Lettre de John Arbuthnot à Jonathan Swift

Kensington, 26 juin 1714
Cher Frère,

Je m’étais presque décidé à ne pas vous écrire, de crainte de troubler un état aussi heureux que celui que vous décrivez. Ensuite, quelque chose du Diable, qui ne supporte pas qu’on puisse jouir d’un paradis, m’a presque convaincu de vous faire une longue et triste description de l’état de nos affaires, ce qui vous aurait mis précisément dans mon cas. Vous devez savoir, en effet, que j’ai cherché avec beaucoup d’application à vivre l’ignorance, mais qu’en même temps j’ai voulu jouir des jardins de Kensington, or il s’y trouve toujours tel ou tel fonctionnaire mé******* pour m’accoster & dévider une sombre histoire à mes oreilles : à ce train-là, je me retrouve à l’heure du souper tout aussi plein de tourments que le plus informé d’entre eux. Je ne vous importunerai que pour vous dire que le Dragon vendra chèrement sa peau. Il se défend comme un beau diable, bec et ongles. Et vous savez que la man ?uvre parlementaire a toujours été son fort. Il n’y a par contre aucun espoir d’arrangement avec les deux champions. (...) De grâce, n’oubliez pas Martin, qui est un compagnon bien innocent et qui ne troublera pas votre solitude. Le ridicule de la Médecine est un sujet si copieux, que je n’en puis traiter que tel ou tel détail. Pour Martin, je lui ai fait apprendre cette science sur les affiches des apothicaires, qui offrent un champ très abondant pour la satire de la pratique actuelle. Ainsi, l’un de ses projets fut de créer un impôt sur les vésications, les emplâtres et ainsi de suite, afin que le gouvernement amassât de l’argent qu’il eût donné en affermage à R ?ff et à d’autres. Mais il y eut une pétition des habitants de Londres et de Wetminster, qui n’avaient aucune envie d’être ainsi floués. Il y a quatre ans, quelqu’un publia un document sur les purgatifs, démontrant que leurs doses devaient être proportionnelles à la masse du patient. Sur quoi, Martin s’efforça de déterminer le poids des Anciens à partir des quantités de médicaments qui leur étaient administrés. L’une de ses meilleures inventions fut une carte des affections pour les trois cavités et l’enveloppe externe du corps, tout juste comme celle des quatre parties du monde. Ainsi les grandes maladies figurent les capitales, avec leurs symptômes qui sont les rues et les faubourgs, avec des routes qui mènent à d’autres maladies, et cela est plus dense que toutes les cartes flamandes que vous avez pu voir. (...) Je sais que vous m’aimez chaleureusement, mais je ne puis concéder que vous m’aimez plus que je vous aime. Milord et Lady Masham vous aiment aussi, & ils ont lu avec plaisir la lettre que vous m’avez envoyée. Milady a déclaré qu’elle allait vous écrire, que vous lui écriviez ou non. Cher Ami, Adieu

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