correspondance d'el mostafa nissaboury
Casablanca, le 9 Février 1966
Mon cher LAABI
Je suis convaincu que "Souffles" fera entendre sa voix. Elle aura tôt fait de déjouer les malédictions, les superstitions, de ramener à une conscience plus réelle du monde ces pantins partisans des écoles, des systèmes, des néo, des post et des anti. Toutes ces formules automatiques, préétablies, instinctives ou tout ce qu'on veut, ne sont là que pour nous éloigner de ce que nous pourrions appeler nous-mêmes. Expérience de lâches intellectuels. En poésie, il faut beaucoup de courage. Le "pittoresque littéraire" est mort depuis qu'un grand poète a dit "Je cherche le mot qui correspond à la minute de mes instants". Si son expérience a été tragique, c'est qu'il a entièrement assumé sa condition, de sexe, d'esprit. Vivre un poème, c'est descendre l'égoût, respirer avec frénésie ces odeurs, ces tourbes gluantes, vivre à même l'homme, dans ce qu'il a de plus élémentaire. Une poésie ne saurait être poésie si elle n'était synonyme de chair, de sang, de sueur, de baves. Elle se défend d'être un "art", l'expression de "sentiments" dits "éternels". Elle se place aux antipodes de tous les arts, de toute forme artistique du monde, des idéologies, bagatelles, pure connerie que cette soi-disant idée de sauver le monde par la beauté. L'Andalousie restera pour l'homme le rêve le plus inaccessible. Et moi, je crois que la beauté, l'ordre, et la société ne sont qu'une création du Fric, monstre à cornes et sans queue. Nous assistons au ravage du monde par lui-même.
Si "Souffles" persiste dans son esprit, avec cette lucidité qui caractérise ses poètes, elle convaincra ceux qui nous côtoient de la nécessité d'une poésie qui doit délaisser toutes les préoccupations métaphysiques et philosophiques pour s'attacher à l'homme, l'homme avec ses gestes, ses grimaces, le cri de ses entrailles. Qui oserait faire appel aux principes et aux lois en voyant vivre "Etat de violence" ? Toutes ces petites simagrées disparaissent pour laisser place à l'homme (non l'humain), nu, atrocement nu, de cette nudité que l'esprit bourgeois évite, affichant des formules idiotes, imbéciles.
J'ai toujours détesté l'esprit de famille, il faut aller plus loin vers le sang, vers les racines. Qu'on débarasse enfin le monde de ces couches poisseuses d'intellectuels buveurs de bière.
Salut.
el mostafa nissaboury
Casablanca, le 9 Février 1966
Mon cher LAABI
Je suis convaincu que "Souffles" fera entendre sa voix. Elle aura tôt fait de déjouer les malédictions, les superstitions, de ramener à une conscience plus réelle du monde ces pantins partisans des écoles, des systèmes, des néo, des post et des anti. Toutes ces formules automatiques, préétablies, instinctives ou tout ce qu'on veut, ne sont là que pour nous éloigner de ce que nous pourrions appeler nous-mêmes. Expérience de lâches intellectuels. En poésie, il faut beaucoup de courage. Le "pittoresque littéraire" est mort depuis qu'un grand poète a dit "Je cherche le mot qui correspond à la minute de mes instants". Si son expérience a été tragique, c'est qu'il a entièrement assumé sa condition, de sexe, d'esprit. Vivre un poème, c'est descendre l'égoût, respirer avec frénésie ces odeurs, ces tourbes gluantes, vivre à même l'homme, dans ce qu'il a de plus élémentaire. Une poésie ne saurait être poésie si elle n'était synonyme de chair, de sang, de sueur, de baves. Elle se défend d'être un "art", l'expression de "sentiments" dits "éternels". Elle se place aux antipodes de tous les arts, de toute forme artistique du monde, des idéologies, bagatelles, pure connerie que cette soi-disant idée de sauver le monde par la beauté. L'Andalousie restera pour l'homme le rêve le plus inaccessible. Et moi, je crois que la beauté, l'ordre, et la société ne sont qu'une création du Fric, monstre à cornes et sans queue. Nous assistons au ravage du monde par lui-même.
Si "Souffles" persiste dans son esprit, avec cette lucidité qui caractérise ses poètes, elle convaincra ceux qui nous côtoient de la nécessité d'une poésie qui doit délaisser toutes les préoccupations métaphysiques et philosophiques pour s'attacher à l'homme, l'homme avec ses gestes, ses grimaces, le cri de ses entrailles. Qui oserait faire appel aux principes et aux lois en voyant vivre "Etat de violence" ? Toutes ces petites simagrées disparaissent pour laisser place à l'homme (non l'humain), nu, atrocement nu, de cette nudité que l'esprit bourgeois évite, affichant des formules idiotes, imbéciles.
J'ai toujours détesté l'esprit de famille, il faut aller plus loin vers le sang, vers les racines. Qu'on débarasse enfin le monde de ces couches poisseuses d'intellectuels buveurs de bière.
Salut.
el mostafa nissaboury