- Lettres choisies, Colette

Lettre de Colette à Missy, Hôtel de la Cloche, Dijon, du 21 et 29 septembre 1910, Colette joue La Chair au Royal-Kursaal de Dijon.

Ma Missy chérie, je rentre, je trouve ta lettre, et je suis bien *******e, - avec un peu gros c ?ur de n’être pas là-bas et avec toi. Je suis dans ma chambre, avec ? un petit chat perdu, que je viens de ramasser sur les rails d’un tramway. Il est déjà gros, mais d’une impossible maigreur qu’on croit tenir une dépouille d’oiseau. Que faire ? Je l’ai trouvé faible de faim et tout vacillant sur ses pattes, Kerf et Wague en étaient émus. Personne n’en veut. Si tu ne veut pas que je le rapporte, je tâcherai de le donner ici, pourvu que je trouve quelqu’un. C’est un gris rayé chat sauvage, mieux marqué que Minne. Il a bu du lait chaud, mais il ne veut pas manger, il n’a pas de maladie de peau. Il est sur mes genoux et se colle à moi quand je veux me lever. Voilà. Ça me fait un petit compagnon de solitude.
Ma chérie aimée, que je te raconte. Hier en répétant j’ai conduit l’orchestre et ça allait bien. Le soir, ça a été un désastre , non seulement pour nous, mais pour tous les numéros du spectacle, et c’était un concert de hurlements et de malédictions dans les coulisses ! Cela s’explique tout simplement : nous avons appris que le chef d’orchestre n’a jamais été chef d’orchestre, il est marchand de vin, et c’est la première fois qu’il conduisait ! ! ! la direction vient de le remercier, mais il reste jusqu’au 9 octobre, on ne peut pas le renvoyer avant. Wague, au tomber du rideau, l’a traité d’assassin : au fond, j’avais terriblement envie de rire. Le public a pris fait et cause pour nous et a hué le chef d’orchestre-troquet, c’était vraiment intéressant. Nous avons répété de nouveau tout à l’heure pendant 1h1/2, j’ai demandé aux musiciens leur aide, ils sont très gentils et feront de leur mieux ce soir. Et puis ?je m’en f. Il y a une jolie places d’Armes, ici. Mais ça ne vaut pas Rozvzn. Comment tant de réparations que ça ? C’est effrayant, mon pauvre amour. Que de crevettes, de pommes de terre et de poisson, il va falloir vendre ! Et que de lignes écrire ! Et que de Chair jouer !
Le vent est très froid ici, as-tu froid ? Dijon s’emplit aujourd’hui d’une infâme foule. Je t’embrasse, chérie, je t’embrasse-brasse-brasse, comme dit Mirette. Sept jours damain matin, - c’est interminable. Je t’aime de tout mon c ?ur, mon petit Seigneur de Rosven.
Ta Colette. Amitiés à Paul. Kerf et Wague t’envoies les leurs.

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Lettre de Colette à Missy, Bucarest, 1er mars 1931
Athénée, Palace Hôtel


Ah ! mon petit Missy, que je me sens loin !
Je ne te raconte rien par lettre mais ma vie est terrible. Je ne suis qu’une balle qu’on se rejette de banquets à banquets, de soirée en concerts, de discours en réponses, d’interviews en photographies, de wagon à wagon. Quand je rentrerai, j’aurai six nuits de wagon lit, et à partir de demain lundi, je ne couche pas dans un lit jusqu’à vendredi, jour de mon retour. Je pars pour Jassy demain soir. Grand succès à Vienne, c’est vrai. Mais ce n’est pas ça qui repose, au contraire. Et puis je n’ai le temps de rien voir, sans quoi mon voyage durerait le double !
Je serai bien *******e de revenir, chère Missy !
Je t’embrasse de tout c ?ur, dis à mes bêtes que je reviens vendredi !
Colette

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Lettre de Colette à Léopold Marchand, Fez, novembre 1938.

Palais Jamaï, Fès, Maroc


Bonjour, mon petit Léo. Je t’écris parce qu’il pleut et quand il pleut ce qu’on aime manque davantage.
Dans le magnifique jardin du Jamaï les fleurs de datura ont cinquante centimètres de long et s’ouvrent comme des pavillons d’anciens phonographes. Les assises n’ouvrant que lundi, on va tâcher de se documenter un peu. Depuis treize ans que nous ne sommes pas venu ici, les petits émouchets sont toujours debout au plus haut de la plus haute branche des peupliers. Mais on a purifié les eaux de Fez, ça fait tout drôle. Avant, quand le voyageur commandait " mon chocolat ! ", on lui versait un bain. Ha - ha - ha.
Depuis que je sais que je peux dormir en avion, huit heures d’avion me sont moins longues. Et de temps en temps, la féerie ressuscite. Ma Misz revient-elle ? Ne m’écrit pas ici, le Jamaï est trop loin du palais de justice, nous déménagerons samedi ou dimanche.
Maurice t’embrasse, et Je te grimpe au col.

Colette


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Colette, journaliste, n’hésite pas à s’embarquer pour le Maroc, envoyée par Paris-Soir pour relater en 1938 le procès d’assises d’Oum-el-Hassen, propriétaire d’une maison close accusée d’avoir assassiné des prostituées

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