رسالة من جيمس جويس الى نورا برناكل

7 août 1909

Il est six heures et demie du matin et j’écris dans le froid. J’ai à peine dormi de toute la nuit. Giorgio est-il mon fils ? La première nuit où j’ai couché avec toi à Zurich était le 11 octobre et il est né le 27 juil- let. Cela fait neuf mois et 16 jours. Je me souviens qu’il y avait très peu de sang cette nuit-là. As-tu été baisée par quelqu’un avant de venir me rejoindre ? Tu m’as dit qu’un monsieur du nom de Holohan (un bon catholique, bien sûr, qui fait ses Pâques régulièrement) voulait te baiser lorsque tu étais dans cet hôtel, en utilisant ce qu’ils appellent une « capote anglaise ». L’a-t-il fait ? Ou lui as-tu seulement permis de te caresser et de te tripoter de ses mains ? Dis-moi. Lorsque tu étais dans ce champ près de la Dodder (les soirs où je n’étais pas là) avec cet autre homme (un de mes « amis ») étiez-vous allongés lorsque vous vous embrassiez ? As-tu posé ta main sur lui comme tu le faisais avec moi dans l’obscurité et lui as-tu dit comme tu me le disais : «Qu’est ce que c’est, mon chéri ? » Un jour j’ai déambulé dans les rues de Dublin n’entendant rien d’autre que ces mots, me les répétant sans cesse à moi-même et m’arrêtant pour mieux entendre la voix de ma bien-aimée. Que va devenir mon amour, maintenant ? Comment chasser le visage qui s’interpose maintenant sans cesse entre nos lèvres ? Un soir sur deux dans les mêmes rues ! J’ai été un imbécile. Je croyais tout le temps que tu ne te donnais qu’à moi et tu partageais ton corps entre moi et un autre. Ici à Dublin on fait circuler la rumeur que j’ai pris les restes d’autres. Peut-être rient-ils lorsqu’ils me voient montrer fièrement « mon » fils dans les rues. [...] Ô, Nora y a-t-il encore quelque espoir de bonheur pour moi ? Ou ma vie va-t-elle être brisée ? On dit ici que je suis dans un état de consomption. Si je pouvais oublier mes livres et mes enfants et oublier que la jeune fille que j’aimais m’a trompé et me souvenir d’elle seule- ment comme je la voyais avec les yeux de mon amour de jeune homme je quitterais la vie content. Comme je me sens vieux et misérable !

Jim


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