu ne serais pas reçu, et le dentiste ; car avec de mauvaises dents tu souffriras toujours et tu auras de nouveaux abcès qui interrompront ton travail et te feront perdre ton emploi.
Ici tout le monde va bien sauf les rhumes chez toi. Mais Edme va mieux et les autres en sont quittes. Fais attention à toi au commencement de l’hiver ; à Paris on a toujours les pieds mouillés. Fais toi faire de bonnes chaussures avec du liège ou du bois dans la semelle. Il y a dans ma maison rue Gay-Lussac n° 5, un cordonnier qui n’est pas cher et qui travaille bien - quand je dis dans ma maison, c’est peut-être celle qui touche, le n° 3. Enfin il a boutique sur la rue et n’est pas difficile à trouver. Fais ton prix d’avance et si tu n’as pas assez d’argent dis à Martine de payer sa note. Martine c’est ma femme de confiance qui demeure au n° 5. Tu n’auras qu’à lui montrer ma lettre pour qu’elle te connaisse. Je tiens beaucoup pour toi à cet article chaussure parce que je sais que c’est grave à Paris, mais qu’avec les pieds secs et chauds, on s’y porte aussi bien qu’ailleurs.
Travaille bien, espère et aime nous toujours comme nous t’aimons.
Ta tante
George Sand
Nohant 2 8bre
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(17467). A SYLVANIE ARNOULD-PLESSY
Nohant 28 juillet
Chère grande fille, J’attends toujours une lettre de Mr Perrin, pour savoir si Villemer passerait cette année. Je viens de lui récrire pour lui demander s’il peut me fixer l’époque, ou tout au moins l’année. En attendant sa réponse, je veux vous embrasser et vous remercier de m’avoir donné de vos nouvelles. Moi je vas bien, mais je ne sors pas du métier de garde malade. Mes deux chères fillettes et leur petite mère viennent d’avoir consécutivement la rougeole qui sévit ici sur tout le monde. Enfin Aurore commence à rire et à sauter dans ma chambre aujourd’hui, et les deux autres sont dehors en grande excursion géologique avec Maurice et Plauchut. Faites-vous toujours de la botanique ? Je n’ai plus le temps d’en faire et pourtant cette année fraîche est bien favorable. Les plantes sont magnifiques, et ce serait le moment d’aller chercher dans la campagne et dans les bois, des graines ou des plants de plantes intéressantes qu’on installerait dans les jardins et qui auraient chance de prospérer avec cet arrosage de tous les jours. Quand vous serez installée tout à fait dans votre abbaye, vous vous ferez, j’en suis sure, un coin de jardin, où comme moi vous cultiverez ces jolies plantes que les jardiniers appellent des mauvaises herbes.
Mais je souhaite que vous preniez gout, le plus tard possible, à cette retraite. Vous avez encore dix ans de force et de génie à dépenser et c’est peut-être votre devoir. Dieu ne doue pas ses créatures pour qu’elles ne fassent rien de ses dons, et le théâtre sérieux est un instrument de civilisation et de moralisation sans lequel la tendance à la barbarie reprendrait plus fort et plus vite. Restez donc encore reine dans votre milieu, vous le devez, je vous assure. Je désire bien qu’on vous satisfasse matériellement parlant et s’il dépendait de moi ce ne serait pas discuté. Mais quoi qu’il arrive, ne quittez pas le champ de bataille avant l’heure. Ce ne serait pas bien. Sur ce sermon que je ne crois pas anti-chrétien je vous embrasse tendrement pour moi et pour tous les miens. Aurore particulièrement vous admire et vous adore et me charge de vous le dire en vous envoyant son portrait et celui de sa petite s ?ur. G. Sand