Lettre de John Gay à Jonathan Swift

14novembre 1726

Il y a près de dix jours qu’on a publié ici les Voyages d’un certain Gulliver ; ils ont été, depuis lors, le sujet de conversation de la ville entière. Tout le tirage a été vendu en une semaine ; et rien n’est plus divertissant que d’entendre les différentes opinions que les gens expriment à propos du livre, quoique tout le monde s’accorde à l’aimer passionnément. On dit partout que vous en êtes l’auteur mais le libraire, quant à lui, déclare tout ignorer de sa provenance. Du plus haut jusqu’au plus bas il est universellement lu : depuis le cabinet du Conseil jusqu’aux jardins d’enfants. Tous les politiciens conviennent qu’il ne s’y trouve aucune offense personnelle, mais que la satire des sociétés humaines en général est trop sévère. (...) Vous pouvez voir par là qu’on ne vous fait pas beaucoup d’offense en vous supposant l’auteur de ce livre. Si vous l’êtes, vous m’avez bien mal traité, ainsi que deux ou trois de vos meilleurs amis, en n’en n’ayant pas soufflé le moindre mot tandis que vous étiez parmi nous. (...) peut-être vous ai-je entretenu tout ce temps d’un livre que vous n’avez jamais vu, et qui n’a pas encore atteint l’Irlande ? S’il en était ainsi , je pense que ce que je vous en ai dit sera suffisant pour le recommander à votre attention, et pour que vous m’ordonniez de vous l’envoyer. Mais vous feriez beaucoup mieux de passer la mer vous-même, et de le lire ici, où vous pourrez jouir d’une grande variété de commentateurs pour vous en expliquer les passages difficiles. (...) Vous imaginez que nous vous envions, mais vous faites erreur, nous envions ceux qui sont avec vous, car nous ne pouvons envier l’homme que nous aimons. Adieu.

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